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Économie - Conjoncture

Législatives 2022 : Bank of America s’avance sur trois scénarios monétaires pour le Liban

Pour la banque américaine, la société civile et les partis d’opposition ont autant de chance de former une minorité au Parlement aux prochaines élections que la classe politique actuelle de maintenir le statu quo.

Législatives 2022 : Bank of America s’avance sur trois scénarios monétaires pour le Liban

Bank of America n’en est pas à ses premières prédictions sur le sort du Liban. Photo d’illustration TeroVesalainen/Bigstock

Mars 2022 a marqué le second anniversaire du défaut de paiement de l’État libanais sur ses titres de dette en devises (eurobonds). Une dette qu’il n’a pas restructurée depuis. Hasard du calendrier au dernier jour de ce mois, Bank of America, qui publie régulièrement des rapports sur la situation économique du Liban destinés à ses clients, s’est justement penchée sur le remboursement de ces eurobonds, et ce via trois scénarios possibles résultant des prochaines législatives. La banque américaine pose donc la question du recouvrement de ces titres, autrement dit si les investisseurs pourront un jour revoir leurs placements.

Pour répondre à cette question qui concerne en premier lieu les créanciers de l’État, Bank of America s’est penchée sur la probabilité que la partie libanaise mette en place les mesures nécessaires pour réformer l’économie et obtienne alors un programme d’aide du Fonds monétaire international. Une délégation de l’institution est actuellement à Beyrouth pour deux semaines afin d’avancer sur les discussions concernant une aide financière, demandée depuis mai 2020, pour que le Liban sorte de la crise qu’il traverse depuis plus de deux ans et demi.

La banque américaine considère de plus qu’un accord préalable (“staff-level agreement”) entre les équipes du FMI et le Liban avant les élections n’est pas « inconcevable » mais que ceci reste « inhabituel », suivant les précédents dans les pays émergents. Elle précise toutefois que ce serait possible dans le cas où le programme reçoit un vaste soutien politique. Ce n’est pas la première fois que cette banque indique qu’un accord est loin d’être garanti, l’ayant aussi annoncé dans son dernier rapport sur le Liban publié le 20 février dernier.

Un accord préalable nécessitera toutefois la validation du département de gestion du FMI, puis l’approbation de son conseil exécutif. Une étape qui a pris quelques semaines pour le cas d’autres pays. L’établissement bancaire note également que la poursuite des discussions avant les élections montre la volonté de la communauté internationale de pousser la classe politique à enclencher des réformes.

Premier scénario : l’opposition majoritaire

Bank of America considère trois scénarios possibles concernant les résultats des élections : un changement politique avec l’entrée au Parlement d’une majorité de députés issus de l’opposition ; une stabilisation avec une minorité de ces derniers élus à la Chambre, poussant toutefois assez pour enclencher quelques changements ; ou un maintien du statu quo sans réformes. La première possibilité est jugée peu probable par la banque, tandis que les deux autres ont toutes deux une probabilité moyenne.

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Les auteurs du rapport détaillent le premier scénario comme pouvant se traduire en un cabinet de réformateurs soutenus par la communauté internationale, si la société civile et l’opposition obtiennent la majorité au sein du Parlement cette année. Ce sera en effet le premier vote après le soulèvement populaire du 17 octobre 2019 contre une classe politique jugée corrompue. Cela se traduirait alors par un accord dans les règles avec le FMI, de « fortes » entrées de devises dans le pays, une appréciation de la monnaie nationale, qui a déjà perdu plus de 90 % de sa valeur depuis le début de la crise, poussant alors l’économie libanaise à renouer rapidement avec la croissance.

Dans ce scénario, vu que la banque anticipe un plan de réformes crédible, la différence entre le capital obtenu par les créanciers suite à la restructuration de la dette et celui qu’ils devaient obtenir au préalable est « faible ». Ce scénario a une faible probabilité de se réaliser, selon la banque, qui indique que « le Hezbollah pourrait probablement s’opposer par la force aux résultats des élections », prenant pour exemple les élections d’octobre dernier en Irak. En effet, l’Alliance du Fateh, vitrine politique du Hachd al-Chaabi (une influente coalition de milices proches de Téhéran), a vu le nombre de ses sièges parlementaires fondre à l’issue du vote et a dénoncé une « fraude » électorale, poussant à des manifestations violentes dans le pays. Une tentative d’assassinat contre le Premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi, a eu lieu en novembre, certains partisans du Hachd l’accusant d’être « complice de cette escroquerie ».

Deuxième scénario : l’opposition minoritaire

Le deuxième scénario, d’une probabilité moyenne, suppose une entrée d’une minorité des forces d’opposition au Parlement. La banque estime que la classe politique pourrait penser qu’il est dans son intérêt d’obtenir un accord avec le FMI. Ce scénario du « compromis » pourrait stabiliser l’économie mais la reprise serait plus faible que dans le scénario précédent. En effet, la mise en place du programme du FMI se ferait en dents-de-scie en raison d’une mise en œuvre des réformes qui ne sera pas totale. Il ouvrira toutefois la porte à des financements de la part du Fonds, ainsi que d’autres acteurs, à l’image des participants à la conférence de Paris d’avril 2018 (CEDRE).

Dans ce cas, la différence entre le capital obtenu par les créanciers suite à la restructuration de la dette et celui qu’ils devaient obtenir au préalable est estimé par la banque à un niveau « moyen à haut ». Elle suppose également que les négociations avec les créanciers prendront un an en raison des « historiques précédents et des complexités légales autour des eurobonds ». Ainsi, si le Liban arrive rapidement après les élections à un accord avec le FMI, celui concernant la restructuration des eurobonds aura lieu « au plus tôt à mi-2023 » mais, dans le cas où l’accord avec le Fonds prend plus de temps, alors cette restructuration de la dette aura lieu, au plus tôt également, « début 2024 ».

Troisième scénario : le statu quo

Quant à son dernier scénario, Bank of America imagine que la classe politique maintient le statu quo qui prévaut actuellement, autrement dit sans aucune réforme. La banque suggère aussi que la classe politique ainsi réélue pourrait juger que l’économie libanaise a atteint un équilibre qui pourrait durer sur le moyen terme. Pour aider à le maintenir, la Banque du Liban pourrait alors arrêter après les élections les mécanismes de subventions encore valables à des degrés différents sur le blé, les médicaments et le carburant, et cesser ses interventions sur le marché des changes, à travers sa plateforme Sayrafa. Cette situation aura pour conséquence une poursuite de la politique de lirification des dépôts bancaires, dévaluant encore plus la livre libanaise.

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Mais la banque n’a pas pu se prononcer sur les résultats de cette politique, si elle serait soutenable à long terme ou si elle impliquerait une explosion sociale, dépendamment du niveau des réserves de la BDL et de la balance des paiements, dans un pays où en 2021, 74 % de la population vivait déjà sous le seuil de pauvreté, selon l’Escwa. En effet, une dépréciation de la livre entraînerait une baisse des importations, mais pourrait également pousser à l’émigration, diminuant alors la taille de l’économie, rappelle Bank of America.

Les réserves de la BDL seraient donc le facteur déterminant de la classe politique, selon la banque américaine. En effet, l’établissement suggère que plus ces réserves sont stables et utilisables, plus les responsables politiques auront un levier de manœuvre sans entreprendre des réformes. Bank of America précise toutefois que le niveau exact de ces réserves est inconnu. Mi-mars, elles étaient estimées par plusieurs observateurs à près de 14 milliards de dollars en se basant sur le bilan bimensuel de la banque centrale.

Selon ce dernier scénario, les eurobonds ne seront pas recouverts. Aussi, la lirification des dépôts entamée depuis octobre 2019 se poursuivra, décrit la banque, qui a calculé qu’en moyenne, entre cette date et décembre 2021, la lirification a concerné 800 millions de dollars de dépôts par mois. À ce rythme, cela prendrait « 10,7 ans » pour lirifier tous les dépôts des clients. Or, l’injection de livres sur le marché contribuera à déprécier la monnaie nationale et donc à augmenter le taux d’inflation, qui a déjà atteint 214,59 % en février en glissement annuel, voire de faire entrer l’économie dans des cycles hyper inflationnistes, rendant une sortie de crise encore plus compliquée.

Ce n’est pas la première prédiction de Bank of America. En 2020, elle avait en effet estimé que le taux de change atteindrait 46 000 livres à la fin de la même année, en se basant sur le même rythme de dévaluation que pendant la guerre civile. Un scénario qui ne s’est pas concrétisé.

Mars 2022 a marqué le second anniversaire du défaut de paiement de l’État libanais sur ses titres de dette en devises (eurobonds). Une dette qu’il n’a pas restructurée depuis. Hasard du calendrier au dernier jour de ce mois, Bank of America, qui publie régulièrement des rapports sur la situation économique du Liban destinés à ses clients, s’est justement penchée sur le...

commentaires (5)

Troisième scénario évidemment. La clique qui tient le pays et compte faire payer aux Libanais jusqu’au dernier dollar volé a le soutien de la Chine, la Russie, l’Iran et leurs alliés qui entament une guerre de recomposition de l’ordre mondial dont le Liban sera comme d’habitude piétiné dans ces affrontements de géants.

AntoineK

12 h 26, le 02 avril 2022

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Commentaires (5)

  • Troisième scénario évidemment. La clique qui tient le pays et compte faire payer aux Libanais jusqu’au dernier dollar volé a le soutien de la Chine, la Russie, l’Iran et leurs alliés qui entament une guerre de recomposition de l’ordre mondial dont le Liban sera comme d’habitude piétiné dans ces affrontements de géants.

    AntoineK

    12 h 26, le 02 avril 2022

  • On a quand même atteint 35000 fin 2021.

    PPZZ58

    09 h 41, le 02 avril 2022

  • Nul doute que le bon vieux status quo sera choisit, il permettra aux mêmes de rester au pouvoir et de regarder le pays et ses habitants sombrer dans la pauvreté totale !

    Pandora

    09 h 20, le 02 avril 2022

  • Meme le scenario le plus pessimiste de la Bank of Amerika reste largement optimiste par rapport a ce qui va survenir. La canaille politichienne n'est pas prete a lacher du lest et l'avenir du pays est a la "Somalisation".

    Michel Trad

    09 h 01, le 02 avril 2022

  • Les prévisions restent des prévisions. Les rentrées de devises émanant des libanais doutre-mer sont les seules bouffées d'oxygène qui empêchent la chute dramatique, mais, profitent malheureusement aux corrompus, qui trouvent quand même leur marge d'action très réduite. Les législatives une fois accomplies, pourraient nous diriger vers le deuxième scénario de ces prévisions.

    Esber

    05 h 23, le 02 avril 2022

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