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Problème libanais prioritaire : l’État !

Problème libanais prioritaire : l’État !

Photo Sami Ayad

Le désastre libanais montre de façon flagrante pour tout esprit éclairé l’absence d’État. Le Liban d’aujourd’hui constitue un laboratoire privilégié (malheureusement) pour des recherches en anthropologie historique et juridique sur la genèse de l’État. Or des Libanais, des intellectuels sans expérience, des légalistes (et non des juristes), des politicards… continuent de palabrer sur des problèmes de corruption, de classe politique, de changement constitutionnel, de fédération, de décentralisation… L’absence du sens de l’État dans la conscience collective et la psychologie historique du Libanais moyen se manifeste dans au moins sept domaines.

1. Les palabres sur la situation depuis 2016 : la débandade généralisée au Liban est naturelle (nous ne disons pas normale, conforme à des normes), en l’absence d’État détenteur exclusif de ses quatre attributs régaliens : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, gestion et perception de l’impôt et promotion des politiques publiques. En l’absence d’État, chargé de la mise en œuvre du droit, c’est le « dé-ordre » (sic) où chacun se débrouille, essaye de sauver sa peau. C’est ainsi que, en anthropologie historique et juridique, l’État est né, en vue de l’exercice unifié et central du pouvoir régulateur.

2. Les légalistes : des docteurs de la loi occupent le terrain médiatique avec leur sophisme argumentaire à propos de changement législatif, de transparence, de légalité… comme si les lois sont auto-exécutoires en l’absence d’État qui, on le répète, est chargé de la mise en œuvre du droit.

3. Les réformistes : ceux-là partent du présupposé que le pacte national de 1943, la Constitution libanaise de 1926, le pacte national renouvelé de Taëf… ont été et sont parfaitement appliqués. Le problème réside donc dans un changement du « système ». C’est présupposer que tous les politicards au Liban portent en permanence avec eux les recueils de législation libanaise et les recueils Dalloz et ne font rien, absolument rien, que par référence au droit. C’est donc présupposer que le Liban est dans un État de droit parfait. La responsabilité ? C’est la loi ! Qui est chargé de la mise en œuvre du droit ? Absence totale du sens de l’État !

Pire encore. Des légalistes, réformistes, théoriciens du fédéralisme et de la décentralisation administrative et, nouvellement, « financière » (!), émergent, occultant le fait fort banal et évident que fédérer signifie unifier et que tout fédéralisme et toute décentralisation exigent au départ un État central détenteur exclusif du monopole de la force organisée, des rapports diplomatiques et de la gestion financière.

4. Les « laïcisant, anticonfessionnalisme », idéologues… : ils dénoncent le « confessionnalisme », avec le rêve d’émergence d’un État alambic où se dilue toute diversité culturelle. Parmi eux, de prétendus sociologues. Ils dénoncent avec ironie la « sigha fazza » (formule libanaise saugrenue), alors que les problèmes de culture, d’acculturation, de socialisation sont au cœur de toute sociologie élémentaire. Au fond, ils ne savent conjuguer que le « confessionnalisme », alors que le transcommunautaire étatique leur échappe. On débat sur des qualifications de l’État libanais : laïc, non confessionnel, civil… alors que l’existence de l’objet État pose problème.

5. Manipulation des travaux constitutionnels comparatifs : les travaux sur les régimes parlementaires pluralistes qui ont émergé depuis surtout les années 1970 (Suisse, Pays-Bas, Belgique, îles Fidji, île Maurice, Afrique du Sud, Inde, Irlande du Nord, Liban…) sont manipulés à outrance par les autorités d’occupation et les alliés internes (« tawafuq, mithaqiyya, taatil, hajm, ahjam… ») pour légitimer au Liban un régime d’assemblée, un « minority control » hégémonique suivant la théorie de Sammy Smooha, une polyarchie ingouvernable selon l’explication de François Bourricaud, un clientélisme institutionnalisé dans un État chrysanthème où chacun s’arrache un pétale de la rose sans se soucier de l’harmonie de l’ensemble, c’est-à-dire l’État.

6. « Le président de la République est le chef de l’État » (art. 49 de la Constitution) : les notions d’« État », de « chef de l’État » … introduites volontairement par l’amendement constitutionnel de 1990 sont complètement oubliées par des légalistes qui n’ont pas le sens de l’État. Ils n’ont digéré dans le droit constitutionnel que des procédures. Pire encore, ils palabrent sur des salahiyyat (attributions) alors que le chef de l’État au Liban est, et doit être, un monarque constitutionnel garant de la suprématie de la Constitution. Telle est la genèse historique de l’article 49. La sociopathie et la manipulation démagogique l’emportent auprès de Libanais dupes, dupés, ou plutôt qui ignorent complètement ce que signifie État.

7. L’État appartement meublé, clés en main. S’agit-il d’ignorance ou d’imposture dans l’allégation : quand l’État sera fort, nous nous remettrons à lui avec tout notre armement et diplomatie parallèle. C’est l’État tyrannique dans la région qui profile ici dans un imaginaire morbide. L’État démocratique puise sa force de sa légitimité. Imaginons combien l’État libanais sera efficient si tous les partis, malgré leurs divergences, se rallient à la supra-allégeance, à l’État.

Une rhétorique verbeuse ne marche plus, surtout auprès de diplomates accrédités au Liban. « Si vous voulez encore des arrangements (tarqî), disait l’un d’eux, ne comptez pas sur notre diplomatie. » Dominique Chevallier, qui a dirigé plusieurs thèses de Libanais, déclare en 1987 au cours d’un séminaire à Oxford : « On fait abstraction de la notion d’État – ce qui est quand même surprenant (…). La réalité de l’État est gommée (…). Les Libanais ont-ils su assumer un État de droit ? Comment ont-ils vécu et compris les institutions d’un État de droit ? Quelles traditions étatiques trouvent-ils dans leur histoire ? » Édouard Saab écrivait dans L’Orient-Le Jour, le 12 mars 1975, à la veille des guerres multinationales au Liban en 1975-1990 : « Quel Liban sans État ! »

La sociogenèse de l’État est complètement absente dans une historiographie scientifique et réaliste du Liban. Complètement absente dans la culture dominante. Le texte de Paul Zgheib, Les trois cités-États dans l’histoire du Liban (L’Orient-Le Jour, 23 février 2022), bien que centré sur la période phénicienne, est pionnier à ce propos. Il faut promouvoir ce genre de travaux au Liban dans une perspective d’acculturation et de pédagogie de l’État pour les nouvelles générations.

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Le désastre libanais montre de façon flagrante pour tout esprit éclairé l’absence d’État. Le Liban d’aujourd’hui constitue un laboratoire privilégié (malheureusement) pour des recherches en anthropologie historique et juridique sur la genèse de l’État. Or des Libanais, des intellectuels sans expérience, des légalistes (et non des juristes), des politicards… continuent de...
commentaires (1)

nouvelle mouture qui décrit le Mal -avec un grand M - dont souffre le Liban. autrement plus savante et profonde. BRAVO ! mais il reste que, de solution personne n'a encore pu en trouver meme la formule la plus bete . surtout eviter reproduire les memes charabias qu'exposent fierement les amalystes/decrypteurs et autre invites aux talk shows ou que publient les medias .

Gaby SIOUFI

15 h 30, le 30 mars 2022

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Commentaires (1)

  • nouvelle mouture qui décrit le Mal -avec un grand M - dont souffre le Liban. autrement plus savante et profonde. BRAVO ! mais il reste que, de solution personne n'a encore pu en trouver meme la formule la plus bete . surtout eviter reproduire les memes charabias qu'exposent fierement les amalystes/decrypteurs et autre invites aux talk shows ou que publient les medias .

    Gaby SIOUFI

    15 h 30, le 30 mars 2022

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