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Nos Lecteurs ont la Parole

Souveraineté et changement au Liban : quatre priorités pour demain

Les atteintes à la souveraineté du Liban avec l’accord du Caire de 1969 et ses séquelles meurtrières en 1975-1990, l’occupation syrienne directe jusqu’à l’attentat terroriste du 14 février 2005 contre le président Rafic Hariri et son convoi, puis l’alliance de Mar Mikhaël du 6 février 2016 entre une formation politique et une armée-parti liée par son armement, son financement et sa stratégie diplomatique avec la République islamique d’Iran, exigent désormais d’en tirer les leçons pour demain.

Pour des intellectuels sans expérience, des légalistes (nous ne disons pas juristes) et des constitutionnalistes d’autrefois, des palabres d’antan vont malheureusement se poursuivre comme un disque érodé, sur le « confessionnalisme », la « sigha » (formule) inadaptée, la classe politique, le changement constitutionnel avant Taëf et après Taëf, le fédéralisme, la décentralisation et, pire, l’alliance des minorités et, dans le style de la sociopathie d’aujourd’hui qui manipule une psychologie historique morbide, les « droits » de chrétiens, la « taille » (hajm), le président « fort »…

Or tout le problème se situe hors de ces palabres et manipulations. Toute diversité, et encore dans un Liban un et pluriel de 18 communautés, est complexe, difficile et pénible à gérer. Il s’agit donc de déterminer la perspective et praxis de gestion du régime parlementaire pluraliste du Liban, non plus en termes de gouvernance, mais plutôt de gouvernabilité, c’est-à-dire de sorte que la bonne gouvernance soit effectivement possible.

Dans ce but, à la lumière des recherches comparatives et appliquées libanaises et internationales depuis surtout les années 1970, quatre priorités libanaises sont impératives.

Souveraineté d’abord

Le Liban est occupé, sans souveraineté. Les quatre fonctions régaliennes (rex, regis, roi) de l’État sont violées : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, perception et gestion de l’impôt, et gestion des politiques publiques. Il y a au Liban deux armées et deux diplomaties ! Dire que toutes les formations politiques au Liban ont des rapports extérieurs, c’est camoufler les quatre formes de ces relations : l’occupation, l’ingérence avec de l’argent et l’armement à travers une formation interne partisane, le soutien à travers l’État central, et les résolutions internationales.

Le Liban est occupé par procuration dans une stratégie régionale iranienne avec deux armées et deux diplomaties, en violation du préambule même de la Constitution : « Le Liban est arabe dans son identité et son appartenance » (préambule B). Plus encore que la violation de la souveraineté par l’alliance de Mar Mikhaël, il s’agit d’une menace de l’identité nationale, libanaise et arabe et dont l’arabité de civilisation est une production libanaise endogène pour tout ce qui concerne la langue arabe, la gestion du pluralisme, l’apport culturel, le message régional et international…

Un président de la République véritablement chef de l’État

Un pays de 18 communautés, même dans les meilleures conditions d’unité et de stabilité régionale, n’est pas gouvernable sans un chef d’orchestre régulateur. Le principe même de l’État est la mise en œuvre du droit. Tel est le sens de l’article 49 de la Constitution et de son renforcement dans l’accord de Taëf de 1989 et les amendements du 21 septembre 1990, en conformité avec l’expérience libanaise endogène. Le président Fouad Chehab ne s’est jamais plaint d’aucun obstacle constitutionnel. Il exhibait et se référait en permanence au kitâb (Constitution). Tel est fruit de la genèse de l’article 49 dans le cadre surtout de la médiation diplomatique allemande-européenne-vaticane du 24/9 au 3/10/1986 à la suite de l’Accord tripartite de Damas du 28/12/1985.

Il y avait en effet 14 propositions pour égaliser les trois plus hautes charges de l’État. Quadrature du cercle, du fait que les trois plus hautes charges sont différentes par leurs fonctions et leur symbolisme. Le risque majeur était de faire du président (maronite) de la République un président honoraire, homme de Baabda. Pire encore : violer le principe universel de séparation des pouvoirs.

Comment concilier partage du pouvoir (power sharing) et séparation des pouvoirs ? L’article 49 est génial de la part d’hommes d’État dans l’accord de Taëf en 1989, et dans la théorie constitutionnelle comparative de gestion du pluralisme culturel. On a consacré la praxis libanaise chehabiste dans cet article : « Le président de la République est le chef de l’État et le symbole de l’unité de la patrie. Il veille au respect de la Constitution et à la sauvegarde de l’indépendance du Liban… »

Le chef de l’État est ainsi au-dessus de l’idéologie des salâhiyyât (attributions), des rapports de pouvoirs, garant suprême de la suprématie de la Constitution, vigile constitutionnel préalable avant le Conseil constitutionnel institutionnel.

Il s’agit désormais de secouer une psyché maronite (nous ne disons pas les maronites) qui n’a pas intégré dans une mémoire morbide « l’État (sic) du Grand Liban » de 1920. Cette psyché a été source de problèmes pour le président Fouad Chehab lui-même ! D’autres psychés morbides d’autres communautés n’ont pas été soumises à une thérapie. Président qawî (fort) ? Il est fort en tant que vigile et garant de la suprématie de la Constitution. C’est seulement le chef de l’État libanais qui prête le serment constitutionnel. Qu’il sollicite une interprétation de la Constitution à laquelle il a prêté le serment ? Quelle aberration ! Faudra-t-il désormais soumettre tout candidat à la présidence de la République à un jury qui s’assure qu’il comprend bien le contenu et l’objet de son serment ?

Des gouvernements exécutoires

La Constitution libanaise qualifie l’exécutif, dans tout le chapitre IV, de « pouvoir exécutoire », al-sulta al-ijrâ’iyya (executorius), c’est-à-dire, tout comme les services exécutoires (al-dawâ’ir al-ijrâ’iyya) au ministère de la justice. Ijrâ’iyya d’après Lisân al-Arab signifie « qui fait que les choses marchent » et, d’après d’autres dictionnaires « qui doit être mis à exécution, qui donne pouvoir de procéder à une exécution » (Le Robert, Le Littré). Et l’article 95 ancien, reproduit textuellement dans l’amendement de 1990, dispose : « Les communautés (et non les forces politiques) seront équitablement représentées dans la composition des ministères. » Tout gouvernement dans le monde implique solidarité et efficience et n’a pas un caractère représentatif au sens électoral. Il ne s’agit donc pas de la « taille », (hajm), ni des rapports de pouvoir.

La formation d’un cabinet d’union ou d’entente nationale, dans des circonstances limitées, a été étendue par les régimes d’occupation et les collaborateurs internes en vue d’une pratique durable pour l’exercice d’une hégémonie sectaire, le blocage et le recours ultime à la Sublime Porte.

Dans un régime fédéral territorial, comme en Suisse ou en Belgique, il est possible que le cabinet soit collégial, du fait que la plupart des décisions sont prises dans les provinces. Mais dans un système fédéral personnel, la formation d’un gouvernement mini-Parlement viole le principe de séparation des pouvoirs, annihile tout contrôle et institue le partage de prébendes, sinon c’est le blocage.

Acculturation et pédagogie de l’État

Pas d’avenir pour le Liban pacifié et prospère sans la réhabilitation du Plan de rénovation pédagogique, prévu par l’Accord de Taëf en 1989 et entrepris par le CRDP sous la direction du Pr Mounir Abou Asly dans les années 1996-2002, puis bureaucratisé et saboté par l’autorité d’occupation et les collaborateurs internes. Il s’agit surtout de l’acculturation de l’État au Liban dans une historiographie scientifique, comme il se doit, mais aussi réaliste et pragmatique, en vue d’un « changement de mentalités », comme indiqué dans l’Exhortation apostolique du pape Jean-Paul II, proclamée au Liban en 1997. Aucun changement n’est effectif quand la souveraineté est violée, même dans les pays où la démocratie est consolidée. Nombre de changements sont possibles au Liban, en vertu du texte même et l’esprit de la Constitution libanaise, afin de rendre le système constitutionnel libanais davantage » égalitaire « par une application normative de la règle de discrimination positive, et davantage » musclé « dans le processus de décision grâce à un chef de l’État garant de la suprématie de la Constitution, et à des gouvernements exécutoires, et non des mini-Parlements où le clientélisme est institutionnalisé.

Antoine MESSARRA

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Les atteintes à la souveraineté du Liban avec l’accord du Caire de 1969 et ses séquelles meurtrières en 1975-1990, l’occupation syrienne directe jusqu’à l’attentat terroriste du 14 février 2005 contre le président Rafic Hariri et son convoi, puis l’alliance de Mar Mikhaël du 6 février 2016 entre une formation politique et une armée-parti liée par son armement, son financement...
commentaires (1)

superbement relate. sauf qu'il y a un hic non mentionne : Toute cette litterature, ces explications des diverses lois et leurs vraies application souhaitees sont a l'origine destinees aux hommes qui suivent les normes suivantes: -Volonte de mieux faire -honnetete -patriotisme normes absentes chez nos crapuleux dirigeants

Gaby SIOUFI

14 h 05, le 08 janvier 2022

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Commentaires (1)

  • superbement relate. sauf qu'il y a un hic non mentionne : Toute cette litterature, ces explications des diverses lois et leurs vraies application souhaitees sont a l'origine destinees aux hommes qui suivent les normes suivantes: -Volonte de mieux faire -honnetete -patriotisme normes absentes chez nos crapuleux dirigeants

    Gaby SIOUFI

    14 h 05, le 08 janvier 2022

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