Le président libanais, Michel Aoun, et le Premier ministre, Nagib Mikati, se sont entendus mercredi matin sur l'ouverture d'une session extraordinaire du Parlement, et sur la convocation d'un Conseil des ministres, bloqué depuis mi-octobre "dès réception du projet de budget 2022" dans les deux prochains jours.
A l'issue d'une réunion avec M. Aoun à Baabda, M. Mikati a annoncé que leur entrevue s'était avérée "fructueuse". "Nous nous sommes mis d'accord sur la signature d'un décret pour l'ouverture d'une session extraordinaire du Parlement, qui commencera immédiatement et durera jusqu'au début de la session ordinaire", le 21 mars 2022.
Le chef du gouvernement a indiqué, par ailleurs, avoir informé le chef de l'Etat que le projet de budget national pour l'exercice 2022 était désormais prêt "et qu'il le réceptionnera dans les deux prochains jours". "Dès que cela sera le cas, il faudra que le Conseil des ministres se réunisse pour l'approuver, car il s'agit d'une condition essentielle posée par le Fonds monétaire international" pour approuver un programme d'aide, a-t-il annoncé. "Nous convoquerons donc une réunion du gouvernement dès réception du budget, afin de l'étudier et de l'envoyer au Parlement" pour adoption, a encore déclaré le président du Conseil, dont le gouvernement ne s'est plus réuni depuis le 12 octobre, sur fond de dissensions concernant le sort du juge Tarek Bitar, chargé de l'instruction sur la double explosion au port de Beyrouth.
Selon des informations de la chaîne locale LBCI, MM. Aoun et Mikati ont appelé, lors de leur entretien, le chef du Parlement, Nabih Berry, afin de discuter avec lui de ces dossiers.
Avec ces annonces parallèles, il semble donc qu'une entente ait été trouvée entre les différentes parties concernant plusieurs dossiers actuellement dans la balance des tractations politiques, en tête desquels l'enquête sur le drame du 4 août 2020. C'est pour protester contre la direction de cette enquête et le juge Bitar, accusé d'être "politisé", que les ministres du tandem chiite (Amal-Hezbollah) refusent de participer à toute réunion gouvernementale qui serait convoquée par M. Mikati, tant qu'aucune décision n'est prise pour écarter le magistrat, au moins du volet politique de l'enquête. Deux députés du mouvement Amal, anciens ministres, font partie des responsables politiques poursuivis dans cette investigation.
La question de l'ouverture d'une session extraordinaire de la Chambre rentre également dans ce cadre. En effet, un Parlement en session assure l'immunité constitutionnelle et l'impossibilité pour le juge d'instruction de les poursuivre ou que des mandats d'arrêt lancés à leur encontre soient exécutés. Dans ce même contexte, l’article 33 de la Constitution donne le pouvoir au président de la République, "en accord avec le chef du gouvernement", de convoquer la Chambre des députés à des sessions extraordinaires par un décret déterminant la date d’ouverture et de clôture des sessions, ainsi que leur ordre du jour. Ces éléments n'ont pas encore été définis par la présidence. Pour motiver cette décision, les députés du groupe du chef du législatif, Nabih Berry, rejoints par certains de leurs collègues du Courant du Futur de l'ex-Premier ministre Saad Hariri, et du Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt, avaient lancé une pétition dont la signature par la majorité absolue des députés (65) pouvait contraindre M. Aoun à ouvrir une telle session.
L'opposition de Berry "porte atteinte" au pays
Avant cette réunion, M. Aoun avait exprimé sa grande inquiétude concernant le blocage politique, dans un entretien au quotidien arabophone Nida' el-Watan : "Ce blocage est une grave erreur, qu'aucune partie n'a le droit de commettre". Et d'accuser "les ministres relevant de Nabih Berry de refuser de participer" à toute réunion gouvernementale à laquelle convierait le président du Conseil. "Depuis que j'ai accédé à la présidence, Berry a déclaré qu'il se poserait en opposant du mandat", a-t-il souligné, estimant que cette opposition "porte atteinte au pays et a provoqué le blocage de plusieurs lois" présentées par le groupe aouniste au Parlement.
En ce qui concerne les tensions entre le parti qu'il a fondé, le Courant patriotique libre (CPL), et le Hezbollah, M. Aoun a souligné que le parti chiite doit "choisir entre l'entente de Mar Mikhaël, qui a permis d'assurer la stabilité dans le pays, et Tayouné", en référence aux affrontements entre des manifestants chiites et des tireurs situés dans un quartier traditionnellement proche des Forces libanaises, du leader maronite Samir Geagea.
Au sujet de la discorde, chronique et récemment renouvelée, entre le CPL et le mouvement Amal, le chef de l'Etat a affirmé que le "dialogue" pourrait permettre de résoudre cette situation. "Il faut apaiser l'atmosphère sur la scène intérieure pour motiver les pays étrangers à nous aider", a-t-il déclaré. Il a, dans ce cadre, salué la position du président de la Chambre qui s'était dit lundi en faveur d'un tel dialogue "bien que son entourage reste hésitant", et accusé les forces politiques refusant un tel appel de chercher à "fuir leurs responsabilités".
M. Aoun avait appelé au dialogue dans un discours prononcé la semaine dernière, dans lequel il avait précisé que la question de la stratégie de défense, et donc de l'intégration à celle-ci des armes du Hezbollah, devait être abordée.
Nasrallah aurait pu être "plus calme"
Le président Aoun a estimé, par ailleurs, que le discours du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah lundi soir, dans lequel il s'en est pris avec virulence à l'Arabie saoudite, "aurait pu être plus calme". "Il est dans l'intérêt du Liban aujourd'hui que de bonnes relations soient maintenues avec Riyad et, pour cette raison, il faut baisser d'un ton" lorsqu'on évoque le royaume saoudien, a-t-il ajouté, affirmant que ce pays "a, de 2017 à aujourd'hui, appliqué les mesures les plus strictes possibles à l'encontre du Liban".
Il a encore indiqué que, selon lui, les "divergences" entre le parti chiite et Riyad sont notamment liées à la guerre au Yémen, où l'Arabie mène une coalition contre les rebelles houthis, soutenus par l'Iran et le Hezbollah, et que "lorsque cette guerre prendra fin, les relations entre Riyad et Téhéran s'amélioreront, ce qui aura des répercussions positives pour le Liban".
En 2017, le Premier ministre libanais d'alors Saad Hariri avait annoncé sa démission depuis l'Arabie, dénonçant la mainmise du Hezbollah sur la politique du pays, certains assurant que cette annonce a été faite alors que le président du Conseil était détenu contre son gré à Riyad. Depuis, le royaume saoudien s'est désintéressé du Liban pendant plusieurs années, avant de prendre, il y a plusieurs mois, d'importantes mesures de rétorsion, au niveau économique et diplomatique, contre Beyrouth, entraînant dans son sillage plusieurs autres monarchies du Golfe.
Cette crise a été déclenchée par des propos de l'ex-ministre de l'Information Georges Cordahi concernant l'implication saoudienne dans le conflit au Yémen, mais visait surtout à mettre une pression renouvelée contre l'influence du Hezbollah, comme l'ont affirmé à plusieurs reprises des dirigeants et responsables saoudiens. Si un relâchement des tensions semblait avoir été observé suite à une visite du président français Emmanuel Macron à Djeddah et à une initiative franco-saoudienne annoncée en faveur du Liban, comprenant notamment des aides humanitaires, et qu'à cette occasion le prince héritier Mohammad ben Salmane avait même appelé M. Mikati, aucune avancée tangible n'a encore été observée. Les déclarations de lundi du chef du Hezbollah, dans lesquelles il accusait l'Arabie saoudite d'être "terroriste" et de se servir des Libanais résidant dans le Golfe pour "menacer" Beyrouth, tombaient donc mal face à cette volonté d'un rééquilibrage des relations, et MM. Mikati et Aoun ont d'ailleurs tenu à s'en démarquer.
commentaires (12)
ça sent le deal pourri.
PPZZ58
19 h 39, le 05 janvier 2022