Gebran Bassil a ouvert la boîte de Pandore. Son discours, principalement adressé dimanche à son partenaire chiite, le Hezbollah, a réveillé les vieux démons. S’attaquant frontalement à un sujet considéré tabou pour le parti de Hassan Nasrallah, à savoir son entente sacrée avec le mouvement Amal avec lequel il monopolise la scène chiite, le chef du Courant patriotique libre (CPL) s’est attiré les foudres du numéro deux d’Amal, Ali Hassan Khalil. Ce dernier a été jusqu’à accuser le chef de l’État, Michel Aoun, d’être un « seigneur de la guerre de “libération” de 1988 qui a coûté la vie à des chrétiens et des musulmans, en raison de son appétit du pouvoir ».
L’ancien ministre des Finances, qui fait par ailleurs l’objet d’un mandat d’arrêt lancé par le juge Tarek Bitar dans le cadre de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, a voulu remettre M. Bassil en place, en répondant du tac au tac à presque toutes les accusations que ce dernier avait adressées la veille à Amal, avant de les lui renvoyer. Soit, principalement, la politique d’obstruction, la corruption et l’affairisme politique, que les deux formations sont d’ailleurs accusées d’avoir pratiqué à outrance. Ayant choisi de s’exprimer avant que le secrétaire général du Hezbollah ne prononce son discours à 18h (voir par ailleurs), le député berryiste a souhaité lancer une riposte ferme avant que Hassan Nasrallah ne cherche à éteindre l’incendie, comme on l’avait laissé entendre dans les milieux de ce dernier. D’ailleurs, le chef du Hezbollah a décidé de reporter à une date ultérieure ce sujet, préférant que les discussions pour « développer » l’alliance de Mar Mikhaël restent confinées aux coulisses.
« Les Libanais savent qui a déformé la démocratie consensuelle en bloquant l’État et les décisions du Conseil des ministres pour faire passer des marchés », a ainsi lancé le bras droit de Nabih Berry, en allusion à l’époque où Gebran Bassil a tour à tour officié comme ministre des Télécoms puis ministre de l’Énergie. Ali Hassan Khalil a surtout coupé court aux velléités à peine dissimulées de M. Bassil de vouloir provoquer une scission du tandem chiite, assurant que l’alliance d’Amal avec le Hezbollah « ne sera pas affectée par des propos provocateurs ».
Or M. Bassil le sait pertinemment : l’unité de la rue chiite constitue une ligne rouge pour le Hezbollah qui n’acceptera jamais de faire passer l’entente avec le CPL aux dépens de son alliance avec Amal. Son discours n’aurait par conséquent d’autres objectifs que celui de manier toutes les cartes de pression en sa possession. D’abord pour amadouer sa base chrétienne en amont des législatives en donnant l’impression de reprendre le contrôle, ensuite pour tenter d’améliorer sa situation en amont de la présidentielle. Tiraillé entre deux candidats chrétiens qui se trouvent être ses alliés mais en pleine rivalité entre eux – Gebran Bassil et le chef des Marada, Sleiman Frangié –, le Hezbollah ne s’est toujours pas prononcé sur l’identité de son favori.
Divorce entamé
Durant les deux dernières semaines, le CPL a fait courir des rumeurs selon lesquelles il serait désormais disposé à annoncer le divorce avec le Hezbollah, devenu un fardeau pour le courant chrétien qui n’arrive plus à convaincre sa base de la pertinence de son alliance avec le parti chiite, accusé entre autres de couvrir la corruption de son allié chiite Amal, au nom de la pacification et de l’unité de la rue chiite. C’est précisément ce point que M. Bassil a voulu dénoncer dans son discours, estimant que le resserrement des rangs chiites ne saurait se faire aux dépens de l’unité du pays.
Gebran Bassil a ainsi critiqué l’alliance entre le Hezb et Amal, estimant que c’est à cause de cette alliance que le Hezbollah prend des décisions qui, selon lui, impactent l’entente de Mar Mikhaël. Une entente conclue en 2006 entre le parti chiite et le CPL qui remet aujourd’hui sa raison d’être, plusieurs clauses de l’accord étant restées lettre morte selon lui. « Lorsque l’on découvre que la partie qui décide face à nous dans le cadre de l’entente, c’est Amal, nous avons le droit de demander une révision de cet accord », a lancé le chef du CPL. M. Bassil a affirmé qu’il n’ira pas jusqu’à rompre cet accord qui devrait toutefois être « amélioré ». Une requête à laquelle Hassan Nasrallah a répondu hier soir en soulignant qu’il est prêt à « développer » cette alliance, tout en ajoutant que cela nécessitait « de la transparence » entre les deux parties.
« M. Bassil sait que l’opinion chrétienne ne le suit plus et que s’il souhaite revenir dans les bonnes grâces de l’Occident et particulièrement des États-Unis, il doit se distancer du Hezbollah », commente Karim Bitar, politologue convaincu que le processus du divorce entre le CPL et le parti de Dieu, déjà entamé, est désormais irréversible.
Présidence vs changement de régime
Le chef du CPL a tenté de manier deux autres cartes présumées plus redoutables, celle du changement du système politique et de la question de l’arsenal du parti chiite qui doit faire l’objet d’un dialogue sur la stratégie de défense nationale, une requête déjà formulée par le président Michel Aoun dans son discours du 27 décembre dernier. « La résistance doit rester sous la coupe de l’État et non au-dessus de lui. On ne peut pas se permettre de perdre l’État pour la résistance », a-t-il lancé sans sourciller. M. Bassil a été un cran plus loin en préconisant carrément la nécessité d’un changement du régime politique libanais devenu, dit-il, « un régime de veto communautaires ».
Le chantage consiste en cette formule : la présidence ou le changement du régime politique, résume notre chroniqueur politique Mounir Rabih.
Une équation périlleuse que le CPL n’a toutefois pas les moyens de mettre en œuvre. Ayant perdu en cours de route la majorité de ses alliés et terni son image de parti réformateur, le courant aouniste ne peut plus prétendre au pouvoir comme en début de mandat. Plus que jamais, il a besoin d’un appui ponctuel du parti chiite pour les prochaines législatives pour se relever. M. Bassil l’a d’ailleurs admis dans son discours. « Nous avons fait nos calculs et évidemment nous sommes plus forts si nous nous allions au Hezbollah lors du scrutin », a-t-il dit, justifiant son refus de rompre avec le parti de Dieu par le risque de perdre sa crédibilité.
Conscient de la vulnérabilité du Hezbollah qui subit des pressions monstres aussi bien sur le plan interne qu’externe, le chef du CPL n’a pas manqué de souligner cette fragilité en rappelant au parti chiite que l’entente de Mar Mikhaël avait été conclue « en réaction à la tentative de la communauté internationale et ses partenaires libanais d’isoler » le parti chiite. Une menace qui continue d’exister, a-t-il laissé entendre, signifiant que le Hezbollah a toujours besoin de son partenaire chrétien.
« Le Hezbollah a une tâche extrêmement difficile. Il ne veut pas d’escalade. Il ne peut que pratiquer la politique de l’endiguement avec le CPL », commente Kassem Kassir, un analyste proche du parti chiite qui se dit convaincu que ce dernier va donner toutes ses chances au dialogue et calmer le jeu. Un avis rejoint par Karim Bitar qui souligne que le Hezbollah va temporiser en faisant croire à M. Bassil que son message a été bien reçu. « Le Hezbollah ne changera rien sur le fond », conclut le politologue.
commentaires (12)
"On ne peut pas se permettre de perdre l’État pour la résistance ". Mme Jalkh vous avez omis la suite de la phrase ci dessus ......Nous accepterons de perdre des sièges aux prochaines législatives plutôt que perdre l'état .
Hitti arlette
21 h 39, le 04 janvier 2022