La question de l’ouverture d’une session parlementaire extraordinaire n’est pas la moindre des manifestations du bras de fer opposant le président de la République Michel Aoun au chef du législatif Nabih Berry. Les députés du mouvement Amal cherchent en effet à faire suivre la session ordinaire achevée le 31 décembre d’une session extraordinaire, demandant au chef de l’État de convoquer la Chambre par décret, selon les règles de la Constitution. Pourquoi le sujet est-il si brûlant ? Non pas tant parce que ces députés sont pressés de faire passer de nouvelles lois qui serviraient les intérêts du peuple, surtout qu’eux-mêmes entendent continuer de bloquer avec le Hezbollah les réunions du gouvernement jusqu’à ce que le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, soit écarté de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth. Mais surtout parce qu’un Parlement en pleine session assure leur immunité constitutionnelle aux députés, dont deux affiliés à Amal sont poursuivis actuellement par M. Bitar. Toutefois, le sujet ne semble pas à l’ordre du jour pour M. Aoun, et les milieux du mouvement Amal se demandent si ce qu’ils appellent son « atermoiement » ne représente pas sa volonté de soustraire les députés en question à l’immunité dont ils bénéficient durant les sessions.
Les deux députés et anciens ministres berrystes Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter sont mis en cause par le juge d’instruction : le premier fait même l’objet d’un mandat d’arrêt lancé le 12 octobre 2020 (trois jours avant une session ordinaire qui s’était ouverte le 15 octobre), mais qui n’avait pas été exécuté. Le 9 décembre, M. Bitar avait demandé une nouvelle fois l’arrestation immédiate de M. Khalil, mais l’avocat général près la Cour de cassation, Imad Kabalan, avait transmis ce mandat au directeur des FSI, le général Imad Osman, en lui demandant de l’exécuter seulement lorsque le Parlement est hors session, c’est-à-dire après le 31 décembre... Or cela n’a toujours pas été fait. Quant à Ghazi Zeaïter, il n’a toujours pas comparu aux convocations du juge d’instruction. Des observateurs estiment que le groupe parlementaire de Nabih Berry a plus d’une raison pour souhaiter l’ouverture immédiate d’une session extraordinaire : outre le fait de garantir l’immunité de MM. Khalil et Zeaïter, ce groupe chercherait à créer une commission d’enquête parlementaire qui soumettrait tous les responsables politiques mis en cause dans cette affaire à la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres, une juridiction qui n’a jamais siégé.
Les conditions des Forces libanaises
Si Mohammad Khawaja, membre du groupe Amal, considère que les actes commis par les ministres doivent être examinés par la juridiction spéciale précitée, il dément toutefois que l’insistance de son camp à ouvrir une nouvelle session soit motivée par la volonté de mettre en œuvre un tel processus judiciaire. « L’assertion est futile », dénonce-t-il via L’Orient-Le Jour, soulignant que « l’enjeu de réunir les députés est important, à savoir voter les nombreuses propositions de loi en attente ». « À l’approche des élections législatives, le temps presse », poursuit M. Khawaja, notant qu’« à l’ouverture de la session ordinaire (21 mars), les députés candidats seront déjà très préoccupés par leurs campagnes électorales et les non-candidats ne seront plus motivés à travailler, parce qu’ils se verront déjà hors de l’hémicycle ».
Un autre membre du groupe parlementaire de M. Berry, Kassem Hachem, déplore également que de nombreux textes examinés par les commissions mixtes ne soient pas encore adoptés, notamment « les lois sur le contrôle des capitaux, la concurrence, les municipalités, etc. ». Il affirme qu’« il est de coutume que le chef de l’État signe le décret d’ouverture d’une session extraordinaire avant même que la session ordinaire ne s’achève ». « Le retard du président Aoun serait-il dû à des calculs liés à la question des immunités ? » se demande-t-il, estimant que « le cas échéant cette question ne justifie pas l’entrave à l’adoption de lois liées à la bonne marche de l’État et des affaires des citoyens ». Affirmant d’ailleurs que, dans la majorité des pays, les sessions parlementaires se tiennent tout au long de l’année entrecoupées par un seul mois de vacances annuelles, M. Hachem prône l’élaboration d’une loi en ce sens.
Du côté du palais de Baabda, on affirme que la question de l’ouverture d’une session extraordinaire « n’est pas encore posée ». « On attend le retour du chef du gouvernement, Nagib Mikati », affirme un proche du palais, se référant à l’article 33 de la Constitution qui donne le pouvoir au président de la République, « en accord avec le chef du gouvernement », de convoquer la Chambre des députés à des sessions extraordinaires par un décret déterminant la date d’ouverture et de clôture des sessions, ainsi que leur ordre du jour. Son propos est réfuté par Kassem Hachem. « Selon mes informations, M. Mikati a proposé au président Aoun l’ouverture de la session, mais ce dernier ne s’est pas montré coopératif », soutient-il.
M. Hachem évoque le même article 33 qui impose par ailleurs au président de la République de convoquer la Chambre des députés à une session extraordinaire si la majorité absolue de l’ensemble de ses membres le demande. Une pétition a dans ce cadre été établie jeudi dernier, qu’ont signée – ou s’apprêtent à signer –, outre les 17 députés du mouvement Amal, des députés de différents camps politiques, notamment du Hezbollah, du Parti socialiste progressiste (PSP) et du courant du Futur, afin d’enclencher l’ouverture d’une session. Pour leur part, les Forces libanaises (FL) ne comptent pas s’y joindre. « Les députés FL ne signeront pas la pétition tant que le gouvernement n’est pas réactivé », tranche Charles Jabbour, porte-parole de la formation de Samir Geagea, insistant sur « la dynamisation de toutes les institutions de l’État, plutôt que l’une aux dépens de l’autre ».
Pas d’amalgame avec l’instruction judiciaire
À l’opposé, Bilal Abdallah, député du PSP, estime que « face à un gouvernement qui ne se réunit pas, le Parlement doit continuer à travailler ». « Nous allons signer la pétition », affirme-t-il à L’OLJ, pensant toutefois que les parlementaires n’auront pas à compléter leur démarche. « Dans les circonstances exceptionnelles que traverse le pays, le président Aoun signera de son propre chef le décret de convocation », suppute-t-il. La source précitée proche de Baabda reconnaît à cet égard « la nécessité d’adopter des lois réformistes et requises par le Fonds monétaire international », ainsi que « les textes dormants, relatifs notamment à la récupération des capitaux transférés à l’étranger, à l’assurance-vieillesse, etc. ».
Interrogé pour savoir si ce n’est pas la question de l’immunité des députés qui motive son parti à réclamer la réunion de la Chambre, Bilal Abdallah rappelle qu’en tout état de cause le mandat d’arrêt contre Ali Hassan Khalil n’a pu être exécuté lorsque le Parlement était hors session avant le 15 octobre, ni depuis que la dernière session s’est achevée le 31 décembre.
La source proche du palais présidentiel affirme de son côté que le président Aoun « ne fait pas d’amalgame avec l’instruction judiciaire ». Cette source évoque un avis juridique selon lequel « une session parlementaire n’est pas un obstacle aux poursuites d’un député si celles-ci ont été enclenchées hors session ».
Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, nuance cette approche en affirmant que « même si les poursuites ont été engagées hors session, la Chambre peut dès l’ouverture d’une session demander au juge d’instruction de surseoir à ses démarches jusqu’à la fin de cette session ».
commentaires (5)
On nous prend pour des imbéciles. La vérité est que la médiocrité est tellement enracinée que l'espoir devient un mensonge pour soi.
PPZZ58
20 h 15, le 05 janvier 2022