Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Éclairage

La démission de Hamdok plonge le Soudan dans l’inconnu

La démission de l’ancien Premier ministre prive les forces armées de leur façade civile et confirme les contestataires dans leur aspiration à défendre coûte que coûte la transition démocratique.

La démission de Hamdok plonge le Soudan dans l’inconnu

Des contestataires soudanais rassemblés lors d’une manifestation contre le coup d’État du 25 octobre, dans la capitale Khartoum, le 2 janvier. Des milliers de manifestants soudanais prodémocratie se sont rassemblés devant le palais présidentiel à Khartoum, bravant les gaz lacrymogènes, un déploiement massif de soldats armés et des moyens de télécommunications coupés. Photo AFP

La démarche est doublement significative : en soumettant sa démission dimanche, soit deux mois après être revenu au pouvoir dans le cadre d’un accord politique conclu avec les militaires, le Premier ministre soudanais Abdalla Hamdok dépouille officiellement les autorités de leur façade civile, qui paraissait plus factice que jamais depuis le coup de force du 25 octobre – quand l’armée menée par le général Abdel Fattah el-Burhane a placé le chef du gouvernement en résidence surveillée et emprisonné les membres de son cabinet –. Dans le même temps, si cette initiative permet de sortir d’une hypocrisie certaine et témoigne au grand jour de l’inappétence originelle des militaires pour toute véritable transition vers un État civil, elle plonge aussi le pays un peu plus dans l’inconnu.

Pourtant, la démission de Abdalla Hamdok était prévisible. Pour de nombreux analystes, elle est même survenue plus tard qu’ils ne l’avaient imaginé. Elle intervient alors que le pays est en proie à une contestation massive contre le coup de force des militaires et l’accord tissé par la suite entre le Premier ministre et le chef de l’armée. Un deal perçu par des franges de la population comme artificiel puisqu’elles considèrent qu’il est impossible de faire confiance aux militaires, confirmées dans cette conviction par leurs actions depuis le début de la transition en 2019, et plus encore, depuis le 25 octobre. La mobilisation exige des forces armées qu’elles ne jouent aucun rôle dans la transition vers des élections libres, ainsi que justice soit rendue pour ceux qui sont tombés lors du soulèvement de décembre 2018 contre l’ancien dictateur Omar el-Bachir.

Crise économique et effusion de sang

Dans le discours tenu dimanche pour expliciter sa démarche, Abdalla Hamdok a insisté sur l’échec de ses tentatives de médiation entre civils et militaires « en vue de parvenir à un consensus nécessaire pour tenir la promesse [faite] à notre peuple de paix, de justice et de [lui épargner] les effusions de sang ». Quelques heures auparavant, les forces de sécurité avaient tué trois manifestants, élevant le nombre de morts depuis le coup à 57.

Pour mémoire

L’accord entre Abdallah Hamdok et l’armée en ligne de mire de la contestation

Économiste de renom, Abdalla Hamdok avait été nommé Premier ministre quelques mois après la déposition d’Omar el-Bachir en avril 2019. Le gouvernement civil dont il était à la tête devait conduire le Soudan sur la voie de la démocratie, conjointement avec le Conseil souverain, une instance transitionnelle à majorité civile mais dirigée par les militaires. Dès le départ, le technocrate savait qu’il aurait affaire à une multitude de défis : une violente crise économique, une pénurie de produits de base et le devoir de reconstruire un secteur bancaire au bord de l’effondrement. Depuis 2019, l’inflation a pu dépasser les 400 % même si en août et en septembre elle est retombée en dessous de ce seuil. L’obligation d’imposer des mesures drastiques à la population pour répondre aux demandes de la communauté internationale ont contribué au déclin de la popularité d’Abdalla Hamdok, même si celle-ci est remontée de manière fulgurante après sa mise en résidence surveillée. Beaucoup avaient alors salué le courage d’un homme qui avait continué à appeler à la poursuite de la transition plutôt que de se soumettre tout de suite aux desiderata des militaires.

Cet engouement a néanmoins été de courte durée. Pour la contestation, l’accord du 21 novembre et le retour au pouvoir d’Abdalla Hamdok au pouvoir dans ces conditions a tout simplement équivalu à une légitimation du coup. À tel point qu’à peine quelques jours après cette réintégration, douze ministres ont présenté leur démission pour protester contre le deal. « Abdalla Hamdok avait dit qu’il avait deux objectifs en revenant au pouvoir : faire cesser la violence et sauver le programme économique du Soudan. Or, symptôme de cet accord du 21 novembre, aucune de ces deux choses n’a eu lieu », commente Mat Nashed, analyste politique sur le Soudan. « L’assistance au développement de la communauté internationale n’a pas repris et Abdalla Hamdok a été dans l’incapacité de nommer les membres du cabinet à cause des lignes rouges qui lui ont été opposées par la junte », poursuit-il, prenant l’exemple de Jibril Ibrahim, chef du groupe rebelle Mouvement pour la justice et l’égalité mais également ministre des Finances, qui avait exprimé son soutien à l’armée avant le coup et a poursuivi ses activités gouvernementales après. « Il semblerait que la communauté internationale, quelles qu’aient été les choix d’Abdalla Hamdok, voulait que Jibril Ebrahim soit remplacé. Or ce n’était pas possible. Hamdok a compris qu’il n’aurait pas l’espace qu’il lui fallait et qu’il serait complice des effusions de sang. »

Comités de résistance

Côté pile, la démission d’Abdalla Hamdok permet d’appréhender la situation au Soudan pour ce qu’elle est véritablement. Plus qu’un coup de force, un coup d’État. Côté face, elle interroge. Quelles possibilités pour le mouvement démocratique soudanais et quelles options pour les forces armées, dans toute leur diversité – l’armée officielle soudanaise, les forces de soutien rapide de nature milicienne et les groupes rebelles parties prenantes à l’accord de Juba signé en octobre 2020 – ? Car le général Burhane est loin de concentrer à lui seul le monopole de la violence d’État et doit faire face à trois défis majeurs. Préserver d’abord l’accord de Juba signé avec cinq groupes rebelles issus des régions du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu. Ces derniers avaient théoriquement accepté de déposer les armes en échange d’une meilleure inclusion dans le partage des richesses de leurs régions historiquement marginalisées. Affronter ensuite, l’absence d’homogénéité au sein de l’armée officielle qui contraint son chef à s’appuyer sur Hemeti, leader des Forces de soutien rapide, partenaire mais aussi rival avec qui il se trouve à couteaux tirés depuis 2019, au sujet du contrôle de l’économie, des forces paramilitaires et des agences de renseignements. « Il y a plusieurs scénarios. Si la contestation se poursuit avec la même ampleur, cela pourrait encourager des officiers de l’armée à se rebeller contre Burhane et à l’arrêter. Si cela arrive, cela pourrait mener à une guerre civile entre l’armée et les forces de soutien rapide de Hemeti », avance Jihad Mashamoun, analyste spécialisé sur le Soudan. Le chercheur évoque également la possibilité qu’une partie des groupes rebelles au sein du Front révolutionnaire soudanais – coalition qui a signé l’accord de Juba en 2020 – fassent pression sur le général et sur Hemeti afin qu’ils renoncent au pouvoir et le remettent à des civils, en échange d’une immunité que ce soit pour les crimes commis durant la guerre au Darfour ou contre les contestataires lors du soulèvement populaire amorcé en décembre 2018. « Ces groupes rebelles ont déjà été confrontés à la pression de la rue pour leur participation à l’arrangement transitionnel, même s’ils ont condamné le coup », note M. Mashamoun.

Lire aussi

Au Soudan, le général Burhane joue sur tous les tableaux

Si le processus démocratique soudanais semble pour l’heure agoniser, c’est toutefois sans compter sur la ténacité des contestataires, des comités de résistance et de l’opposition civile aux militaires, déterminés à freiner les élans de la contre-révolution. « La véritable question aujourd’hui est que peut faire la communauté internationale pour renforcer la pression contre la junte et pousser à un processus de dialogue national qui ne mettrait plus la rue de côté », souligne Mat Nashed. « Les comités de résistance ramifient des régions négligées dans le pays, les régions périphériques. Quelles que soient les demandes qui en émanent, elles susciteront toujours un consensus plus fort que n’importe quelles exigences formulées par des puissances extérieures, des institutions internationales ou des élites soudanaises. Il est donc essentiel que ces dernières appuient ces demandes et qu’elles poussent à leur centralisation dans un dialogue national ».

La démarche est doublement significative : en soumettant sa démission dimanche, soit deux mois après être revenu au pouvoir dans le cadre d’un accord politique conclu avec les militaires, le Premier ministre soudanais Abdalla Hamdok dépouille officiellement les autorités de leur façade civile, qui paraissait plus factice que jamais depuis le coup de force du 25 octobre – quand...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut