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Monde - Soudan

L’accord entre Abdallah Hamdok et l’armée en ligne de mire de la contestation

À la suite de la levée de son assignation à résidence, le Premier ministre a signé dimanche un accord avec le général Burhane – homme fort du pays depuis le coup d’État du 25 octobre – entérinant ainsi un nouveau Conseil de souveraineté dont le versant autrefois procivil a été remplacé par des membres favorables aux militaires.

L’accord entre Abdallah Hamdok et l’armée en ligne de mire de la contestation

Le Premier ministre soudanais Abdallah Hamdok lors de la cérémonie de signature d’un accord avec le général en chef Abdel Fattah al-Burhane pour rétablir la transition vers un régime civil dans le pays, le 21 novembre 2021. Photo AFP

Il ne reste plus que la rue, la seule, aujourd’hui, à pouvoir contrecarrer le désir de toute-puissance des forces armées soudanaises, la seule à pouvoir empêcher le triomphe trompeur des apparences. Car si, à première vue, le retour du chef du gouvernement Abdallah Hamdok à son poste après plusieurs semaines d’assignation à résidence – faisant suite au coup d’État du 25 octobre – peut s’apparenter à un (léger) revers pour les militaires, la réalité est autrement pernicieuse. Le général Abdel Fattah al-Burhane et M. Hamdok ont beau avoir salué dimanche le nouvel accord qui les lie comme une réalisation majeure, convenu d’amender le document constitutionnel pour assurer une participation politique globale, prévu la libération de tous les détenus politiques, une enquête sur les violences contre les contestataires depuis le putsch et la traduction des personnes impliquées en justice… Personne ou presque ne croit à la transition, tout du moins pas sous cette forme et dans ces conditions.

Les Forces pour la liberté et le changement (FFC), alliance hétéroclite en première ligne dans le soulèvement de décembre 2018 qui a conduit à la chute du dictateur Omar al-Bachir en avril 2019 – ont d’emblée rejeté ce nouvel accord, appelant à ce que les dirigeants du coup d’État soient jugés pour avoir sapé les bases du nouveau régime et pour leurs crimes contre des manifestants. Un message clair venant de ceux qui avaient paraphé aux côtés de leurs adversaires militaires la déclaration constitutionnelle d’août 2019, symbole du compromis choisi en vue d’une transition démocratique voulue pacifique.

2023

Dans la même veine, les Comités de résistance soudanais – fer de lance de la révolution et à l’avant-poste des mobilisations dans le pays depuis le coup d’État – se sont, dès l’amorce des négociations chapeautées par la communauté internationale, montrés fermement opposés à tout accommodement avec les militaires. « L’accord ne présente aucun véritable gain pour les civils. Ce que l’on a en revanche, ce sont des militaires qui semblent avoir consolidé leur position en choisissant les éléments de la transition qui existent dans le document constitutionnel qu’ils souhaitent prioriser », explique Kholood Khair du groupe de réflexion Insight Strategy Partners. « Les civils ne devraient avoir aucun contrôle car ce que prévoit ce nouveau document c’est d’écarter les FFC qui faisaient partie de l’accord de 2019. Il ne bénéficie d’aucun consensus, d’aucun calendrier, personne n’a été consulté. C’est surtout le résultat d’une action unilatérale de M. Hamdok mais aussi de membres des forces de sécurité. »

Désormais, ces dernières ne sont plus tenues de remettre bientôt aux civils la direction du Conseil de souveraineté – une instance de transition à majorité civile mais dirigée par les militaires – comme le prévoyait la feuille de route de 2019 relative au processus démocratique transitoire. Le nouvel homme fort du pays, le général Burhane, devrait ainsi rester aux commandes au moins jusqu’aux élections prévues en 2023.

Du côté des partisans d’un régime civil, tous considèrent que la séquence qui vient de se jouer a été finement calculée par M. Burhane et son acolyte, Mohammad Hamdan Daglo, dit « Hemetti », à la tête des Forces paramilitaires de soutien rapide, dont la renommée doit beaucoup aux massacres commis dans la région du Darfour. Autant dire que la démarche de Abdallah Hamdok n’est du goût de personne, si ce n’est, dans une certaine mesure, de la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni qui ont salué hier le retour du Premier ministre au pouvoir tout en appelant à libérer plus de détenus. Quant à l’axe saoudo-émirato-égyptien, il peut rire sous cape : son poulain est pour l’heure toujours en position de force, mais bénéficie d’une façade civile qui pourrait convenir aux alliés occidentaux. Depuis le coup d’État du 25 octobre, le général Burhane est resté à la tête du Conseil de souveraineté au sein duquel il a remplacé les membres du versant procivil par des personnalités dites « apolitiques », soit des civils qui lui sont proches.

Pas confiance

En faisant le jeu de l’armée et plus généralement des forces de sécurité, Abdallah Hamdok a perdu le crédit qui lui restait auprès de larges franges de la contestation. « Hamdok a vendu la révolution », ont d’ailleurs scandé nombre de manifestants après l’annonce de l’accord. « Le retour de Hamdok au pouvoir a été un choc pour la rue, surtout qu’il est revenu en acceptant des conditions qu’il avait rejetées avant le coup d’État », estime Ibrahim Hosha, un activiste basé à Khartoum. Pour l’Association des professionnels soudanais (SPA), colonne vertébrale des FFC, ce nouveau compromis est « perfide ».

« Il y a deux ans, la majorité des groupes prodémocratie, la majorité des parties affiliées aux FFC s’étaient entendues pour considérer M. Hamdok comme celui qui pouvait guider les Soudanais à la tête d’un gouvernement de transition en temps critique », rappelle Mahmoud Alwali, porte-parole du Comité central des médecins du Soudan (CCSD), qui fait partie de la SPA, elle-même membre des FFC. « Mais avec cet accord, je crois qu’il va perdre – qu’il a en fait déjà perdu – ses alliés. La majorité des Soudanais savent qu’on ne peut pas faire confiance à l’armée. Les gens ne veulent pas de partage du pouvoir avec elle », ajoute-t-il, précisant que même avant le coup d’État, « M. Hamdok n’arrivait pas à fixer des limites, à taper du poing sur la table face aux militaires. Alors sans aucun appui à présent, il est particulièrement faible ».

Devenu l’emblème de la lutte des Soudanais contre l’armée après le coup d’État et son placement en résidence surveillée, Abdallah Hamdok est aujourd’hui honni, voire renvoyé dans le camp des contre-révolutionnaires. Depuis dimanche, la population est descendue par milliers dans les rues de Khartoum et s’est à nouveau heurtée à la répression des forces armées. Youssef Abdel Hamid n’avait que seize ans. Son nom est venu s’ajouter à la liste des 40 personnes tuées depuis le putsch. « La situation oppose d’un côté l’ancien régime, avec Hamdok et les militaires, et de l’autre la rue à qui se sont ajoutés après l’accord les partis politiques de l’opposition. C’est dans la rue que ce conflit va se jouer maintenant », dit Ibrahim Hosha.

Il ne reste plus que la rue, la seule, aujourd’hui, à pouvoir contrecarrer le désir de toute-puissance des forces armées soudanaises, la seule à pouvoir empêcher le triomphe trompeur des apparences. Car si, à première vue, le retour du chef du gouvernement Abdallah Hamdok à son poste après plusieurs semaines d’assignation à résidence – faisant suite au coup d’État du 25...

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