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Monde - Éclairage

Au Soudan, le général Burhane joue sur tous les tableaux

Alors que face à la communauté internationale, les discours d’apaisement se multiplient, l’homme fort de Khartoum tente dans le même temps d’accroître son emprise sur les institutions.

Au Soudan, le général Burhane joue sur tous les tableaux

Des jeunes Soudanais brandissent le drapeau national lors d’une manifestation contre le coup d’État militaire à Khartoum, le 4 novembre 2021. Photo AFP

Si le processus démocratique soudanais est en danger, le coup d’État organisé le 25 octobre dernier par le chef de l’armée, le général Burhane, pourrait sembler lui aussi avoir du plomb dans l’aile, pris en étau entre la mobilisation de la rue et les pressions de la communauté internationale. Même les alliés régionaux des forces armées se sont résolus – sous l’impulsion des États-Unis – à lancer un appel à la « restauration immédiate » du gouvernement civil renversé par les militaires à Khartoum. Dans une déclaration conjointe publiée mercredi, Riyad et Abou Dhabi – avec qui l’état-major soudanais entretient d’étroites relations – ont affirmé, aux côtés de Washington et de Londres, « partager la grande préoccupation de la communauté internationale » et ont appelé « toutes les parties à faire preuve de coopération et d’unité pour parvenir à cet objectif crucial ».

Dans la foulée, le général Burhane a ordonné jeudi la libération de quatre ministres arrêtés le 25 octobre dans un contexte marqué par les efforts des Nations unies pour désamorcer la crise. L’envoyé spécial de l’ONU pour le Soudan, Jeffrey Feltman, avait déclaré la veille que les pourparlers avaient, pour l’heure, dessiné les contours d’un éventuel accord sur un retour au partage du pouvoir entre civils et militaires. Un deal qui prend également en compte la restauration du Premier ministre déchu, Abdallah Hamdok, précisant toutefois que cette démarche devait se concrétiser en « jours et non en semaines », afin d’éviter entre-temps un durcissement des positions.

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M. Burhane a rencontré mercredi l’émissaire de l’Union africaine (UA), Olusegun Obasanjo, et affirmé, selon l’agence de presse soudanaise SUNA, qu’« un gouvernement de technocrates » était « sur le point d’être mis en place ». Le bureau du général a en outre publié jeudi une déclaration faisant suite à son entretien téléphonique avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken. « La formation du gouvernement » serait « imminente » a, pour sa part, confié au cours de la même journée le conseiller en communications du général Burhane, Taher Abouhaga. « Les États-Unis ont beaucoup investi dans le soutien à la transition à la démocratie au Soudan et ne veulent pas que ces efforts soient remis en question par le coup d’État, qui contribuerait à dégrader leur image sur le continent africain et à remettre en question le thème du soutien à la démocratie à l’échelle mondiale que l’administration Biden met en avant », souligne Suliman Baldo, conseiller principal à The Sentry, un groupe d’enquête et de politique axé sur les crimes de guerre en Afrique. Dans cette optique, Washington a suspendu une partie de son aide de 700 millions de dollars au Soudan, dans le sillage du putsch. « Ce que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis tentent de faire, c’est de maintenir leurs bonnes relations avec Washington tout en trouvant le moyen de soutenir Burhane », poursuit le spécialiste, qui évoque la volonté des deux pays du Golfe d’appuyer une transition où les militaires auraient « la main haute », afin qu’ils puissent bénéficier de leurs « services de mercenariat ». Que ce soit au Yémen ou en Libye, Riyad et Abou Dhabi ont effectivement pu compter sur l’envoi par les forces armées soudanaises de ressources humaines pour combattre à leurs côtés. S’ajoutent à cela les intérêts économiques considérables qui résultent de leurs liens avec Khartoum. « Ce qui a poussé les militaires à prendre le pouvoir, c’est la protection de leurs biens pécuniaires hérités de la période de Omar al-Bachir. Les entreprises commerciales des forces armées ont pour partenaires des Émiratis et des Saoudiens », rappelle M. Baldo. « Il y a un niveau d’affaires personnelles et institutionnelles avec les compagnies de l’armée soudanaise au sein desquelles ils peuvent diriger des investissements ou des ressources en devises pour soutenir le régime d’une manière privée ».

Autocratique

Des déclarations saoudiennes et émiraties de façade donc, mais qui donnent à entendre, sur la forme tout du moins, quelques dissonances au sein de l’axe tripartite égypto-saoudo-émirati puisque Le Caire, de son côté, fait la sourde oreille. Beaucoup d’observateurs et d’opposants au retour à un régime militaire le soupçonnent ainsi d’avoir joué un rôle de premier plan en faveur des actions de l’armée. Le Wall Street Journal rapportait, dans son édition de mercredi, que le général Burhane aurait secrètement rencontré le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi un jour avant son coup de force au Soudan pour s’assurer de son soutien.

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Quant à Israël – avec qui Khartoum a officiellement normalisé ses relations en janvier 2021 – il s’est, jusqu’ici, d’abord distingué par son silence. Une attitude qui a pu être perçue comme la preuve d’une complaisance certaine, voire d’un appui tacite aux militaires. Et pour cause, Abdel Fattah al-Burhane a été, au cours de ces deux dernières années, la cheville ouvrière du processus de rétablissement des liens diplomatiques entre l’État hébreu et le Soudan, en contact étroit avec le Conseil de la sécurité nationale et les services de renseignements israéliens.

Dans ces circonstances, les éléments de langage des militaires ne convainquent personne ou presque du côté des opposants au coup d’État. L’émissaire américain Jeffrey Feltman lui-même a eu affaire aux promesses volatiles du général. Alors qu’il tentait, en déplacement à Khartoum le week-end précédant le putsch, de calmer les tensions entre les deux composantes – à couteaux tirés depuis des mois – M. Burhane lui avait assuré ne pas chercher à prendre le pouvoir. La suite est connue.

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Depuis le 25 octobre, les comités de résistance de quartier – l’une des colonnes vertébrales du soulèvement de 2018 – mènent la contestation, rejettent des négociations en vue d’un retour à un partage du pouvoir avec l’armée et appellent à un retrait militaire complet de la scène politique. Depuis le putsch, Abdel Fattah al-Burhane multiplie les arrestations d’activistes, tente de briser dans la violence la campagne de désobéissance civile et met en place – sans grandes annonces – des purges au sein des institutions d’État, en concentrant les efforts sur « les entités génératrices de revenus immédiats », explique M. Baldo. Depuis le 25 octobre, près de 12 manifestants ont été tués et des centaines blessés dans le cadre de la répression. « Alors qu’il s’engage dans ces pourparlers pour trouver une issue pacifique à la crise, il est, dans les faits, en train d’établir rapidement une autorité militaire autocratique et dictatoriale », estime Suliman Baldo.

Si le processus démocratique soudanais est en danger, le coup d’État organisé le 25 octobre dernier par le chef de l’armée, le général Burhane, pourrait sembler lui aussi avoir du plomb dans l’aile, pris en étau entre la mobilisation de la rue et les pressions de la communauté internationale. Même les alliés régionaux des forces armées se sont résolus – sous l’impulsion des...

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