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Nos Lecteurs ont la Parole

L’État souverain et constitutionnel aujourd’hui au Liban. Pourquoi ? Que faire ?

L’État souverain et constitutionnel  aujourd’hui au Liban. Pourquoi ? Que faire ?

Photo Nabil Ismaïl

Soumettons au tribunal suprême des idées la production de Libanais et d’auteurs étrangers qui avaient brodé, sans maturation expérimentale et sans perspective comparative, sur le « confessionnalisme », la « laïcité » et, avec ironie, sur la « sighâ al-fazza » (formule libanaise singulière) !

Quel a été le fruit après plus d’un demi-siècle ? Résultat désastreux sur trois plans au moins : justification de l’occupation, bénédiction à des politicards et imposteurs du fait que la causalité incombe au « système », délégitimation des fondements constitutionnels et historiques du Liban dans la conscience collective.

Les droits régaliens de l’État sont, par essence, dichotomiques, non négociables, non susceptibles ni de compromis (taswiya), et surtout pas de compromission (mussâwama). La réponse est exclusivement oui ou non. Depuis 1969, avec les guerres multinationales au Liban en 1975-1990, les occupations hostiles et « fraternelles » et l’armement parallèle, l’État au Liban est dépouillé de sa condition première d’existence.

Que signifie État ? Le Liban, avec ses communautés entremêlées dans un petit territoire et avec des appartenances entrecroisées (overlapping memberships), n’a en pratique aucune autre alternative que son patrimoine constitutionnel.

Nous préférons la notion de gouvernabilité, plutôt que celle de gouvernance, parce qu’il s’agit non pas des normes générales de gestion, mais des conditions particulières de gestion démocratique des régimes parlementaires pluralistes. Comment cette gestion est, peut être et devient possible ?

Quel est l’organe suprême au Liban qui tranche et n’arrange pas, non en termes de pouvoir et de rapports de force, mais en vertu des normes constitutionnelles ?

La gestion dans un esprit public de l’État implique notamment d’après la Constitution cinq perspectives :

– Il s’agit d’appliquer la règle de discrimination positive ou quota en conformité aux normes de compétence et d’intérêt général (art. 12 et 95 de la Constitution).

– Quand les gouvernements au Liban sont des mini-Parlements, le principe démocratique universel de séparation des pouvoirs est violé.

– Le nouvel article 65 de la Constitution constitue, à l’opposé de la pratique, un chef-d’œuvre de l’imagination constitutionnelle en perspective comparée.

– Le nouvel article 49 de la Constitution constitue une parfaite concrétisation de la gouvernabilité constitutionnelle durant le mandat du président Chéhab.

– L’administration régie par le principe de légalité devient fonctionnelle et un service public qui concrétise l’égalité devant la loi.

Qu’on dise que la notion même de souveraineté est aujourd’hui plus complexe, c’est une dérobade. Le monopole exclusif de la force organisée est un droit régalien matriciel sans lequel l’État n’est pas, et n’est plus, un État. Empiriquement, mais avec des discours et des idéologies d’imposture, le Liban vit depuis 1969, et encore davantage aujourd’hui, une situation de partition dont la réalisation pratique est impossible, avec un État « officiel », formel ou minimal, et un État qui « partage » le monopole, non partageable, de la force organisée.

Tout système, comme tous les membres du corps humain, comporte ses pathologies et ses thérapies. On a exploité, et même déniché, toutes les pathologies du système libanais sous couvert d’entente, de pacte, de consensus, de pluralisme, pour rendre le système ingouvernable sauf par le recours à une Sublime Porte. C’est alors la vetocratie en vue du blocage (ta’tîl) et la domination par l’application de la théorie formulée par un auteur israélien, Sammy Smooha, de « Minority Control ».

Cela implique un profil personnel du chef de l’État. Les amendements de 1990, contrairement à des perceptions dominantes, sont venus confirmer le rôle du président de la République. Le grand obstacle réside dans une psyché du passé sur les salâhiyyât (attributions) du chef de l’État. C’est l’étude de la genèse de l’accord d’entente nationale et de l’article 49 de la Constitution qui apporte l’explication scientifique et pragmatique à ce problème.

La grille communautaire d’analyse ne marche plus ! Aux intellectuels sans expérience, auteurs libanais et étrangers jacobins programmés à l’étude du « confessionnalisme », journalistes à l’affût des opinions en vogue sur le marché… il s’agit de reconnaître, enfin, que le Liban actuel n’est pas divisé entre chrétiens et musulmans !

La dissension actuelle dans la réalité sociale anthropologique est entre des forces « souverainistes » à la fois chrétiennes et musulmanes contre des forces de l’Accord du Caire revisité avec l’alliance de Mar Mikhaël du 6 février 2006, c’est-à-dire avec une armée-parti liée par son armement et sa diplomatie à une Sublime Porte.

Au Liban actuel, il y a des sunnites, chiites et druzes plus maronites politiquement que des maronites qui ruminent des slogans de défense des « chrétiens » et de « droits sectaires » !

Et il y a des maronites-chiites, politiquement.

Au-delà de la médiation salvatrice et bloquée du président Emmanuel Macron et au-delà des attentes diplomatiques en ce qui concerne des négociations américano-iraniennes, il s’agit pour le Liban, pour toute la région, l’Europe, les États-Unis… de lutter contre le terrorisme international. Ce qui se passe au Liban déborde le Liban, hors du contexte traditionnel des relations internationales. Le terrorisme se déploie par des organisations transétatiques, alimentées et soutenues par des États en rupture avec la légalité nationale et internationale. Médiation, négociation, dialogue… avec des organisations terroristes ?

La crise mondiale profonde provient du « déclin du courage en Occident », comme l’exposait Alexandre Soljenitsyne le 8 juin 1978 à Harvard. On cherche à éviter, depuis le développement de l’armement atomique, les guerres et les conflits armés entre États. Cela est humainement justifié, mais ici, la lâcheté, la compromission, le dialogue diplomatique avec des États voyous sèment le désordre, brisent le tissu social des nations et propagent le fanatisme… C’est l’avenir même de la civilisation qui se trouve menacé !

Les États-Unis, l’Europe, le Liban, le monde arabe violenté et déchiqueté sont affrontés au terrorisme. On ne combat pas le terrorisme par la diplomatie du chantage, de la peur, du souci du bien-être et de la tranquillité quotidienne… sans courage, sans détermination, en banalisant le mal et la barbarie et en se soumettant au chantage.

Antoine de Saint-Exupéry écrit à propos de ceux qui cherchent à plaire : « C’est pourquoi se trompent ceux-là qui cherchent à plaire. Et pour plaire se font malléables et ductiles. Et répondent d’avance aux désirs. Et trahissent en toute chose afin d’être comme on les souhaite. Mais qu’ai-je affaire de ces méduses qui n’ont ni os ni forme ? Je les vomis et les rends à leurs nébuleuses : venez me voir quand vous serez bâtis. » (Citadelle, Gallimard, 1948, p. 241, XCVI).

La novlangue de l’imposture

Il n’y a pas de mot, concept, notion, vocabulaire quotidien au Liban que la novlangue dénoncée par George Orwell a épargnés : consensus, consociation, pactes qu’Edmond Rabbath appelle « engagements nationaux » (ta’ahudât wataniyya), entente… Il s’agit de notions qui concernent l’édification historique de nations contractuelles. Toute démocratie est par essence délibérative. On a instrumentalisé toutes ces notions pour institutionnaliser l’imposture et le non-droit.

L’émissaire du Liban à l’ONU, Lakhdar Ibrahimi, dit le 14 février 2004 aux Irakiens : « S’il y a un pays dans la région où on ne peut imaginer qu’il puisse y avoir une guerre civile, c’est bien le Liban… » Il voulait dire par là que dans la guerre dite civile, ce n’est pas la moitié de la population qui prend les armes contre l’autre moitié.

Dans une société pluraliste, c’est l’État qui représente le dénominateur commun contractuel du vivre-ensemble. Mais il ne s’agit pas d’État exclusivement institutionnel. C’est l’État profondément acculturé et inculturé à travers une historiographie aussi scientifique que pragmatique et une pédagogie de l’État.

La loi n’est pas seulement un moyen d’organisation de la société et de régulation des conflits. Elle est expression du contrat social. C’est elle qui garantit le vivre-ensemble avec constance en dépit de divergences culturelles, même profondes. Le cas de la Suisse est le plus pertinent, normatif, pédagogique, et assure l’immunité de l’unité de la Suisse dans la culture politique des Suisses.

Norbert Élias, dans La dynamique de l’Occident (1969, Poche, 1976), dresse le panorama historique de la genèse de l’État, en tant que fruit de quatre siècles pour la centralité étatique de gestion du pouvoir politique.

Les menaces internes et externes et dans l’environnement régional et international rendent le Liban message encore plus nécessaire, un besoin pour le monde d’aujourd’hui et pour la « fraternité et la paix mondiale », suivant la déclaration du pape François et du cheikh d’al-Azhar (4/2/2019), et l’encyclique du pape : La fraternité humaine (3/10/2020).

Extraits de l’intervention à la table ronde organisée par la Diaspora libanaise Overseas et le groupe d’amitié France-Liban à l’Assemblée nationale à Paris,

le 23 novembre 2021.

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Soumettons au tribunal suprême des idées la production de Libanais et d’auteurs étrangers qui avaient brodé, sans maturation expérimentale et sans perspective comparative, sur le « confessionnalisme », la « laïcité » et, avec ironie, sur la « sighâ al-fazza » (formule libanaise singulière) !Quel a été le fruit après plus d’un demi-siècle ? Résultat...
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