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Nos Lecteurs ont la Parole

Le père Noël et le père Nicolas

Le père Noël et le père Nicolas

C’était une rue quasi dénudée, aux décorations pâles et dispersées, qui pavait tristement la voie de la famille Christophe vers la petite église du quartier pour la messe de minuit, en ce Noël hanté par le variant Omicron. Des ombres itinérantes, ici et là, longeaient les sombres rideaux de fer des magasins, n’osant approcher de moins de deux mètres les passants pour demander l’aumône. C’est que les « bulles » individuelles étaient devenues plus épaisses et opaques que jamais en raison de l’individualisme, mais aussi de l’extrême transmissibilité de cette forme de Covid-19. L’enfant, escorté de ses parents, avait remarqué cette année la différence, mais aussi une absence, ce qui avait l’air de lui manquer :

– On n’a pas vu le père Noël, cette année ! Il se cache où ?

– Il respecte les nouvelles consignes sanitaires renforcées et se fait plus discret, répondit le père.

– Il se prépare malgré tout pour la distribution des cadeaux, enchaîna la mère. Et tu es sur sa liste !

– Je veux quand même le voir, avec son habit tout rouge et sa barbe blanche. Je veux entendre son rire ! Son ho-ho-ho !

– On rira tous de plus belle, au prochain Noël, après avoir reçu notre troisième ou quatrième dose de vaccin, dit le père.


Arrivés juste à temps avant la limite des 50 % de capacité du lieu de culte, ils mirent du gel désinfectant puis le masque et prirent place sur le banc disponible le plus proche de l’autel en maintenant la distance réglementaire avec la famille d’à côté.


La cérémonie, austère, débuta. Dès l’entrée du célébrant, l’enfant remarqua qu’il ressemblait étrangement au père Noël vainement recherché, de par sa corpulence, sa barbe blanche et ses traits poupins. Dans son imagination, il a « rhabillé » le prêtre et remplacé sa chasuble par le costume coloré du père Noël. Aux yeux du petit, c’était lui sans nul doute. Il en était convaincu : son père Noël était déguisé en prêtre.

– C’est le père Noël, chuchota-t-il à l’oreille de sa mère.

– Non, c’est le père Nicolas, curé de notre paroisse.

– Si, si, je t’assure maman ! C’est bien lui !


Le père biologique tendit l’oreille et se mêla à la conversation :

– Il lui ressemble, mais ce n’est pas le père Noël. C’est le père Nicolas ! Le père Noël est occupé à ses préparatifs de distribution des cadeaux durant la nuit.

Rien n’y faisait. L’enfant s’obstinait et se morfondait tout au long de la cérémonie. La voix et la gestuelle du prêtre, surtout durant l’homélie, le confortait dans sa certitude. Il saisit l’opportunité de la communion pour s’approcher de lui, en compagnie de ses parents, afin de le scruter de près. Il sentit comme un léger frémissement sur le visage bon enfant du prêtre.


À la fin de la cérémonie, le prêtre s’empressa, après la bénédiction et la formulation d’usage clôturées par un retentissant « Joyeux Noël », de regagner la sacristie, ne pouvant échanger avec les paroissiens par respect des consignes.


L’enfant se faufila parmi les fidèles et s’échappa vers la sacristie, à la surprise de ses parents qui le rattrapèrent pour l’en empêcher, mais trop tard. L’enfant s’y était introduit, suivi de ses parents, et leur regard s’illumina de la vérité toute vermeille : le prêtre était pris la main dans le sac… ou plutôt la hotte, cachée dans le coin de la penderie, où l’on voyait justement pendre l’habit flamboyant du père Noël.


La famille Christophe s’écria en chœur :

– Père Nicolas ! Vous êtes le père Noël !

Surpris par l’intrusion de l’enfant et de ses parents, il leur demanda de fermer derrière eux la porte de la sacristie et de garder leurs distances avec port du masque, lui qui venait d’être démasqué.

– Non, répondit-il, père Nicolas n’est pas le père Noël. C’est le père Noël qui est le père Nicolas. Il fut un temps où j’étais un saint. J’ai été dépouillé de mon vrai rôle pour être affublé de cet accoutrement devenu, avec la modernisation, le consumérisme et le mercantilisme, un habit de clown. Ma vraie vocation est sacerdotale. Elle consiste à représenter l’Enfant de la crèche qui est le Fils de Dieu, et à proclamer Sa Parole. Le père Noël est un rôle secondaire, imposé par le folklore. Je préfère entrer par la grande porte de la maison de Dieu que par la cheminée des maisons des gens, comme un voleur. Mon plus beau moment est de célébrer des messes, et surtout celle de minuit à Noël. Mon plus beau cadeau est d’offrir aux baptisés, petits et grands, le « sacrifice de toute l’Église », la chair et le sang du Christ par l’Eucharistie. C’est cette action de grâce qui apporte la grâce, le réconfort et le salut.


Et, jetant un regard attendri sur l’enfant, il ajouta :

– Désolé de te décevoir, petit, mais le véritable cadeau, impérissable, c’est le Pain de Vie sous forme d’hostie consacrée, que je me ferai un plaisir de t’offrir dès ta première communion, prochainement. Les cadeaux que tu as reçus et que tu recevras au pied du sapin sont périssables et remplaçables. Mais cette rondelle-là porte en elle le goût du merveilleux, une saveur éternelle. Il n’empêche que tu recevras ton cadeau habituel de Noël.


Et l’enfant, sans doute inspiré de l’Enfant de la crèche, s’exclama :

- Oh ! comme j’ai hâte d’y goûter, père Noël… euh… père Nicolas !


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C’était une rue quasi dénudée, aux décorations pâles et dispersées, qui pavait tristement la voie de la famille Christophe vers la petite église du quartier pour la messe de minuit, en ce Noël hanté par le variant Omicron. Des ombres itinérantes, ici et là, longeaient les sombres rideaux de fer des magasins, n’osant approcher de moins de deux mètres les passants pour demander...
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