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Société - Crise

Écrasés par la crise, de plus en plus de Libanais n’entretiennent plus leur voiture

Les mécaniciens constatent que de plus en plus de conducteurs ont des difficultés à entretenir leur véhicule en raison du coût prohibitif des pièces de rechange, ce qui les met, ainsi que les autres, en danger sur la route.

Écrasés par la crise, de plus en plus de Libanais n’entretiennent plus leur voiture

Dans les régions défavorisées du Liban, les mécaniciens ont perdu jusqu’à 80 % de leur clientèle.

Sous une pluie torrentielle, à la tombée de la nuit, une voiture glisse sur la chaussée et finit par percuter un autre véhicule. Ailleurs, une voiture tombe subitement en panne au milieu de la voie, le carambolage est inévitable.

Certes, à travers le Liban, le code de la route, le b.a.-ba de la sécurité routière, est globalement peu respecté. Mais à cet état de fait s’ajoute désormais un autre problème : dans le contexte de crise aiguë qui plombe le pays depuis plus de deux ans, l’entretien des voitures laisse de plus en plus à désirer.

« La crise économique est un facteur aggravant de l’insécurité routière, car nombre de personnes ne parviennent plus à entretenir leur voiture. Ils n’ont plus les moyens de changer les pneus, de réparer les phares, les essuie-glaces, les freins, les amortisseurs… Par temps de pluie, le risque d’accidents augmente », explique Ziad Akl, fondateur de la YASA, une ONG spécialisée dans la sécurité routière.

Entre 2020 et 2021, indique une source sécuritaire interrogée par L’Orient-Le Jour, le taux de mortalité sur la route a augmenté de plus de 8 %. Les cas d’accidents non mortels n’ont, eux, pas connu d’augmentation spectaculaire. Si cette source ne dispose pas d’éléments permettant de prouver un lien direct entre la hausse de la mortalité sur la route et le manque d’entretien des véhicules, elle « estime » que le lien est évident. Une tournée auprès des mécaniciens et des usagers confirme que les difficultés économiques freinent actuellement l’entretien et la réparation des véhicules, même quand cela est plus que vital.

De plus en plus souvent au Liban, les clients demandent qu’on remplace les pièces défectueuses par d’autres usagées, malgré les risques que cette option représente. Photo João Sousa

Des prix en dollars frais

Il est un quartier à Tripoli où, avant la crise, les voitures faisaient la queue, rue Mouharram, devant les ateliers de réparation et de pièces de rechange. Cette rue est désormais quasi déserte. « Au lieu de me confier la réparation de leur voiture, nombre de mes clients se contentent désormais de demander si elle peut encore rouler sans réparation », explique Rachid Maksoud, un mécanicien connu dans ce quartier de la ville la plus pauvre du pays. La monnaie nationale ayant perdu, en un peu plus de deux ans, autour de 90 % de sa valeur, réparer sa voiture devient presque impossible pour la plupart des automobilistes, car les pièces de rechange sont tarifées en dollars. « Par exemple, les phares et clignotants sont rarement remplacés de nos jours, ce qui entraîne des accidents fréquents », poursuit le mécanicien tripolitain.

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Dans la liste des préoccupations des Libanais qui croulent sous des factures de plus en plus exorbitantes, l’entretien de la voiture passe au second plan, même si les automobilistes n’ignorent pas les risques. Alors, pour éviter de se retrouver avec une facture trop salée, certains conducteurs tentent de rallonger l’espérance de vie de pièces pourtant défectueuses. « Certains nous demandent de mettre de l’huile de vidange déjà utilisée pour payer moins cher… » raconte Mohammad, un mécanicien de la Békaa, une autre région défavorisée dans un pays où les trois quarts de la population sont passés sous le seuil de pauvreté, selon le dernier rapport de l’Escwa. Soit trois fois plus qu’en 2019. Il y a quelques jours, Mohammad est tombé sur un client qui n’avait pas les moyens de changer les bagues de direction. « La pièce la moins chère est à 10 dollars, soit 200 000 livres libanaises au taux de 20 000 LL/USD, c’est hors de prix pour un client comme lui. J’ai donc bricolé la pièce existante, mais tout cela peut le lâcher à n’importe quel moment », poursuit le mécanicien qui estime que 80 % de sa clientèle sont désormais incapables de réparer correctement leur voiture. Il y a deux ans, la réalité était bien différente, certaines pièces étaient remplacées alors qu’elles n’étaient pas encore totalement usées. « Aujourd’hui, les clients demandent des pièces d’occasion, même pour les freins », poursuit Mohammad.

« Une batterie neuve, c’est plus d’un mois de salaire »

« Il y a quelques jours, la batterie de ma voiture est morte, je l’ai remplacée par une d’occasion. Je suis conscient qu’elle peut lâcher à tout moment, mais je n’ai pas le choix. Une batterie neuve, c’est plus d’un mois de salaire », s’énerve Abou Élias, employé comme gardien de parking dans le quartier de Mar Mikhaël. L’homme n’a pas changé ses pneus depuis plus de deux ans, alors qu’ils sont usés.

À force de retarder les réparations nécessaires, les clients sont de plus en plus nombreux à arriver chez le mécanicien avec des véhicules à bout de souffle. « Un client est arrivé pour une simple fuite d’huile, mais il n’a pas les moyens de changer la pièce défectueuse. Je l’ai mis en garde contre une panne totale de moteur qui lui coûtera beaucoup plus cher », explique Ali, un mécanicien de la banlieue sud de Beyrouth. « “Je ne peux pas, je n’ai pas d’argent” : j’entends cette phrase continuellement. Et les clients repartent les larmes aux yeux. C’est très déprimant », déplore le mécanicien devant son parking où quatre voitures attendent depuis plus d’un mois d’être réparées.

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La semaine dernière, Ahmad, chauffeur de taxi-service (transport en commun privé), a passé la porte du garage de Ali pour une vidange. Mais en y regardant de plus près, le mécanicien remarque que le cardan, la pièce qui fait le lien entre la boîte de vitesses et les roues, est usé. Sans cardan, la voiture n’avance plus. « Je lui ai dit que ne pas changer cette pièce mettait sa vie en danger. Il a répondu qu’il n’avait pas les moyens de la réparer. » La priorité d’Ahmad, aujourd’hui, est de mettre du pain sur la table et de subvenir aux besoins de ses parents. « Je ne sais pas comment on va continuer à vivre », dit le chauffeur, en référence à l’inflation qui a dépassé 280 % entre juin 2019 et juin 2021, selon le dernier rapport de l’Escwa publié en septembre dernier. Sur les routes, la nuit, nombreux sont les véhicules dont les phares sont défectueux. Une situation d’autant plus problématique que les routes sont rarement éclairées. « Mes feux fonctionnent mal, je vois à peine la nuit. Je devrais les réparer, mais je ne peux pas », dit encore Ahmad

Des routes détériorées

Autour du garage de Ali, les routes sont parsemées de nids-de-poule. « Chaque jour, je vois une voiture arrêtée sur le bas-côté avec un pneu crevé », raconte le mécanicien. En plus du manque d’entretien des véhicules, il faut prendre en compte la détérioration continue de l’état des routes. « Le ministère des Transports publics, le gouvernement et les municipalités ne sont plus capables d’effectuer l’entretien des routes et des infrastructures, comme réparer les feux de signalisation », commente Ziad Akl. L’effondrement des moyens de l’État, qui n’arrive plus à payer les entrepreneurs depuis la dépréciation de la livre, est un autre facteur aggravant en matière de sécurité routière. Jeudi dernier, une canalisation a explosé dans un parking à Beyrouth, endommageant plusieurs véhicules. L’infrastructure presque centenaire n’avait pas été réparée ni remplacée depuis des lustres. Interrogé à ce sujet par la MTV, le directeur général des bâtiments et routes au ministère des Travaux publics, Tanios Boulos, a reconnu que « le ministère n’a pas la capacité aujourd’hui de réaliser des travaux d’entretien ». « Il faut faire au mieux », a-t-il ajouté.

Quand des pièces se volatilisent…

Mais le coût des réparations et l’état des routes ne sont pas les seuls obstacles qui se dressent face aux conducteurs. Beaucoup n’ont plus confiance dans les mécaniciens. « Les gens ont désormais peur de nous confier leur véhicule. Certains mécaniciens nous font une mauvaise réputation : ils volent des pièces, comme le pot catalytique, dont l’absence passe plus ou moins inaperçue, et les revendent afin d’empocher de quoi couvrir les impayés de certains clients », explique Ali.

Une mésaventure qu’a vécue Noha*, enseignante à Beyrouth. Il y a quelques mois, elle a découvert, en faisant réparer son moteur, que le pot catalytique avait disparu. Elle se demandait justement pourquoi une fumée blanche se dégageait de sa voiture... « Quand j’ai voulu remédier à ce problème, chaque mécanicien m’a donné un devis différent. » Aujourd’hui, l’enseignante limite au maximum ses déplacements en voiture. « J’ai peur qu’elle ne tombe en panne », raconte celle qui a vu la valeur de son salaire se réduire comme peau de chagrin. Mais depuis qu’elle a pris cette décision, elle ne peut que constater l’inefficacité, voire l’absence, d’un réseau de transports publics digne de ce nom. « Nos conditions de vie ont tellement chuté que nous n’avons plus les moyens d’entretenir les voitures que nous avions achetées avant la crise », déplore Noha en sortant de son 4 x 4. « Nous n’aurions jamais imaginé en arriver là », soupire-t-elle.

*Le prénom a été changé à la demande de la personne.

Sous une pluie torrentielle, à la tombée de la nuit, une voiture glisse sur la chaussée et finit par percuter un autre véhicule. Ailleurs, une voiture tombe subitement en panne au milieu de la voie, le carambolage est inévitable. Certes, à travers le Liban, le code de la route, le b.a.-ba de la sécurité routière, est globalement peu respecté. Mais à cet état de fait s’ajoute...

commentaires (4)

Lebanese should consider carpooling and shared rides in the absence of public transportation.

Mireille Kang

08 h 15, le 15 décembre 2021

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Commentaires (4)

  • Lebanese should consider carpooling and shared rides in the absence of public transportation.

    Mireille Kang

    08 h 15, le 15 décembre 2021

  • Si tu ne peux pas entretenir ton 4x4 c'est que t'as pas les moyens, vends le cela fera des économies

    camel

    10 h 31, le 14 décembre 2021

  • De nombreux véhicules devraient être mis à la casse. Et si leur entretien devenu trop cher, accélère leur obsolescence, in fine la nature et la sécurité routière ne s'en porteront que mieux. Le problème ce n'est pas le coût d'entretien des véhicules. Le problème c'est que pendant 30 ans nous avons vécu dans une bulle financière qui a permis à de nombreux libanais de vivre au-dessus de leurs moyens sans avoir à remettre en cause leur mode de consommation. Et les autorités n'ont mené aucune politique de développement des transports en commun. Nous devons maintenant rattraper en deux ans ce qui n'a pas été fait en trente. La claque fait mal mais elle est salutaire.

    K1000

    23 h 13, le 13 décembre 2021

  • Mme Noha* sort de son 4x4. Elle se plaint. Dans quel pays du monde, dites-moi, une enseignante peut-elle se permettre d’acheter un 4x4? Elle devrait considérer soit de vendre son 4x4 pour un modèle plus économique en consommation d’essence, ou bien le rentabiliser en prenant des passagers. La nécessité est la mère de l’invention. Et en plus, une démarche écologique édifiante dont pourrait tirer profit ses étudiants!

    Mago1

    02 h 26, le 13 décembre 2021

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