
Le président libanais Michel Aoun et l’ancien chef de la diplomatie Gebran Bassil à l’ouverture de la conférence Lebanese Diaspora Energy (LDE), le 7 juin 2019. Photo d’archives tirée du compte Twitter de M. Bassil
Entre le chef du Parlement, Nabih Berry, et le président de la République, Michel Aoun, rien ne va plus. La guerre d’usure que se livrent les deux hommes depuis pratiquement le début du mandat Aoun est entrée dans une énième étape sur fond de bataille autour de la pertinence de la date des législatives, qui a pris un nouveau tournant hier. Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a retrouvé le président à mi-chemin et s’est désolidarisé de son partenaire, le Hezbollah, avec qui il a affirmé avoir des divergences sur un certain nombre de questions. Des prises de position en flèche et vraisemblablement orchestrées qui démontrent que le camp aouniste est bel et bien décidé à passer à l’offensive. Une escalade voulue pour marquer des points en politique et tenter de réhabiliter, un tant soit peu, l’image d’un mandat chaotique et croulant.
Dans un entretien au quotidien al-Akhbar paru hier, M. Aoun a affirmé qu’il ne signera pas le décret de convocation du collège électoral pour des élections législatives le 27 mars prochain et qu’il n’approuvera que les dates du 8 ou du 15 mai 2022, tout en se prononçant contre la prorogation de la présente législature. « Techniquement parlant, le président peut effectivement refuser de signer un décret dit simple. Mais politiquement parlant, il est clair que la Constitution et les prérogatives du président sont, en l’espèce, mises au service du bras de fer avec le chef du législatif », commente un ancien ministre. Le Parlement a amendé la loi électorale en octobre dernier à une forte majorité, notamment pour que le scrutin se déroule le 27 mars prochain au lieu du 8 ou du 15 mai 2022. Mais le CPL a contesté cette décision en présentant jeudi un recours en invalidation de cet amendement tout comme celui concernant les modalités de vote des émigrés. Dans son recours, la formation chrétienne conteste également le contexte légal dans lequel ces amendements ont été adoptés à une majorité de 59 voix au lieu de 65. Car, selon l’article 57 de la Constitution, la Chambre doit voter toute loi renvoyée par le chef de l’État à la majorité absolue (la moitié plus un) du nombre total de députés qui composent légalement la Chambre. La majorité requise serait donc de 65 députés sur 128, indépendamment du fait que 11 sièges sont vacants. « Celui qui veut torpiller les élections, c’est celui qui manipule la loi », a affirmé pour sa part Gebran Bassil, dans un entretien au quotidien koweïtien al-Qabas. Anticipant la décision du Conseil constitutionnel, il a indiqué, confiant, que les élections auront lieu le 8 mai prochain. Un peu comme s’il dictait la date au chef du législatif. La boucle est donc bouclée, le camp aouniste souhaitant clairement resserrer l’étau autour de M. Berry qui, à son tour, ne manquera certainement pas de créativité pour riposter.
Revirement par rapport au Hezbollah
Depuis la crise diplomatique avec les pays du Golfe, déclenchée par des propos polémiques du ministre de l’information, Georges Cordahi, sur le rôle de Riyad dans la guerre du Yémen, le camp du président se trouve dans une situation embarrassante. La mise à l’index du Liban par les pays du Golfe est venue entacher un peu plus encore la réputation du mandat Aoun qui espérait pouvoir inverser la courbe et sauver ce qui reste de son sexennat avant de passer le relais. C’est à cela qu’a d’ailleurs fait allusion le président de la République, en évoquant la présidentielle prévue en octobre 2022, qui se déroulera donc dans le prolongement des législatives. « À la fin de mon mandat, je laisserai certainement la place, au palais de Baabda, à un président qui me succédera. Je ne remettrai pas le pouvoir au vide », a-t-il affirmé. Ce que le président ne dit pas cependant, c’est que le successeur pressenti dans les milieux de Baabda n’est autre que Gebran Bassil. C’est ce qui justifierait notamment la manœuvre entreprise par le CPL pour repousser la date des législatives le plus loin possible. Un délai dont le courant aouniste a besoin pour maximiser ses chances de succès lors de ce scrutin, avant de s’engager dans la bataille pour la présidentielle. « Pour le CPL, les législatives sont intimement liées à la présidentielle. Les résultats de la première consultation détermineront, dans une large mesure, ceux de l’autre », analyse un expert électoral. Car, pour pouvoir prétendre au poste de la première magistrature, M. Bassil a besoin de conforter sa légitimité populaire et reconquérir, comme en 2018, une large part des sièges au Parlement. Mais, affaibli depuis la révolution d’octobre 2019 – tout autant que le mouvement Amal d’ailleurs –, le CPL se trouve contraint d’opérer un revirement par rapport au Hezbollah. D’où cet ultime pas de distanciation opéré jeudi par rapport à son partenaire chiite.
« Pourquoi mêler la position du Hezbollah à celle du Liban officiel? » s’est interrogé M. Bassil dans l’entretien accordé au quotidien koweïtien al-Qabas. « Il est essentiel de séparer ces deux prises de position », a-t-il encore dit avant d’exprimer son souhait de « vouloir entretenir les meilleurs rapports avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite ». Le président a pris le relais hier, estimant être lié au Hezbollah par « une entente » et « non une alliance », en référence à l’entente dite de Mar Mikhaël conclue en 2006.
La limite de l’escalade
Ce repli tactique vise un double objectif : récupérer, si cela est encore possible, la sympathie du Golfe tout en espérant contenter une partie de la base chrétienne très remontée contre le camp aouniste depuis la double explosion au port et l’affaire du dessaisissement du juge d’instruction dans cette affaire, Tarek Bitar. Un retournement de veste qui a toutefois tardé à venir selon Karim Bitar, politologue. « Ces propos ne sont pas destinés aux purs et durs issus du camp aouniste, qui ne vont probablement pas lâcher Gebran Bassil. Mais à tous ceux qui gravitaient autour du CPL et qu’il parviendra difficilement à convaincre », décrypte M. Bitar. Dans les milieux du Hezbollah, on relativise cette prise de distance justifiée, selon un analyste proche du parti chiite, par le besoin du camp aouniste de redorer son blason auprès de la rue chrétienne notamment. « MM. Bassil et Aoun avaient besoin de cette escalade pour notamment tenter de rallier les chrétiens en colère, sachant qu’ils ont laissé des plumes dans les deux affaires du juge Bitar et du ministre Cordahi. Dans les deux cas, la prestation du tandem chiite n’a pas du tout servi les intérêts du partenaire chrétien », commente l’analyste dans une allusion à la paralysie du gouvernement survenue dans la foulée.
Ce n’est pas la première fois que le chef du CPL s’en prend au Hezb – toujours dans les limites autorisées – pour se tirer d’affaire. Le parti chiite en est bien conscient et laisse faire, sachant que ce jeu restera limité dans sa portée. « La relation avec le CPL est indéfectible. Les deux partenaires, chrétien et chiite, sont liés par la nécessité de concocter des alliances électorales. Par conséquent, cette escalade n’ira pas au-delà d’une certaine limite », résume l’analyste proche du Hezbollah. Et la poursuite de la guerre avec Amal – le deuxième mouvement, après le CPL, le plus décrié dans la rue – est destiné, dit-il, à amadouer sa base principalement.
Entre le chef du Parlement, Nabih Berry, et le président de la République, Michel Aoun, rien ne va plus. La guerre d’usure que se livrent les deux hommes depuis pratiquement le début du mandat Aoun est entrée dans une énième étape sur fond de bataille autour de la pertinence de la date des législatives, qui a pris un nouveau tournant hier. Le chef du Courant patriotique libre, Gebran...
commentaires (27)
Ça vas laissez les faire un peu de cinéma lol
Bery tus
06 h 34, le 22 novembre 2021