La quasi-rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et le Liban a provoqué un séisme sur la scène politique interne. L’escalade saoudienne a poussé les différents acteurs à s’adapter, à affiner ou au contraire à durcir leur rhétorique.
Certaines formations, telles que les Forces libanaises et le Hezbollah, semblent profiter de ce contexte de forte polarisation. Le courant du Futur paraît pour sa part un peu désorienté. Mais pas autant que le Courant patriotique libre (CPL) qui donne le sentiment d’être dépassé par le comportement de son principal allié, le Hezbollah. Sentiment paradoxalement partagé par l’autre allié du parti de Hassan Nasrallah, Amal, qui vit une schizophrénie entre son appartenance arabe et son allégeance forcée à l’Iran. L’Orient-Le Jour fait le point sur les enjeux pour chacun de ces partis de la crise saoudo-libanaise.
Le Hezbollah bombe le torse
Pour le Hezbollah, l’heure est à la célébration. Le parti chiite, qui œuvre depuis des années à aspirer le Liban dans le giron iranien, peut enfin crier victoire. « Le Hezbollah est certainement content de voir le Liban s’éloigner encore plus du monde arabe », commente un ancien conseiller politique sunnite proche du 14 Mars. Face au durcissement de ton du côté de l’Arabie saoudite, le Hezbollah fait de même. En diabolisant son adversaire de toujours et en jouant à fond sur la fibre communautaire sunnite/chiite, il cherche à gagner des points auprès de sa base à l’approche des élections. Le parti chiite préfère toutefois ne pas étaler devant le grand public cette euphorie, conscient qu’elle met dans l’embarras deux de ses principaux partenaires politiques, Amal et le CPL, et brouille un peu plus ses relations avec le président Michel Aoun et le Premier ministre Nagib Mikati. Le parti de Hassan Nasrallah refuse en tout cas d’assumer la responsabilité de la crise, qu’il lie au conflit au Yémen opposant les houthis, soutenus par l’Iran, à la coalition saoudienne qui appuie les forces gouvernementales. S’appuyant sur les propos du ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane, qui a reconnu lors d’un entretien que la crise n’était pas liée à la sortie du ministre de l’Information libanais, George Cordahi, le Hezbollah en fait un enjeu de premier ordre. « Qui a orchestré toute cette campagne de dénigrement et la politique de rétorsion à l’égard du Liban ? » s’interroge le porte-parole du parti chiite, Afif Mohammad Nabulsi, accusant Riyad d’être de connivence avec les Forces libanaises dans ce qu’il appelle le « projet fomenté de Tayouné », en référence aux affrontements entre des combattants chrétiens présumés FL et des membres du tandem chiite il y a trois semaines. « Le Liban n’a rien à voir avec cette affaire. Le Hezbollah non plus. Je comprends mal comment MM. Aoun et Mikati s’acharnent tant à réclamer la démission de M. Cordahi », s’étonne le porte-parole. Des propos révélateurs d’une nouvelle ligne de fracture entre le Hezb d’une part, le chef du gouvernement et le président d’autre part. Alors qu’il avait cessé de cibler l’Arabie saoudite dans ses discours, visiblement pour donner une chance au dialogue irano-saoudien, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah s’est lâché contre Riyad dans sa dernière prise de parole. Mohammad Raad, chef du groupe parlementaire du parti chiite, a pour sa part accusé l’Arabie saoudite d’avoir « provoqué cette crise pour faire sauter les prochaines législatives » dont l’issue ne conviendrait pas, selon lui, aux aspirations du royaume wahhabite. Le Hezbollah semble déterminé à ne rien lâcher, en témoigne son acharnement à refuser la démission de M. Cordahi. Comme pour prouver qu’il ne fera aucune concession à l’Arabie et ses alliés au Liban qui disent, ouvertement, vouloir l’affaiblir.
Le courant du Futur se cherche
Pour le courant du Futur, tout est dans les nuances. Si le parti de Saad Hariri a choisi de durcir son discours à l’encontre du Hezbollah et du camp aouniste accusés d’être à l’origine de cette nouvelle crise, ses membres restent prudents quant à un éventuel tournant pour le parti. « Il n’y a pas de repositionnement. Notre discours n’a pas varié sur toutes les questions qui touchent à l’environnement arabe et aux pays du Golfe », assure le chef du bureau politique du courant du Futur, Moustapha Allouche, en réponse à la prédiction faite par certains analystes de la « fin du compromis » concocté entre le courant haririen et le Hezbollah.
Le ton exceptionnellement belliqueux employé par Saad Hariri dans le cadre de cette crise démontre pourtant une radicalisation de la position de son parti et le début d’une sérieuse remise en question du modus vivendi qui prévalait avec le Hezbollah. « Ras le bol, véritablement. Tout le monde doit savoir que l’arabité du Liban constitue une sécurité de notre pays, et tout propos contraire à cela mènera en enfer », avait indiqué, samedi dernier, le leader sunnite.
Dans les milieux proches du chef du courant du Futur, on reconnaît que l’escalade est certes « inédite et dangereuse » et renforce la confrontation politique, mais on précise que la formation ne participera pas à une exacerbation de la fibre communautaire à l’occasion de ce nouveau bras de fer, assure pour sa part le conseiller de M. Hariri, Abdel Salam Moussa.
Une position qui se veut pour l’heure relativement timorée jusqu’à ce que se décante le paysage politique. « Le divorce du Futur avec le CPL et le Hezbollah est de plus en plus perceptible. Cela ne veut pas dire qu’il est consommé, du moins pas encore », commente l’analyste sunnite cité plus haut. À moins que, nuance-t-il, les informations sur le retrait de Saad Hariri de la vie politique active ne se confirment. Récemment, des rumeurs ont circulé dans la presse faisant état du souhait du chef du courant du Futur de ne pas se présenter aux prochaines législatives. La formation de Saad Hariri semble hésiter à faire un pas de plus en direction de Samir Geagea, principal allié de Riyad au Liban. « Nous sommes encore loin de la constitution d’un véritable front qui doit commencer par une vision commune sur un ensemble de dossiers », dit M. Allouche.
Les FL ont le vent en poupe
La logique n’est pas manichéenne non plus pour les Forces libanaises. Bien que celles-ci se complaisent depuis un certain temps dans la repolarisation de la scène politique, qui leur permet de s’affirmer comme le principal adversaire du Hezbollah, elles ne peuvent pas non plus crier victoire alors que le pays semble s’effondrer un peu plus sous ce dernier coup de boutoir. La formation chrétienne cherche néanmoins à tirer profit d’une crise qui, comme le souligne un cadre du parti, vient en quelque sorte conforter ses thèses. « Le retrait du Golfe, de cette manière, de l’orbite libanaise est pour nous une preuve de l’échec de l’équipe au pouvoir. Il avalise en effet notre point de vue », indique le porte-parole des FL, Charles Jabbour. La formation de Samir Geagea, qui vient de gagner des points auprès de l’opinion chrétienne et sunnite après le défi remporté contre le Hezbollah lors des incidents de Tayouné, peut se targuer également de bénéficier d’un traitement particulier de la part de Riyad. Quelques heures avant de quitter le pays, l’ambassadeur saoudien au Liban, Walid Boukhari, rendait visite à Samir Geagea.
Une relation d’autant plus vitale pour Samir Geagea que ce dernier ne peut faire cavalier seul et a besoin de s’allier au camp musulman s’il veut prendre la tête d’un front élargi contre le Hezbollah. « Du fait de sa brouille avec le courant du Futur, Samir Geagea a besoin de se rapprocher du camp sunnite par la porte de Riyad », décrypte l’analyste politique sunnite.
Dans les milieux FL, on balaye d’un revers de main la thèse selon laquelle l’exacerbation du conflit avec les pays arabes sert les intérêts du parti. « Cela ne nous arrange aucunement que l’Arabie saoudite ait levé l’ancre de cette manière. Au contraire, nous aurions préféré qu’elle garde un pied au Liban de sorte à rétablir les équilibres de pouvoir », se défend M. Jabbour. Comprendre que la présence d’un poids lourd arabe au Liban sert à contrebalancer l’influence iranienne.
Le CPL ne sait plus où se mettre
Pour le CPL, fondé par le président Michel Aoun, la réaction violente de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe est un véritable camouflet asséné au mandat présidentiel que le camp aouniste espérait encore sauver. Un coup dur qui les pousse à adopter une position proche de la neutralité et à professer la distanciation par rapport aux crises régionales. C’est du moins ce qui transparaît des communiqués et prises de position du CPL et des milieux de Baabda, alors que la crise avait atteint son paroxysme samedi dernier. Une attitude timorée que certains médias ont analysée comme nécessaire pour « réduire les pertes » autant que possible, surtout à la veille de l’échéance électorale. « Nous préconisons une refonte des relations entre le Liban et l’Arabie saoudite. Les rapports doivent être revus sous une approche globale », commente pour L’Orient-Le Jour le député du bloc du Liban fort Alain Aoun. Il laisse entendre que si la relation était normale et solide avec Riyad, elle ne serait pas aussi vulnérable et n’aurait pas été affectée par la moindre déclaration, en allusion aux propos de M. Cordahi. « Nous ne voulons pas la confrontation avec l’Arabie saoudite, même si elle est souhaitée par cette dernière », commente-t-il encore. Des propos destinés à se démarquer complètement de son partenaire chiite, le Hezbollah, dont la réaction excessive a embarrassé le CPL.
Si les relations entre le CPL et le parti de Dieu ne sont pas au beau fixe depuis quelque temps, elles ont assurément été affectées par cette dernière crise. Le CPL se défend aujourd’hui d’avoir avalisé la politique régionale du parti chiite – à l’exception de la guerre en Syrie – et affirme se prévaloir, tout comme le courant du Futur, d’un modus vivendi avec le parti de Dieu qui vaut sur le plan interne uniquement. « Nous n’avons jamais approuvé les aventures du Hezbollah au Yémen », s’offusque M. Aoun. « Nous ne pouvons pas contrôler toutes les actions du Hezbollah », finit par reconnaître le député, comme pour dire, en quelque sorte, que le CPL n’est aucunement responsable des conséquences des aventures transnationales de son partenaire chiite.
La schizophrénie d’Amal
C’est probablement le mouvement du chef du Parlement, Nabih Berry, réputé pour son art de concilier les contraires, qui se trouve le plus embarrassé. Considéré comme étant la composante arabe du tandem chiite, Amal ne parvient pas à se départir de son partenaire inféodé à l’Iran, le Hezbollah. D’où un mutisme surprenant depuis le début de la crise avec l’Arabie saoudite. Dans les rangs du mouvement chiite, le mot d’ordre est clair : aucun membre n’est autorisé à évoquer avec les médias la récente crise, confie un analyste proche de Aïn el-Tiné. Aucune référence non plus à ce sujet lors de la dernière réunion du bloc berryste, mardi dernier. Un silence qui n’a d’ailleurs pas manqué de déranger le Hezbollah, à la recherche du moindre soutien dans cette nouvelle bataille avec l’adversaire saoudien.
Pris en tenailles, le mouvement de Nabih Berry a plutôt fait diversion en s’attaquant, comme il en a l’habitude, à son adversaire de tout temps, le CPL, qu’il a accusé de chercher à boycotter les élections. Un commentaire qui est apparu complètement « hors sujet » à la lumière des circonstances.
Soucieux de préserver les intérêts de plusieurs dizaines de milliers de chiites qui travaillent dans les pays du Golfe, il veut également ménager ses relations arabes. Certes, le président de la Chambre a des objections à l’égard de la politique saoudienne au Liban, confie-t-on de source informée. Mais il s’est juré de ne pas en faire une affaire publique pour ne pas mettre de l’huile sur le feu. « Nabih Berry veut absolument préserver ses bonnes relations avec les pays arabes, par souci de maintenir un équilibre des forces au sein de la communauté chiite, dans le cas de figure où le Hezbollah chercherait un jour à engloutir Amal et l’entraîner définitivement dans le giron iranien », conclut l’analyste sunnite du 14 Mars.
Mais l’extérieur est déjà là …l’Iran… de la par la bouche même du Sayyed !!
06 h 02, le 07 novembre 2021