Aujourd’hui, la balle est dans le camp du Hezbollah. Étant à l’origine des crises qui ont failli faire imploser le gouvernement, moins d’un mois après sa formation, c’est à lui de créer les conditions d’une sortie de l’impasse actuelle. Tel est le message principal que le Premier ministre, Nagib Mikati, a voulu envoyer à travers son allocution particulièrement ferme, jeudi au Grand Sérail, principalement dirigée contre le parti de Hassan Nasrallah. « Si le comportement de ceux qui ont choisi d’être dans l’opposition est compréhensible et justifiable, ce qui ne l’est pas, c’est l’attitude de blocage du cabinet venant de l’intérieur », a tonné le Premier ministre. « Le gouvernement doit se remettre au travail et rattraper le temps perdu, sinon nous allons devoir trancher », a-t-il ajouté, menaçant ainsi implicitement de jeter l’éponge si les autres parties ne le retrouvent pas à mi-chemin. Mais le Hezbollah est-il prêt à le faire ? Serait-il disposé à lâcher du lest ? Et comment, alors, expliquer son attitude intransigeante dans l’affaire Cordahi ?
Ce dernier, nommé à la tête du ministère de l’Information par le chef des Marada Sleiman Frangié – allié chrétien de longue date du Hezbollah –, semble déterminé à ne pas rendre son tablier, même si sa démission est perçue comme un premier pas sur la voie d’un règlement de la crise diplomatique qui a éclaté avec l’Arabie saoudite, en raison de ses propos polémiques sur le rôle de Riyad dans la guerre du Yémen. Selon des propos de l’ex-vedette de la chaîne saoudienne MBC relayés hier par des médias locaux, sa démission devrait être une décision prise à la majorité en Conseil des ministres. C’est ainsi que M. Cordahi a répondu à l’appel à « faire primer l’intérêt national » que lui a lancé jeudi dernier le chef du gouvernement.
Le Hezbollah n’avait pas tardé non plus à répondre à Nagib Mikati. « La description précise que le journaliste Georges Cordahi a utilisée pour qualifier le conflit au Yémen (en référence au terme “absurde” employé par le ministre de l’Information) ne justifie pas la réaction saoudienne, qui s’apparente à une déclaration de guerre, ni les mesures hâtives prises à l’encontre du Liban et de son peuple (…) », peut-on lire dans le communiqué publié jeudi par le groupe parlementaire du Hezbollah. Les députés du parti de Dieu ont, dans ce cadre, dénoncé « les diktats extérieurs relatifs à l’action du gouvernement, dans la mesure où il s’agit d’une atteinte à la dignité nationale et d’une menace à la stabilité du pays ». « Nous n’accepterons en aucun cas que Georges Cordahi démissionne », affirme à L’Orient-Le Jour un responsable du parti chiite ayant requis l’anonymat. Pour lui, les déclarations faites par le milliardaire tripolitain dépassent un simple appel à la démission d’un ministre et à un déblocage de la crise. « Le message qu’il nous a adressé est sans équivoque : attendez-vous à plus d’attaques de ma part, parce que j’ai décidé de me conformer aux diktats saoudiens », estime le responsable. Car, pour le parti de Hassan Nasrallah, la bataille dans laquelle il est actuellement engagé va bien au-delà des propos de Georges Cordahi. « Nous sommes en confrontation avec l’Arabie saoudite », lance ainsi sans ambages la source. Et de préciser que cette affaire est « indépendante du bras de fer engagé entre Riyad et Téhéran, ces deux puissances régionales étant engagées dans des pourparlers à Bagdad ».
Ce responsable s’appuie sur les déclarations du chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane. Ce dernier avait affirmé dimanche dernier que pour Riyad, « l’affaire est plus large que les commentaires d’un seul ministre », estimant « inutile » de traiter avec le Liban tant qu’il est « dominé » par le Hezbollah. Ce responsable reconnaît cependant que la position intransigeante du parti ne facilite pas la tâche à un Nagib Mikati déterminé à accomplir la mission dont son gouvernement est chargé, à savoir lancer les réformes économiques et organiser les législatives prévues en mars prochain.
Déboulonner Bitar, une « priorité »
Car le cabinet ne pourra pas reprendre vie de sitôt, tandis que les ministres du tandem chiite boudent le Conseil des ministres depuis sa dernière réunion, le 12 octobre dernier. Ce jour-là, le ministre de la Culture, Mohammad Mortada (Amal), avait appelé le gouvernement à prendre une position claire au sujet de Tarek Bitar, le juge chargé de l’enquête sur la double explosion meurtrière au port de Beyrouth, une affaire dans le cadre de laquelle des faucons du tandem Amal-Hezbollah et leurs alliés sont poursuivis. Le ministre a même été jusqu’à agiter le spectre d’une démission des ministres chiites, ce qui risquerait de mettre en péril la survie du gouvernement Mikati. Deux jours plus tard, une miniguerre civile éclatait à Tayouné, dans le sud de Beyrouth, opposant des miliciens affiliés au duo Amal-Hezbollah à des éléments chrétiens présumés proches des Forces libanaises de Samir Geagea, dans des quartiers à majorité chrétienne où les FL enregistrent une forte présence. Des affrontements dont le bilan est lourd : sept morts, dont six partisans chiites et une civile, et une trentaine de blessés. Les violences ont eu lieu en marge de ce qui avait été présenté comme « une manifestation » pacifique « du tandem chiite pour protester contre le maintien du juge Bitar à la tête de l’enquête du port.Là aussi, le Hezbollah n’envisage de faire aucune concession. « Notre position est claire au sujet de Bitar : il faut qu’il soit déboulonné, parce qu’il politise l’enquête et qu’il n’arrivera pas à la vérité », affirme le responsable du Hezbollah cité plus haut, niant l’existence d’un troc entre l’affaire Cordahi et ce dossier. « Il faut que Bitar soit limogé et que les autorités règlent la crise avec l’Arabie saoudite sans démission du ministre Cordahi. Sinon, que personne ne nous parle de gouvernement », martèle-t-il. « Déboulonner Tarek Bitar est une exigence primordiale, qui avait été mise sur la table bien avant l’affaire Cordahi », rappelle Kassem Kassir, journaliste proche du Hezbollah.Cette attitude intransigeante, Karim Bitar, politologue, l’explique par le fait que le limogeage du juge d’instruction est à la tête des priorités du parti chiite. « Le Hezbollah est conscient des rapports de force sur la scène locale. Il n’est donc pas enclin à faire des concessions, notamment sur le dossier Bitar, parce qu’il veut avoir la tête du juge », analyse-t-il. Selon lui, quand le Hezbollah est dans une position critique, il lui devient difficile de faire des concessions. « Jamais il n’y a eu autant de discours forts de Hassan Nasrallah, même dans la période post-14 février 2005 », commente le politologue. Et de qualifier de « désastreuses » les dernières apparitions médiatiques de Hassan Nasrallah, dans la mesure où « il a renforcé ses adversaires en leur faisant de grands cadeaux, alors que ses alliés, notamment chrétiens et chiites, continuent de perdre du terrain ». Une allusion au leader des FL, Samir Geagea, cible principale d’un virulent discours du numéro un du parti chiite, le 18 octobre dernier, dans lequel le dignitaire avait fait assumer au leader maronite la responsabilité des accrochages de Tayouné, le présentant comme l’ennemi numéro un des chrétiens. Il reste que, pour Karim Bitar, « le modus operandi du Hezbollah ne va pas changer : il va avoir ses adversaires à l’usure, et fera traîner les choses jusqu’à atteindre ses objectifs ».
commentaires (14)
La question qui se pose :pourquoi on le laisse faire ? Le gouvernement doit se réunir avec ou sans les spécialistes du blocage. Mais, c'est la position de Aoun-Bassil qui déroute.
Esber
10 h 10, le 07 novembre 2021