Alors que le Liban peine à résoudre la crise diplomatique avec les monarchies du Golfe, suscitée par des propos critiques du ministre de l’Information Georges Cordahi à l’égard de l’Arabie saoudite, voilà que des fuites dans un média saoudien de propos du ministre des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, dans lesquels il désapprouve l’approche saoudienne du dossier libanais, risquent encore de compliquer les choses. Au vu de leur timing, ces fuites pourraient en effet bien compliquer la tâche aux autorités libanaises qui tentent de parvenir à une sortie de crise, comme l’espère le Premier ministre Nagib Mikati qui a mené des contacts tous azimuts dans ce but ces deux derniers jours à Glasgow.
La mise au point de Bou Habib
L’épisode Bou Habib a commencé mardi soir, lorsque le quotidien saoudien Okaz a dévoilé des propos tenus par le ministre des Affaires étrangères lors d’une rencontre avec des journalistes, le 28 octobre dernier, et enregistrés à son insu. Selon le quotidien saoudien, le chef de la diplomatie aurait critiqué l’approche qu’adopte le royaume en ce qui concerne le dossier libanais et la « désapprobation » continue de Riyad au sujet des mesures que les autorités libanaises prennent pour désamorcer ce genre de crise. « Même lorsque nous avions démis Charbel Wehbé de ses fonctions, l’Arabie saoudite n’était pas satisfaite », aurait-il dit. Il faisait référence à la démission, en mai dernier, de Charbel Wehbé, alors chef de la diplomatie. Démission à laquelle il avait été contraint après le tollé provoqué par ses déclarations à la chaîne américaine al-Hurra. Il avait alors accusé implicitement les monarchies du Golfe de financer les groupes terroristes. « Que gagnerons-nous de l’Arabie saoudite si (Georges) Cordahi venait à être démis de ses fonctions ? Rien. Ils nous demanderont de faire encore plus », aurait ajouté M. Bou Habib. Toujours selon Okaz, le chef de la diplomatie aurait critiqué le fait que l’ambassadeur saoudien à Beyrouth, Walid Boukhari (rappelé à Riyad dans la foulée de l’affaire Cordahi), ne soit jamais entré en contact avec lui. Et ce y compris après la dernière crise. Le quotidien rapporte par ailleurs que le ministre des Affaires étrangères aurait une nouvelle fois critiqué le forcing exercé par Riyad pour en finir avec le Hezbollah.
Dans une interview accordée mardi à l’agence Reuters, Abdallah Bou Habib avait affirmé que l’Arabie saoudite « impose des conditions impossibles en demandant au gouvernement de réduire le rôle du Hezbollah », ajoutant que le règlement de cette question « est au-delà de nos capacités ». Et de lancer : « Nous ne pouvons pas leur servir la tête du Hezbollah sur un plateau d’argent. »
Les fuites de Okaz ont poussé l’intéressé à publier un communiqué dans lequel il a tenté de mettre les points sur les i, sans toutefois démentir les propos qui lui sont attribués. Il a précisé que ces déclarations ont été « sorties de leur contexte ». Le ministre a également souligné que la rencontre lors de laquelle il a fait ces déclarations s’est tenue le jeudi 28 octobre dernier, alors que la crise diplomatique actuelle venait d’éclater, bien que la date de cette rencontre ait été fixée bien avant. Il a ajouté que ses propos visaient donc, dans ce contexte de crise diplomatique, à paver la voie à un dialogue afin de rétablir les relations avec l’Arabie saoudite.
« Nous sommes dans une phase d’escalade »
Si le ministre s’efforce de donner toutes ces précisions, c’est que ces fuites sont susceptibles de compliquer un peu plus encore la situation déjà critique dans laquelle se trouve le Liban depuis quelques jours. Du côté de Baabda, dont M. Bou Habib est proche, on se contente de dire que le chef de la diplomatie a clarifié sa position et que le palais présidentiel ne désire pas commenter l’affaire. Un proche de la présidence contacté par L’Orient-Le Jour précise que Baabda ne voit pas un message politique qui lui serait adressé à travers ces fuites. Ce en dépit du fait que le royaume wahhabite a toujours accusé le mandat de Michel Aoun d’avoir placé le Liban sous la coupe du Hezbollah, allié de longue date du chef de l’État. C’est d’ailleurs sous cet angle qu’un analyste politique contacté par L’OLJ décrypte cette nouvelle étape de la crise diplomatique avec les pays du Golfe. « Nous sommes dans une phase d’escalade, dans un Liban sous tutelle iranienne », estime-t-il sous couvert d’anonymat. Hier, le président de la République s’est entretenu avec Abdallah Bou Habib. S’exprimant à l’issue de la réunion, le chef de la diplomatie a semblé sciemment occulter les fuites de Okaz, commentant uniquement la crise actuelle suscitée par les propos de Georges Cordahi qui avait critiqué le rôle de l’Arabie dans la guerre au Yémen. « La position du Liban est claire : il faut préserver les meilleures relations possibles entre le pays du Cèdre, l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, et ne pas permettre que des positions exprimées à titre individuel, par quelque partie que ce soit, et qui n’expriment pas le point de vue de l’État officiel représenté par ses membres et à travers la déclaration ministérielle de son cabinet n’impactent ces relations », a déclaré M. Bou Habib dans une allusion au fait que le ministre de l’Information ait tenu ces propos avant d’être nommé à son poste.
Encore un appel au dialogue
Abdallah Bou Habib a par ailleurs renouvelé son appel à un dialogue entre Beyrouth et Riyad. « Tout problème, quelle que soit son ampleur, qui pourrait survenir entre deux pays frères comme le Liban et le royaume saoudien doit être résolu par le dialogue, la coopération, l’esprit de fraternité et la confiance, conformément aux principes de la Charte de la Ligue arabe », a-t-il estimé. « Le président et tous les responsables libanais pensent que ce qu’il s’est passé ces derniers jours doit cesser afin de faire prévaloir l’intérêt arabe commun, sans jeter de l’huile sur le feu », a encore déclaré le ministre, qui a insisté sur le fait que Beyrouth « n’a jamais porté atteinte à aucun État ». Il a en outre appelé les pays du Golfe à « comprendre les exigences du régime démocratique choisi par les Libanais, qui se fonde sur la liberté d’opinion et de pensée, sans que cela n’impacte les relations entre le Liban et les pays amis ». Il prenait ainsi clairement fait et cause pour le ministre de l’Information.
« Nagib Mikati est désormais dans une position critique, son ministre des AE étant dans la tourmente à l’heure où il devrait rétablir les ponts dans ce genre d’affaires », analyse Karim Bitar, politologue, qui voit mal le cabinet reprendre les négociations avec le Fonds monétaire international ou encore tenir les législatives de mars dans un contexte aussi tendu. On devrait y voir un peu plus clair à l’issue des contacts que le chef du gouvernement devrait mener aujourd’hui avec Michel Aoun et le président de la Chambre, Nabih Berry.
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Un zéro
M.E
03 h 42, le 05 novembre 2021