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Société - Diaspora

Un salaire au rabais : dans le Golfe, les Libanais rattrapés par la crise

Des Libanais à la recherche d’un emploi dénoncent le fait que les recruteurs, qui sont parfois des compatriotes, profitent du fait qu’ils sont pris à la gorge pour proposer de faibles rémunérations.

Un salaire au rabais : dans le Golfe, les Libanais rattrapés par la crise

Avec la dévaluation vertigineuse de la livre libanaise, nombreux sont les Libanais à chercher du travail à l’étranger. Photo d’archives AFP

Avec l’accentuation de la crise économique ces derniers mois au Liban, Carine, une architecte d’intérieur de 26 ans, a commencé à chercher du travail à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe qui constituent, en temps normal, une destination de choix pour de nombreux Libanais. La jeune femme, qui cumule trois emplois à Beyrouth pour joindre les deux bouts, s’est récemment vu proposer un emploi à temps plein en Arabie saoudite. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsque le salaire a été évoqué. « On me demandait de travailler sur des projets d’architecture d’intérieur, de faire des permanences dans une salle de vente, de superviser l’achat des stocks et de gérer des chantiers de construction pour 800 dollars par mois. La rémunération, pour un poste comportant autant de responsabilités, tourne normalement autour de 4 000 dollars », raconte Carine, qui a finalement décliné l’offre.

Dans ce contexte, la jeune femme, qui effectue des projets d’architecture d’intérieur en freelance, en plus de donner des cours particuliers et de travailler comme caissière l’après-midi, dit préférer rester au Liban pour le moment. « Jusqu’à présent, j’arrive à m’en sortir. Ce n’est donc pas la peine que je parte vivre seule à l’étranger, loin de tout le monde, pour un travail si prenant payé 800 dollars », soupire Carine. Selon elle, les offres salariales récentes ont évolué en raison du contexte de crise que traverse le Liban. « Les conditions qu’on nous propose dernièrement sont déplorables car tout le monde sait que les Libanais, pris à la gorge, sont prêts travailler à tout prix. Aujourd’hui, les employeurs à l’étranger en profitent pour nous traiter comme ils le font avec la main-d’œuvre non qualifiée », estime-t-elle.

De 4 000 à 2 000 dollars

Le Liban ne dispose pas de chiffres officiels sur la répartition de la diaspora, mais, selon les estimations de al-Douwaliyya lil maaloumat, environ 380 000 Libanais travaillent aujourd’hui dans les pays du Golfe. Réputées pour offrir des salaires élevés payés en dollars, ces destinations ont permis à de nombreux Libanais de venir en aide à leurs familles. En 2020, la diaspora a envoyé 6,63 milliards de dollars au Liban, dont la moitié proviendrait des virements effectués à partir des pays du Golfe, selon les chiffres de la Banque du Liban. Mais dans la récente dévaluation de la livre libanaise et la ruée conséquente vers les dollars « fresh », de nombreux recruteurs ont vu une opportunité de proposer des emplois sous-payés aux candidats libanais.

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En témoigne l’expérience de Jad*, un cadre supérieur chargé de la communication dans une banque libanaise et qui a récemment téléchargé son CV sur un site de recrutement saoudien dans l’espoir d’obtenir un job lui permettant de mieux venir en aide à sa famille. Rapidement, il a été contacté par une multinationale qui lui a proposé un poste de directeur des relations publiques dans le domaine du luxe. Problème : le salaire proposé équivalait à la moitié de la rémunération habituelle pour ce genre de poste. « En temps normal, je n’aurais pas été intéressé par un tel emploi, étant donné que je travaille dans le secteur bancaire. Mais je me suis dit que cela pouvait valoir la peine de tenter l’expérience. Sauf qu’ils m’ont proposé 2 000 dollars net, sans allocations de transport ni de logement. Un tel poste est d’habitude rémunéré entre 4 000 et 4 500 dollars! » dénonce Jad, qui a fini par décliner l’offre. Il poursuit : « On ne peut pas survivre en Arabie saoudite avec 2 000 dollars et sans logement fourni par l’employeur (comme il est d’usage dans de nombreux pays du Golfe). À moins de vivre à quatre ou cinq dans un studio. D’autant que la plupart des contrats de location exigent le paiement de six mois de loyer à l’avance. » Selon Jad, les recruteurs calculent leurs offres salariales en ayant en tête la dévaluation de la livre. « Ils calculent maintenant nos salaires en fonction du coût de la vie au Liban, et non pas en fonction de celui dans le Golfe. Les employeurs savent qu’avec la dévaluation, nous serons contents de pouvoir envoyer 200 ou 300 dollars à nos familles, alors qu’avant la crise, nous envoyions 1 500 dollars. Ils font désormais des économies sur nos salaires et nous traitent comme des moins que rien », se désole-t-il.

Des Libanais sous-payés par d’autres Libanais

Le jeune Libanais dénonce par ailleurs le fait que certaines de ces offres de travail sous-payées soient proposées par des expatriés libanais établis dans le Golfe. Selon Jad, dont les propos sont étayés par d’autres témoignages, ces recruteurs libanais n’ont pas d’état d’âme à tirer parti de la situation précaire de leurs compatriotes. « J’ai effectué mes derniers entretiens avec un Libanais qui occupe des fonctions importantes au sein de cette société de produits de luxe. Après avoir quelque peu tourné mon expérience professionnelle en dérision, c’est lui qui m’a proposé 2 000 dollars au lieu de 4 000. Je n’en reviens pas que nos compatriotes nous traitent de cette manière et profitent de notre misère », s’insurge Jad.

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Plus question, pour lui, de postuler pour les pays du Golfe dans un tel climat. « Je vais peut-être tenter l’Afrique ou l’Égypte. En attendant, je reste ici parce que je m’en sors bien malgré tout », indique Jad.

Lamia*, la trentaine, a eu une expérience similaire dans une école libanaise à Abou Dhabi. Elle a fini par rentrer à Beyrouth au bout de trois mois, après avoir travaillé dans des conditions difficiles. « J’étais très mal payée et le loyer était très cher. J’ai tout laissé tomber et je suis rentrée au Liban. Je n’arrivais pas du tout à m’en sortir », raconte-t-elle. Avant de débarquer dans cette école, Lamia avait passé plusieurs semaines à Dubaï où on lui avait promis un poste dans l’événementiel. « À mon arrivée, j’ai découvert qu’il n’en était rien. On m’a embauchée comme secrétaire, avec un salaire beaucoup plus bas que ce qu’on m’avait promis », confie la jeune femme qui, aujourd’hui, reprend ses recherches à zéro.

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Même son de cloche du côté de Malek*, un ingénieur du son ayant reçu de nombreuses offres qu’il a toutes déclinées en raison de rémunérations qu’il a jugées trop faibles. « On m’a d’abord proposé de travailler pour 800 dollars par mois aux Émirats arabes unis sans même m’assurer un logement. Je ne pouvais pas accepter, car il m’aurait été impossible, dans ces conditions, d’envoyer quoi que ce soit à ma famille », confie Malek. « J’ai reçu ensuite des offres à 1 200 ou à 1 500 dollars en Arabie saoudite que j’ai également refusées. À ma connaissance, les ingénieurs du son libanais sont payés 300 dollars par jour », soupire le jeune homme qui préfère travailler à son compte depuis Beyrouth. Il révèle par ailleurs que « la plupart des compagnies » qui l’ont contacté « étaient dirigées par des Libanais ou comptaient des associés libanais au sein de la direction ». « Quelle honte de vouloir profiter de nos problèmes de cette manière, dénonce Malek. J’ai des années d’expérience, et j’ai suivi de nombreux séminaires et formations. Je n’accepterai pas l’expatriation pour un salaire de débutant ! »

Prêt à partir... pour 500 dollars

Si certains Libanais, qui arrivent encore à s’en sortir ici, refusent d’être sous-payés à l’étranger, d’autres sont prêts à tout pour quitter leur pays. Yasser*, serveur dans un restaurant à Beyrouth, se dit disposé à partir à l’étranger à tout prix au vu de la situation dramatique du pays. « Je suis prêt à faire mes valises pour 500 dollars par mois. Ici, je gagne à peine deux millions de livres, ce qui équivaut environ à 100 dollars (suivant le taux du marché noir). Je ne peux pas continuer comme cela », explique-t-il.

Yasser, qui a déjà postulé pour un emploi au Qatar, dit attendre une réponse concernant sa candidature cette semaine : « J’ai trouvé une offre pour un job dans la restauration payé 750 dollars par mois. Avant, j’aurais pu toucher entre 1 200 et 1 500 dollars pour le même poste. Mais peu importe, j’accepterai n’importe quoi pour partir d’ici. »

*Les prénoms ont été modifiés

Avec l’accentuation de la crise économique ces derniers mois au Liban, Carine, une architecte d’intérieur de 26 ans, a commencé à chercher du travail à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe qui constituent, en temps normal, une destination de choix pour de nombreux Libanais. La jeune femme, qui cumule trois emplois à Beyrouth pour joindre les deux bouts, s’est récemment vu...

commentaires (13)

Objectivement, les salaires au Liban n'étaient pas ceux du marché, notamment dans les banques où ils étaient "subventionnés". Il y a d'autres étrangers plus compétents dont les prétentions salariales sont plus réalistes, surtout à Dubaï. Ensuite, les libanais n'ont jamais eu de scrupule à établir le salaire de leur bonne sur la base du niveau de vie de leur pays d'origine... Pourquoi s'étonner qu'on fasse pareil avec eux ?

Georges Lebon

18 h 30, le 12 novembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (13)

  • Objectivement, les salaires au Liban n'étaient pas ceux du marché, notamment dans les banques où ils étaient "subventionnés". Il y a d'autres étrangers plus compétents dont les prétentions salariales sont plus réalistes, surtout à Dubaï. Ensuite, les libanais n'ont jamais eu de scrupule à établir le salaire de leur bonne sur la base du niveau de vie de leur pays d'origine... Pourquoi s'étonner qu'on fasse pareil avec eux ?

    Georges Lebon

    18 h 30, le 12 novembre 2021

  • La descente dans les abimes ….. « Abyssus. Abyssum. Invocat »

    Robert Moumdjian

    03 h 22, le 09 novembre 2021

  • Pire qu'indécent

    ROBERT Michel

    10 h 17, le 07 novembre 2021

  • Si le peuple libanais est comme ça, qu'attendons nous encore de nos dirigeants...

    Sfeir walid

    10 h 08, le 07 novembre 2021

  • Mais c’est ça la dignité voyons !! Ça ne m’étonne pas (car j’en ai entendu des vertes et des pas mûres sur se sujet la) du tout au lieu d’essayer de s’entraider comme les arméniens pour ne citer qu’eux, on ne fait que profiter l’un de l’autre !!! Et c’est partout pareil ….

    Bery tus

    05 h 46, le 07 novembre 2021

  • Votre article est déséquilibré. Il y a énormément de libanais au Golfe qui soutiennent d’autres libanais, qui recrutent des libanais pour les aider et qui payent des salaires décents et dans les moyennes du marché. L’exode de libanais à Dubai est impressionnant. Et beaucoup s’en sortent bien grâce à une entraide sans précédent. Vous auriez pu voir le verre à moitié plein. Comme si on avait pas assez de négativité comme ca…

    Hasbani Nadim

    05 h 12, le 07 novembre 2021

  • Before Lebanese were attempting to exploit other Lebanese abroad, many more did so at home. Many employers used to make a lot of money however have failed to pass on some of those gains to their employees. Many people got paid minimum wage or slightly higher while their employers were raking in. Even before the many crises, Lebanon was one of the most unequal countries in the world. Compounding the problem is that many media organizations never bothered to talk about the local economy, and tackle these serious issues. We were sleepwalking into these many crises while the political elite class and the bankers were robbing us.

    Mireille Kang

    02 h 54, le 07 novembre 2021

  • Des libanais dans la galere qui se font exploiter par d’autres libanais mieux lotis… vivant en europe je constate également avec tristesse que la communauté libanaise n’a aucune solidarité contrairement à d’autres communautés présentes la bas comme les juifs les turcs les armeniens ou meme les asiatiques qui ont developpé un veritable systeme d’entrainde entre compatriotes. Le libanais joue individuel et jamais collectif et des qu’il a un peu de pouvoir il n’a aucun scrupule a en profiter pour ecraser ses compatriotes.

    JPF

    20 h 32, le 06 novembre 2021

  • Vous en avez mis du temps l’OLJ pour publier cet article, finalement!!! Je suggère de commencer chez nous, au Liban!!! Beaucoup plus intéressant de savoir comment les multinationales Libanaises et les PME exploitent leurs employés, se remplissent les poches et râlent constamment!!! Samir Tabet

    Samir Tabet

    13 h 46, le 06 novembre 2021

  • … Des Libanais sous-payés par d’autres Libanais … Alfred me permettra une petite distorsion de ses propos … plusieurs négations ne font pas une nation … qu’elle honte !!

    Ayoub Elie

    10 h 29, le 06 novembre 2021

  • quant au directeur de banque, faut les comprendre aux arabes du Golf.... qui ont ete souffles de leurs comptes comme tout bon et pauvre libanais l'a ete... Alors ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 57, le 06 novembre 2021

  • Admettre cette info sous tend qu,au moins qqs ptites centaines de cas aient ete entendues ET VERIFIEES’´´ va pour qqs dizaines’´ qu ´on se fache pas trop de moi, mais etre sceptique est un MUST dans ce cas’ non par defence des employeurs arabes’ mais par manque de confiance en les libanais trop fantasmagoriques …

    Gaby SIOUFI

    09 h 35, le 06 novembre 2021

  • C’est une catastrophe et une honte de la part des libanais expatriés qui veulent exploiter leurs compatriotes avec des salaires de misère. Mais soyez donc solidaires entre vous libanais comme les arméniens et les juifs. Ensemble nous sommes plus forts. N’essayez pas de profiter de la situation calamiteuse du pays pour enfoncer vos compatriotes davantage. Au contraire « Aidez les

    Khoury-Haddad Viviane

    08 h 41, le 06 novembre 2021

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