
Le ministre de l'Information, Georges Cordahi, reçu à Bkerké par le patriarche maronite, Béchara Raï (g), le 30 octobre 2021. Photo Anwar AMRO / AFP
Malgré le rappel des ambassadeurs de plusieurs pays du Golfe au Liban, Beyrouth a écarté samedi une démission du gouvernement de Nagib Mikati, après avoir mis en place vendredi soir une cellule de crise gouvernementale pour tenter de résoudre la grave crise diplomatique avec l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe, déclenchée par des propos polémiques du ministre libanais de l'Information, Georges Cordahi, qu'il avait tenus sur le Yémen avant d'être nommé à son poste. Ce gouvernement, déjà miné par une grave crise politique interne, ne s'est plus réuni depuis deux semaines.
Vendredi, l'Arabie saoudite et Bahreïn avaient décidé de rappeler leurs ambassadeurs au Liban et d'expulser les ambassadeurs libanais sous 48h. D'autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) leur ont emboîté le pas. C'est ce qu'on fait samedi le Koweït et les Emirats. Des centaines de milliers de Libanais travaillent dans les pays formant le CCG -Arabie saoudite, Emirats, Qatar, Bahreïn, Koweït et Oman. Le Qatar a lui condamné les propos "irresponsables" de M. Cordahi mais il n'a pas pris de mesures de rétorsion, appelant seulement le gouvernement libanais à agir "pour surmonter les dissensions entre (pays) frères". Et Oman a appelé les différentes parties à oeuvrer "pour éviter l'escalade et régler les différends par le dialogue".
Selon des experts, la crise diplomatique entre Riyad et Beyrouth va au-delà des propos de M. Cordahi, et reflète une lutte d'influence entre l'Iran et l'Arabie saoudite, dont le Liban paie le lourd tribut.
"Il n'y a pas de crise avec le Liban mais une crise au Liban en raison de l'hégémonie iranienne", a déclaré samedi le ministre saoudien des Affaires étrangères Fayçal ben Farhan à la chaîne de télévision Al-Arabiya. "La dominance du Hezbollah sur le système politique au Liban nous inquiète."
Cette affaire embarrasse le Premier ministre Mikati, d'autant plus que le Liban mise toujours sur une aide financière potentielle du Golfe pour relancer son économie en plein effondrement. Il a dit, vendredi soir, "regretter profondément la décision du royaume" et espéré que "la direction saoudienne, avec sa sagesse, la reconsidérera". Alors qu'il se trouve à l'étranger, M. Mikati a nommé le chef de la diplomatie, Abdallah Bou Habib, à la tête d'une cellule interministérielle chargée de trouver une issue à cette crise.
"Le pays ne peut pas rester sans gouvernement"
"Les parties internationales avec qui Nagib Mikati est entré en contact lui ont demandé de ne pas envisager de démissionner", a fait savoir M. Bou Habib, à l'issue de la première réunion tenue par cette cellule de crise samedi. "Cette cellule poursuivra ses réunions", a ajouté le responsable. M. Bou Habib a confirmé, dans ce contexte, la brève participation du chargé d'affaires de l'ambassade américaine au Liban, Richard Michaels, affirmant que "nous sommes en contact avec les Américains, car ils sont capables de résoudre cette crise".
Le ministre de l'Education, Abbas Halabi, qui fait partie de ce comité, aux côtés de ses collègues de l'Economie Amine Salam, de l'Intérieur Bassam Maoulaoui, des Finances Youssef Khalil, et du directeur général de la présidence, Antoine Choucair, a également affirmé qu'une démission du gouvernement n'était pas à l'ordre du jour. "Le travail gouvernemental se poursuit et le pays ne peut pas rester sans cabinet en raison des crises", a-t-il dit. "Nous avons bon espoir en notre capacité à parvenir bientôt à une solution à cette crise", a ajouté M. Halabi. "Le dossier est en cours de traitement, et nous espérons que dans les prochaines heures il sera réglé. Tout ce que nous demandons, c'est que les portes du dialogue soient ouvertes, car c'est la seule solution pour tous les problèmes", a-t-il ajouté.
Suivant également le dossier, le président de la République, Michel Aoun, a insisté samedi sur son "attachement aux meilleures relations avec l'Arabie saoudite (...) sans que cela ne soit affecté par les opinions exprimées par certains (...)".
Plus tôt dans la journée, le ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a affirmé "refuser catégoriquement que le Liban soit isolé de la légalité arabe". "Nous tenons aux meilleures relations avec nos frères arabes et nous réitérons notre attachement à la sécurité et la sûreté de l'Arabie saoudite et des autres pays du Conseil de Coopération du Golfe (...)", a-t-il ajouté. En soirée, et dans des propos accordés à la chaîne américaine arabophone Al-Hurra, Bassam Maoulaoui a affirmé que Nagib Mikati "ne pense pas que la solution consiste en la démission du gouvernement".
Boukhari rassure sur les Libanais en Arabie
L'Arabie saoudite a annoncé, vendredi soir, plusieurs mesures diplomatiques importantes et sévères touchant le Liban après les propos du ministre de l'Information, Georges Cordahi, concernant la guerre au Yémen et l'implication des pays du Golfe dans ce conflit. Le gouvernement saoudien a ainsi décidé de rappeler son ambassadeur à Beyrouth, Walid Boukhari, "pour consultations", de donner un délai de 48 heures à l'ambassadeur du Liban en Arabie, Fawzi Kabbara, pour quitter le royaume et de mettre un terme à toutes les importations libanaises.
Le royaume a rappelé, par ailleurs, à ses ressortissants de ne pas voyager au Liban "en raison de l'instabilité sécuritaire" qui y règne. Un peu plus tard, Bahreïn, qui entretient des liens étroits avec Riyad, a également demandé le départ de l'ambassadeur du Liban sous 48h. Et samedi, le Koweït et les Emirats on fait de même.
Dans un tweet se voulant rassurant par rapport aux Libanais résidant dans le royaume wahabite, l'ambassadeur d'Arabie saoudite au Liban, Walid Boukhari, a affirmé que "le gouvernement saoudien est constamment attaché aux Libanais résidant (dans le royaume, NDLR) et qu'il considère être comme une partie intégrante du tissu qui unit le peuple saoudien à ses frères arabes résidant en Arabie". Selon des médias libanais, l'ambassadeur Boukhari a quitté le Liban ce matin.
Sur le plan régional, le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmad Aboul Gheit, s'est dit "confiant" en la capacité du gouvernement Mikati à résoudre cette crise. Le responsable a exprimé sa "profonde inquiétude concernant la détérioration rapide des relations entre le Liban et le Golfe (...)". Il a estimé que cette crise "aurait dû être traitée au Liban, de façon à la désamorcer".
M. Aboul Gheit s'est dit "confiant en la sagesse et la capacité du président de la République, Michel Aoun, et du Premier ministre, Nagib Mikati, pour oeuvrer rapidement à prendre les mesures nécessaires en vue de mettre un terme à cette détérioration des relations et calmer la situation, surtout avec l'Arabie saoudite (...)". Il a également appelé les pays du Golfe à "prendre les mesures qui pourraient limiter les conséquences négatives sur une économie libanaise en effondrement (...)".
Frangié soutient Cordahi
Dans une émission télévisée datant du 5 août et diffusée lundi, Georges Cordahi, actuel ministre libanais de l'Information mais qui n'était à l'époque pas encore membre du gouvernement, avait qualifié "d'absurde" la guerre menée depuis 2015 au Yémen par la coalition militaire en appui du gouvernement, et estimé qu'il était "temps qu'elle s'arrête". Il avait ajouté que les rebelles houthis, soutenus par l'Iran, se défendaient "face à une agression extérieure" et que "leurs maisons, leurs villages, leurs mariages et leurs enterrements étaient bombardés" par la coalition. Riyad a estimé mercredi que ces propos portaient "atteinte aux efforts de la coalition" et n'étaient "pas en harmonie avec les relations historiques" entre Beyrouth et Riyad.
Dans une déclaration à la télévision libanaise mercredi, M. Cordahi a souligné avoir tenu des propos reflétant son "opinion personnelle" avant sa nomination le 10 septembre. Il a assuré ne "pas avoir attaqué l'Arabie saoudite" mais s'est abstenu de présenter des excuses.
Le leader maronite et chef du Courant des Marada, Sleiman Frangié, dont M. Cordahi est proche, a fait savoir samedi que celui-ci a "proposé de démissionner depuis le siège patriarcal maronite de Bkerké ou le palais présidentiel de Baabda". "Mais j'ai refusé, car ma conscience ne me permet pas de demander une telle chose à un ministre qui n'a pas commis d'erreur", a soutenu M. Frangié. "Je me tiens au côté de M. Cordahi en toutes circonstances, et je ne l'ai pas nommé pour le sacrifier au profit de quiconque", a ajouté le chef des Marada, à l'issue d'un entretien avec le patriarche maronite, Béchara Raï. Georges Cordahi a lui aussi été reçu en fin de journée, samedi, par le patriarche Raï, et a quitté Bkerké sans faire de déclarations à la presse.
"Les index levés"
Commentant cette nouvelle crise, l'ex-Premier ministre Saad Hariri, dont la formation politique a vertement critiqué la veille le Hezbollah, est revenu à la charge en tenant pour responsables le parti chiite, le président Aoun, et son gendre le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil.
"Lorsque les relations entre le Liban et l'Arabie saoudite, ainsi que les autres pays du Golfe en arrivent à ce niveau d'irresponsabilité (...), cela veut sûrement dire que nous, Libanais, vivons véritablement en enfer", a tweeté le leader sunnite, autrefois proche de Riyad mais désormais tombé en disgrâce aux yeux du pouvoir saoudien ces derniers années en raison de son modus vivendi avec le Hezbollah. Il reprenait l'expression "Nous irons en enfer" de M. Aoun, lorsqu'il avait été interrogé il y a quelques mois par une journaliste sur l'avenir du Liban qui traverse une crise grave.
"Des politiques irréfléchies set hautaines au nom de la souveraineté et des slogans creux ont mené le Liban à un isolement arabe inédit dans son histoire", a encore estimé le chef du Courant du Futur. "Le coût de cet isolement sera payé par le peuple libanais déjà en crise et qui subit tous les jours les pires insultes, sans que la classe au pouvoir ne cille", a encore fustigé M. Hariri.
"La responsabilité incombe sur ce plan au Hezbollah qui entretient une hostilité envers les pays arabes et ceux du Golfe, et sur ce mandat qui a donné les clés du pouvoir aux nains de la politique et de l'information (...)", a ajouté Saad Hariri, dans une allusion claire au président Aoun, à son gendre, le député Gebran Bassil, et au ministre Cordahi. "L'Arabie saoudite et tous les pays du Golfe ne seront pas des boucs émissaires des politiques de l'Iran dans la région, et la souveraineté du Liban ne peut être maintenue en s'attaquant aux souverainetés des Etats arabes et en mettant en danger les intérêts et la sécurité des pays frères à cause des dangers importés d'Iran", a estimé l'ex-chef du gouvernement.
"Vous voulez un Etat souverain, digne et national, ôtez la main de l'Iran du Liban et cessez les politiques hautaines, les index levés et les menaces aux Libanais en raison d'une armée qui se trouve au-dessus de l'armée libanaise et des institutions étatiques", a poursuivi M. Hariri, dans une référence claire au Hezbollah. "Ras-le bol, véritablement. Tout le monde doit savoir que l'arabité du Liban constitue la porte de sécurité de notre pays, et tout propos contraire à cela mènera en enfer", a conclu le leader sunnite.
M. Hariri, et les ex-Premiers ministres Tammam Salam et Fouad Siniora ont publié un communiqué commun dans lequel ils ont appelé le ministre de l'Information à "démissionner rapidement".
Quant au chef druze Walid Joumblatt, qui a prononcé un discours samedi matin pour définir les constantes de sa formation le Parti socialiste progressiste (PSP), il a plaidé pour "le maintien de ce qui reste des relations libano-arabes, notamment avec les Etats qui ont été un soutien au Pays du Cèdre lors des crises et des épreuves les plus difficiles".
Les Forces libanaises (FL) de Samir Geagea, leader chrétien proche de Riyad, ont, elles aussi, condamné les propos du ministre Cordahi, mais se sont dit rassurées quant à la situation des Libanais en Arabie, suite aux assurances du gouvernement saoudien. Le rival chrétien des FL, le Courant patriotique libre du député Gebran Bassil, a pour sa part exprimé ses regrets concernant cette crise et plaidé en faveur d'un "examen de soi et d'un dialogue franc et direct, basé sur la fraternité". La formation, fondée par le président Aoun, a plaidé pour "la distanciation du Liban des conflits étrangers".
Malgré le rappel des ambassadeurs de plusieurs pays du Golfe au Liban, Beyrouth a écarté samedi une démission du gouvernement de Nagib Mikati, après avoir mis en place vendredi soir une cellule de crise gouvernementale pour tenter de résoudre la grave crise diplomatique avec l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe, déclenchée par des propos polémiques du ministre libanais de...
commentaires (24)
Ce qui est extraordinaire dans ce pays de malfrats encouragé par des Libanais confessionnalistes à l’extrême c’est que quand on atteint le fond on continue de creuser! Ça c’est bien! Je leur souhaite pour cet hiver rigoureux qui arrive que ce confessionalisme nauséabond leur permette de se réchauffer au moins!
PROFIL BAS
10 h 59, le 31 octobre 2021