Rechercher
Rechercher

Info et usage de faux

Commençons par rappeler, admettre et établir une fois pour toutes que chacun est libre de ses opinions. Georges Cordahi, star des jeux télévisés et proche du président de Syrie, use donc du plus naturel de ses droits quand, dans un panel destiné au web et enregistré au mois d’août dernier, il critique durement l’expédition militaire saoudite contre les houthis du Yémen soutenus par l’Iran. Si ses propos, lancés il y a quelques jours seulement sur la toile, font néanmoins l’effet d’une bombe, c’est parce que Cordahi est devenu, entre-temps, ministre de l’Information dans le cabinet Mikati.


La funeste suite, on la connaît : fureur des Saoudiens, déjà montés contre le Liban, et qui, après avoir vainement exigé des excuses, en venaient hier soir à expulser l’ambassadeur du Liban à Riyad, à rappeler leur représentant à Beyrouth et à arrêter les importations de produits libanais ; refus du ministre en question de faire amende honorable ou de démissionner, au motif qu’il a mis au rancart ses convictions personnelles et qu’il a fait sienne la ligne gouvernementale à l’instant où il prenait possession de son ministère; et panique au Sérail, face au spectre d’une grave crise diplomatique, d’une rupture totale peut-être, avec ces mêmes États du Golfe que s’évertuait à amadouer, dès sa prise de fonctions, le Premier ministre. Car non seulement la contribution de ces richissimes royaumes pétroliers sera déterminante dans le cadre de tout effort international de redressement financier du Liban, mais des centaines de milliers de nos concitoyens y vivent et y travaillent, aidant ainsi à la subsistance de leurs proches restés au pays. Au plan local enfin, la bombe yéménite n’aura pas épargné de ses éclats le boiteux modus vivendi qui régissait, depuis des années, le conflit latent entre le courant du Futur et le Hezbollah : développement qui augure d’une polarisation croissante du panorama politique, à l’approche des élections législatives projetées pour le printemps.


Ce désastreux imbroglio se trouve encore compliqué par le dense réseau de faux-fuyants et de contre-vérités dont se pare le simulacre de démocratie ayant cours au Liban. Il était vain ainsi de souffler à l’oreille du ministre qu’il aurait mérité de la patrie s’il s’effaçait, gommant du coup l’objet du litige. Tout aussi superflue eût été l’évocation de ce ministre libanais des AE promptement poussé vers la sortie pour avoir traité de Bédouins les Arabes du Golfe. Comment convaincre en outre cette gloire de la télé que le titre de ministre de l’Information (autrement dit de la propagande officielle, de l’intox) est de toute manière un bien médiocre couronnement de carrière, une piètre promotion que seuls octroient désormais les régimes autocratiques ? Que c’est encore plus vrai à l’ombre d’un État carrément failli ? Que depuis des décennies déjà au Liban, la principale, sinon la seule, occupation du détenteur de ce titre se borne à ânonner les décisions du Conseil des ministres, tâche dont s’acquitterait haut la main un banal porte-parole ?


L’affligeante vérité est que même si Cordahi s’était rendu à ces arguments, il n’avait guère la latitude d’en tirer les conséquences. Car en lui apportant bruyamment son soutien, le Hezbollah en a fait une nouvelle camisole de force servant à emmailloter, à corseter plus étroitement encore, le gouvernement. Celui-ci est déjà paralysé par l’exigence, que brandit la milice pro-iranienne, d’une récusation du juge d’instruction Tarek Bitar enquêtant sur l’hécatombe du port de Beyrouth. Pour cauchemardesque qu’elle soit aux yeux de l’opinion publique, une telle perspective a paru un moment prendre consistance avec l’arrangement que le président de l’Assemblée aurait réussi à fourguer au patriarche maronite.


Entre autres gesticulations, on aura vu aussi le Premier ministre vanter la fiction de la neutralité officielle par rapport aux conflits régionaux, alors même que l’un des piliers de son gouvernement continue, à ce jour, de guerroyer en Syrie et ailleurs. Avec le même sérieux, il a minimisé la portée des initiatives individuelles que peuvent prendre certains ministres et qui, selon lui, n’engagent en rien son cabinet. Il s’est défendu de toute ingérence dans les affaires de la justice, dans le même temps qu’il invitait celle-ci à se réformer elle-même : en se chargeant de dégommer toute seule le gêneur, par exemple ?


Le faux et l’usage de faux sont normalement des délits sanctionnés par la loi. Ils ne sauraient longtemps faire illusion, dès lors qu’ils deviennent style de gouvernement. À un pouvoir libanais sourd aux plaintes du peuple, ce sont des Bédouins du désert qui viennent tout juste de le signifier.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Commençons par rappeler, admettre et établir une fois pour toutes que chacun est libre de ses opinions. Georges Cordahi, star des jeux télévisés et proche du président de Syrie, use donc du plus naturel de ses droits quand, dans un panel destiné au web et enregistré au mois d’août dernier, il critique durement l’expédition militaire saoudite contre les houthis du Yémen soutenus par l’Iran. Si ses propos, lancés il y a quelques jours seulement sur la toile, font néanmoins l’effet d’une bombe, c’est parce que Cordahi est devenu, entre-temps, ministre de l’Information dans le cabinet Mikati. La funeste suite, on la connaît : fureur des Saoudiens, déjà montés contre le Liban, et qui, après avoir vainement exigé des excuses, en venaient hier soir à expulser l’ambassadeur du Liban à Riyad, à rappeler...