
Le ministre libanais de l'Information Georges Cordahi lors d'une conférence de presse mercredi 27 octobre 2021. Photo Dalati et Nohra
Le ministre libanais de l'Information Georges Cordahi a refusé de présenter des excuses mercredi pour ses propos qui ont fait polémique sur le conflit au Yémen et l'implication saoudienne, et qu'il avait tenus lors d'une interview télévisée filmée début août et diffusée en début de semaine. Ces déclarations ont fait craindre ces dernières heures un nouveau raidissement des relations entre le Liban et les pays du Golfe, malgré les réactions officielles au sein du gouvernement de Nagib Mikati afin d'apaiser la situation. Signe des tensions provoquées par cette polémique, l'Arabie saoudite, les Emirats, le Koweït et le Bahreïn ont convoqués les diplomates libanais en poste afin d'exprimer des protestations officielles.
Lors d'une conférence de presse, Georges Cordahi a refusé de s'excuser et a estimé n'avoir "commis aucune faute", insistant toutefois sur le fait que ses déclarations "n'engagent en rien le gouvernement, dont il n'était pas encore membre" lors de l'enregistrement de l'émission. "Je n'ai jamais attaqué ni insulté l'Arabie saoudite ni les Emirats", a-t-il déclaré. Il a estimé qu'il ne peut prendre seul la décision de démissionner du cabinet, réclamée selon certaines sources par le royaume wahhabite, soulignant toutefois qu'il "n'a aucune ambition" concernant ce poste et qu'il "place l'intérêt du Liban au-dessus de toute autre chose". M. Cordahi a encore dénoncé le fait que "les premiers à s'en prendre à lui sont ceux qui défendent le plus fermement la liberté d'expression et de la presse". "Depuis que j'ai pris mes fonctions, certains essaient de me dépeindre comme quelqu'un qui veut museler les médias", a-t-il critiqué.
Dans un communiqué publié en fin de journée, M. Cordahi a réitéré son attachement aux dispositions de la déclaration ministérielle du gouvernement Mikati, un texte dont il avait contribué à la rédaction dans le cadre de la commission chargée de cette tâche. Le ministre a également réaffirmé son engagement à respecter la politique étrangère du gouvernement libanais, "notamment pour ce qui a trait à la préservation des meilleures relations avec les pays arabes frères, en particulier l'Arabie saoudite, les pays du Golfe et le Yémen". Le ministre a signalé une fois de plus que ses propos polémiques étaient intervenus dans le cadre d'une interview télévisée enregistrée à Istanbul, en Turquie, le 5 août dernier, soit avant la formation du gouvernement dont il fait partie, affirmant qu'il s'exprimait "à titre personnel". Pour ce qui est des excuses que lui avaient demandées plusieurs figures saoudiennes, M. Cordahi a répété qu'il "n'avait commis d'erreur à l'égard de personne" et a dit "avoir le courage éthique de présenter des excuses pour une erreur qu'il commettrait durant son mandat de ministre, et à titre officiel". Comprendre qu'il ne présentera pas d'excuses pour ses propos tenus avant d'être membre du gouvernement.
Mardi soir, son bureau de presse avait publié un communiqué dans lequel il affirmait n'avoir aucune intention de "porter atteinte à l'Arabie saoudite ou aux Émirats arabes unis". "Lorsque je dis que la guerre au Yémen est absurde et qu'il faut qu'elle s'arrête, ce sont mes convictions et je ne le dis pas pour défendre le Yémen, mais également par amour pour l'Arabie et les Émirats", pouvait-on lire dans le texte. Rappelant que l'entretien date de plus de deux mois, il a accusé des "parties bien connues" de vouloir mener une "campagne" contre lui.
Les houthis "se défendent et se font bombarder"
Lors de l'émission "Parlement du peuple" diffusée sur les réseaux sociaux de la chaîne qatarie al-Jazeera, M. Cordahi était interrogé sur la guerre au Yémen où l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis soutiennent les forces loyalistes contre les rebelles chiites houthis, soutenus par Téhéran. Il avait estimé que les houthis "se défendent et n'attaquent personne", estimant que le conflit au Yémen est "absurde". "Ils se défendent contre des attaques extérieures lancées depuis des années contre le Yémen", alors qu'ils "se font bombarder dans leur maison, pendant des obsèques et des mariages", avait insisté M. Cordahi, qui n'avait pas encore été nommé ministre lors du tournage de l'émission. Celle-ci date du 5 août alors que le gouvernement Mikati a été formé le 10 septembre.
Georges Cordahi, qui a fait carrière dans les médias en tant qu'animateur et jouit d'une certaine popularité dans le monde arabe, avait par ailleurs exprimé l'espoir au cours de l'interview d'"un coup d’État" au Liban. "Il faudrait un putsch militaire pour une durée de cinq ans, afin d'organiser la situation et de défendre les droits des gens", avait-il lancé. L'émission confronte une personnalité à un panel de plusieurs personnes originaires de différents pays du monde arabe. Après les questions, ce "Parlement" de jeunes décide ou non d'accorder sa confiance à l'invité interrogé.
Les critiques du Golfe
Les propos du ministre libanais n'ont pas tardé à provoquer un tollé sur les réseaux sociaux et dans les milieux diplomatiques et politiques. Le ministre saoudien de l'Information, de la Culture et du Tourisme, Mouammar al-Eriyani, a ainsi appelé Beyrouth à "prendre une position claire" sur la question, estimant que les déclarations de M. Cordahi "portent atteinte aux relations entre le Liban et l'Arabie".
Les déclarations de Georges Cordahi témoignent de son "ignorance" de la situation au Yémen et de son "parti-pris aveugle" pour les houthis, a souligné le ministre saoudien, dont les tweets ont été notamment partagés par l'ambassadeur saoudien à Beyrouth, Walid Boukhari. "Il feint d'ignorer le rôle du régime iranien et son agenda expansionniste au Yémen et dans la région", a-t-il ajouté. "Comment le ministre Cordahi ignore-t-il que la coalition menée par l'Arabie saoudite est intervenue après une demande officielle" des autorités yéménites ?, s'est interrogé l'officiel saoudien. Il a dénoncé dans les propos du ministre libanais une "violation flagrante du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures du Yémen, qui vont également à l'encontre des appels au cessez-le-feu lancés aux houthis par la communauté internationale". "Nous réclamons du gouvernement et du peuple libanais une prise de position claire par rapport à ces déclarations qui portent atteinte aux relations entre le Liban et l'Arabie saoudite", a-t-il conclu.
Le secrétaire général du Conseil de coopération des pays du Golfe, Nayef al-Hajraf, a quant à lui dénoncé dans un communiqué les déclarations du ministre libanais, lui demandant de présenter des excuses. "Nous refusons totalement les déclarations de M. Cordahi, qui démontrent une compréhension insuffisante des événements au Yémen", a-t-il écrit au nom du CCG. Ces propos portent atteinte à l'Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, a-t-il estimé, rappelant que les houthis "ciblent régulièrement le territoire saoudien avec des missiles et des drones, ainsi que le peuple yéménite afin de l'empêcher d'avoir accès aux aides humanitaires". M. Hajraf a réclamé à l'Etat libanais de "clarifier sa position" concernant ces déclarations polémiques.
Mercredi, en fin de journée, le ministère saoudien des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur du Liban à Riyad, Fawzi Kabbara. Les autorités saoudiennes ont remis à M. Kabbara un document officiel de protestation. Le ministère émirati des Affaires étrangères a lui aussi convoqué l'ambassadeur libanais, tout comme le Bahreïn. La diplomatie koweïtienne a, elle, convoqué le chargé d'affaires libanais au Koweït, Hadi Hachem, afin de lui remettre une "protestation formelle". Le ministère koweïtien des Affaires étrangères a dénoncé dans un communiqué des "accusations vides de sens" lancées par le ministre libanais.
Dans la foulée de cette polémique, l'ambassadeur Boukhari a effectué mercredi dans la journée une tournée auprès de ses homologues koweïtien et yéménite à Beyrouth.
La position du gouvernement libanais
Au Liban, les réactions officielles ne se sont pas fait attendre. Dès mardi soir, le Premier ministre Nagib Mikati a réaffirmé son engagement à "des relations fraternelles" entre le Liban et les pays arabes. Ces relations sont "définies de manière claire dans la déclaration ministérielle", a-t-il dit. Dans ce texte, le gouvernement s'engageait à "renforcer les relations internationales du Liban, notamment avec les pays arabes frères". Les déclarations de Georges Cordahi ont été faites "plusieurs semaines avant sa prise de fonction ministérielle", a précisé le président du Conseil, qui "refuse de tels propos qui n'expriment absolument pas la position du cabinet, surtout au sujet du conflit au Yémen et des relations avec les pays arabes et du CCG". "Nous tenons à avoir les meilleures rapports possibles avec le royaume saoudien et condamnons toute ingérence dans ses affaires intérieures, d'où qu'elle provienne", a-t-il insisté. Reçu à Baabda mercredi matin, M. Mikati a réaffirmé qu'il veillait aux "meilleures relations" avec les pays arabes et du Golfe, ajoutant que Beyrouth "se distançait des conflits" régionaux. "Le président Michel Aoun m'a demandé de confirmer cette prise de position", a-t-il poursuivi.
Le ministère des Affaires étrangères a aussi souligné que les déclarations du ministre de l'Information "ne reflètent pas la position du gouvernement libanais", rappelant avoir "condamné à de multiples reprises les attaques terroristes qui ont visé le royaume saoudien" en provenance des Houthis, notamment sur des aéroports.
Le ministre de l'Intérieur Bassam Maoulaoui a, lui, "refusé toute atteinte" aux relations libano-saoudiennes. Cette prise de position de M. Maoulaoui exprimée sur son compte Twitter a été partagée par l'ambassadeur Boukhari.
Quant au chef du courant des Marada et leader maronite du Nord, Sleimane Frangié, dont M. Cordahi est proche, il a affirmé que "si chacun a le droit d'avoir son opinion politique, au pays de la liberté et de la diversité", il est demandé aux dirigeants de rendre des comptes "lorsqu'ils arrivent à des postes à responsabilité". Le ministre Cordahi "a exprimé son opinion et sa propre lecture des événements avant d'avoir un tel poste, mais il a respecté les usages officiels de l'Etat après avoir pris ses fonctions, en respectant tous les pays arabes et surtout l'Arabie saoudite et les Emirats", a-t-il estimé, prenant la défense du ministre.
Les relations entre Beyrouth et Riyad sont tendues depuis plusieurs années en raison notamment de l'influence grandissante du Hezbollah, supplétif de l'Iran, sur la scène politique. Elles se sont davantage détériorées au cours des derniers mois en raison de plusieurs saisies de drogue dans des ports saoudiens, en provenance présumée du Liban. Et en mai dernier, le ministre sortant des Affaires étrangères Charbel Wehbé avait été démis de ses fonctions après un échange acide au cours d'un entretien télévisé avec un responsable saoudien, au cours duquel il avait implicitement accusé certains pays du Golfe de financer des groupes jihadistes en Syrie, en Irak et au Liban.
commentaires (30)
Le vrai politique ne livre pas toutes ses convictions, mais plutôt reste réservé au cas où ça ne concerne pas sa fonction officielle.
Esber
16 h 47, le 28 octobre 2021