
Suivant les règles d’engagement, aucun soldat ne peut utiliser son arme, à moins que sa vie ne soit en danger ou que sa mission soit compromise. Photo Mohammad Yassine
La tournure violente qu’a prise jeudi la manifestation de militants du tandem chiite Hezbollah-Amal interpelle. Plus particulièrement le rôle de l’armée libanaise dans ce qui était présenté comme une marche pacifique en direction du Palais de justice de Beyrouth pour protester contre le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth. Une marche qui s’est transformée en combat de rue à Tayouné entre les miliciens chiites lourdement armés et des snipers chrétiens présentés comme des vigiles des quartiers (Aïn el-Remmané/Furn el-Chebback/Badaro), faisant jusque-là 7 morts et 32 blessés. Alors que l’enquête suit son cours, l’armée annonçait samedi dernier l’interrogatoire d’un soldat filmé en train de tirer en direction de manifestants, lors des affrontements. « Le soldat en question est interrogé par les autorités judiciaires compétentes », a indiqué l’armée dans un tweet, tandis que le flou règne sur le nombre total d’arrestations liées à l’affaire.
Critiques voilées
Une chose semble acquise. L’armée a bien tiré ce jour-là, conformément aux vidéos publiées et au tweet de la troupe. Et pourtant, « elle n’a jamais reçu l’ordre de tirer », affirme à L’Orient-Le Jour le général Amine Hoteit, ancien officier de l’armée, proche du Hezbollah. Sa prestation ce jour-là est toutefois sujette à diverses interprétations. Qualifiée de « correcte dans des circonstances difficiles » par les proches de la troupe, elle est subtilement critiquée par les partisans des milices chiites ou chrétiennes. On parle alors de « manquement à ses devoirs de protection des habitants » ou « de mauvaise préparation préalable des renseignements militaires ». Mais une « bévue » ou un « incident isolé » n’est pas à écarter.
Rappelons d’abord un principe de base lié au rôle de l’armée. « Lorsque la troupe est envoyée en mission, elle est censée utiliser ses armes face à des éléments armés ou des fauteurs de troubles », explique le général à la retraite Chamel Roukoz, évoquant « le sacro-saint principe de monopole de la violence par les forces légales que l’on finit par oublier ». Or, « quoi qu’elles fassent, elles essuient des reproches », dénonce l’officier. « On les provoque, on les nargue, on les critique et on les accuse d’avoir fait ou de ne pas avoir fait », gronde-t-il.
La version officielle
Ce funeste jeudi, selon un responsable militaire qui a requis l’anonymat, la majorité des forces spéciales de la marine était déployées dans le périmètre du Palais de justice. Aux entrées de Chiyah était aussi postée la onzième brigade. Mais « à elles seules, ces deux forces étaient largement insuffisantes pour sécuriser le large tronçon de route partant de l’ancienne route de Saïda jusqu’au Palais de justice ». Sauf que la veille, à l’issue de pourparlers avec le tandem chiite, organisateur de la manifestation, « l’armée avait reçu des assurances de la part de l’ensemble des partis politiques qu’il n’y aurait pas d’escalade ». Elle avait aussi été informée du « parcours exact » des protestataires. « Après un premier arrêt au Palais de justice, une partie des manifestants se sont toutefois dirigés vers le croisement Chiyah-Aïn el-Remmané et se sont engagés dans des ruelles auxquelles ils n’étaient pas censés accéder (en référence à la rue Laure Moghayzel, perpendiculaire à l’avenue Sami el-Solh, NDLR), cassant tout sur leur passage, saccageant les biens des habitants, lançant des insultes », poursuit ce même responsable. C’est alors que tout a dégénéré. « Des premiers tirs sont entendus. Une première victime est abattue, vraisemblablement par un franc-tireur, non loin du collège des Frères. » Mais rien pour l’instant sur l’identité du tireur embusqué. « L’enquête devrait nous donner davantage d’indications », promet le responsable.
Selon le général Hoteit, la prestation de la troupe était « correcte et acceptable compte tenu du contexte ». Mais elle s’est heurtée à trois éléments déterminants sur le terrain, qui ont mis de l’huile sur le feu : « Le manque d’informations des renseignements militaires quant aux préparatifs dans les quartiers chrétiens, le changement impromptu de parcours des manifestants, et enfin le geste du militaire qui a tiré en direction d’un protestataire non armé. » Si le général reconnaît un « incident isolé qui sera très probablement lourdement sanctionné », il rappelle que, suivant les règles d’engagement, « aucun soldat ne peut utiliser son arme, à moins que sa vie ne soit en danger ou que sa mission ne soit compromise (…) et que s’il était contraint d’ouvrir le feu, ce serait d’abord en l’air puis au-dessus des têtes en cas de résistance ou sur les jambes, mais jamais au-dessus de la ceinture ».
Regardez ce qu’il s’est passé
Côté Forces libanaises, le discours est tout aussi ambivalent. D’une part, le porte-parole du parti chrétien, Charles Jabbour, est catégorique sur « le rôle fondamental de l’armée pour contrôler la situation ». « N’était-ce la présence des militaires sur le terrain, la situation aurait encore plus dégénéré », assure-t-il à L’OLJ. D’autre part, le chef des FL, Samir Geagea, s’exprimant sur le site en ligne Sawt Beirut international, a indiqué avoir reçu toutes les assurances officielles possibles que la manifestation du tandem chiite ne dégénérerait pas. « La veille, nous avions contacté l’armée et les Forces de sécurité intérieure au plus haut niveau. Elles nous ont rassurés. Nous partons du principe que tant que l’armée est présente, il n’y a aucun danger. Mais regardez ce qu’il s’est passé », lance-t-il, laissant entendre sans le dire que les forces de l’ordre n’ont pas été à la hauteur de la tâche. Des propos que les partisans FL n’ont pas hésité à tenir sur le terrain au lendemain du drame, accusant directement l’armée libanaise de « n’avoir pas sécurisé les entrées de Aïn el-Remmané ». La lecture politique va au-delà des reproches à la troupe. Dans le déroulé des événements, un élément de l’armée semble commettre une bévue, tirant visiblement sans réfléchir dans un premier temps. Une vidéo met ensuite en scène des membres du Hezbollah se disant sous le feu de l’armée. « Cela change la perspective, estime le politologue Karim el-Mufti. Si cette vidéo est avérée, il ne s’agirait plus d’un cas isolé, mais d’une ligne rouge franchie par l’armée libanaise, dans un message au Hezbollah qu’il accuse de briser l’accord tacite entre eux. »
Le général Amine Hoteit, ancien officier de l’armée, " proche du Hezbollah", semble etre bien au courant des ordres donnes a la troupe. Peut-etre n’a-t-il pas vu la video, largement diffusee, des chiiaa chiaa bousculant et menacant les soldats pour entrer a Ain Remmaneh. Si les manifestants contre le juge Bitar s’etaient dirige’s vers le Palais de justice sans vouloir croquer du chretien ce drame n’aurait pas eu lieu !
08 h 14, le 20 octobre 2021