Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s'en est pris lundi soir avec virulence aux Forces libanaises et à leur chef, Samir Geagea, qu'il a appelés à ne pas faire de "mauvais calculs" en s'opposant à son parti, qui peut compter sur "100.000 combattants armés et entraînés". Dans un discours retransmis en direct, qui intervient quatre jours après les combats meurtriers de Tayouné, le chef du parti chiite a encore accusé les FL de vouloir "lancer une guerre civile" et d'être "la plus grande menace pour l'existence des chrétiens au Liban". Selon les médias locaux, ce discours a été ponctué de tirs nourris dans certains quartiers du sud de Beyrouth.
"Les événements de jeudi dernier sont dangereux et constituent un tournant. Ils diffèrent d'autres incidents qui ont pu avoir lieu dernièrement", a déclaré le chef du Hezbollah, qui a qualifié de "massacre" les affrontements de Tayouné. Ces incidents ont éclaté alors qu'une manifestation du Hezbollah et du mouvement Amal, la formation du président du Parlement, Nabih Berry, se déroulait devant le palais de Justice de Beyrouth. Les militants du tandem chiite étaient venus protester contre le juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. Le rassemblement avait dégénéré en combats de rue dans le quartier voisin de Tayouné dans le sud de Beyrouth, faisant 7 morts et 32 blessés. Les affrontements ont opposé des miliciens chiites du Hezbollah et Amal à d'autres postés dans des quartiers chrétiens, et ont fait craindre une nouvelle guerre civile. Le tandem chiite a accusé les FL d'avoir tiré sur les manifestants, des accusations rejetées par la formation de M. Geagea
Le programme de Geagea : la guerre civile
S'en prenant d'entrée de jeu aux FL et à Samir Geagea dans son discours, Hassan Nasrallah les a accusés d'avoir "convaincu les habitants de Furn el-Chebbak et Aïn el-Remmané que les habitants des quartiers voisins, et notamment de la banlieue sud, sont des ennemis et qu'ils doivent rester en alerte", estimant que l'objectif de ce genre de discours est de se poser en "défenseur des chrétiens". "Ces dernières années, nous ne nous sommes jamais attaqués aux Forces libanaises, parce que nous ne voulons pas de tensions ni de problèmes avec les autres", a ajouté le dignitaire chiite. "Mais ce qu'il s'est passé jeudi dernier est un tournant et ouvre une nouvelle phase dans la politique interne", a-t-il déclaré. "Celui qui est le plus ciblé au Liban aujourd'hui est le Hezbollah et c'est pour cette raison que les Forces libanaises ont voulu en faire un ennemi. C'est pour cela que les FL déclarent que nous voulons envahir les quartiers chrétiens et changer la façon de penser des autres", a-t-il déploré. Toutefois, "le réel programme" du parti de Geagea est de lancer une guerre civile, afin d'établir un "canton chrétien sur lequel il pourra gouverner tout seul".
"Toutes les prises de positions des FL de ces derniers jours montrent que leur objectif est de cibler le Hezbollah", a-t-il souligné, se demandant pourquoi le parti de M. Geagea "ne s'est pas soulevé contre les partisans du mouvement Amal qui ont toutefois participé à la manifestation et qui ont, eux aussi, perdu trois d'entre eux dans les affrontements ?". "Ils n'ont pas de problème à attiser des incidents, même si cela mène à un événement sanglant ou à une guerre civile", a-t-il accusé, estimant que "les armes et l'entraînement" dont ont fait preuve les miliciens chrétiens jeudi dernier "démontrent que nous sommes en présence d'une milice meurtrière". Il a encore estimé que lorsque M. Geagea a évoqué vendredi soir un "mini 7 mai chrétien", il s'est auto-accusé de son implication dans les affrontements de Tayouné et que toutes les déclarations émanant de cadres FL depuis ces incidents sont "une revendication de la bataille et du massacre qui ont eu lieu".
"La plus grande menace pour les chrétiens"
Hassan Nasrallah a par ailleurs souligné que son parti s'est battu en Syrie et contre les jihadistes dans les jurds (arrières-pays) le long de la frontière syrienne "pour défendre les chrétiens autant que les musulmans", comme il l'a toujours fait, et qu'il n'a jamais commis aucune exaction contre des chrétiens, que ce soit pendant la guerre en Syrie ou après le retrait israélien du Liban-Sud. "La plus grande menace pour l'existence des chrétiens au Liban, ce sont les Forces libanaises et leur chef", a-t-il lancé, les accusant notamment d'avoir "coopéré" avec les groupes jihadistes Etat islamique et le Front al-Nosra.
Revenant sur nombreux événements récents de l'histoire libanaise, le chef du Hezbollah a tenté de montrer à plusieurs reprises que son parti avait œuvré pour la défense des chrétiens tandis que les choix de Samir Geagea étaient basés sur les seuls intérêts de son parti et les calculs politiques. Il a notamment rappelé que sa formation a soutenu la modification de la loi électorale pour une meilleure représentativité des chrétiens, alors que ce sont les FL qui se sont retirés de l'accord sur la loi dite orthodoxe à la dernière minute. Il a aussi rappelé le fait que les FL ont signé l'accord de Meerab (en 2016) avec le Courant patriotique libre uniquement pour éviter que Sleiman Frangié n'accède à la présidence. Il a encore accusé Samir Geagea de tout tenter pour "faire échouer" l'accord de Mar Mikhaël entre le Hezbollah et les aounistes. Cet argumentaire à l'attention des chrétiens libanais était principalement adressé au public aouniste, alors que des responsables du Courant patriotique libre, à la tête desquels le chef de l'Etat, Michel Aoun (fondateur du parti), et le chef du parti, Gebran Bassil, ont dernièrement lancé des piques à l'encontre du Hezbollah. Samedi, le chef du CPL avait ainsi affirmé que "les armes n'empêchent pas la sédition", en référence à l'armement du Hezbollah, tandis que Michel Aoun s'était de son côté élevé jeudi soir contre toute tentative de "prendre le pays en otage de ses propres intérêts ou comptes", dans une critique voilée au tandem chiite.
"Je conseille aux FL et à leur chef d'oublier totalement l'idée d'un conflit interne et d'une guerre civile", a par la suite lancé Hassan Nasrallah, affirmant que ces velléités du parti chrétien "se fondent sur des calculs erronés". Et de marteler : "Le Hezbollah dispose de 100.000 partisans libanais entraînés, armés, qui ont de l'expérience. Nous ne les avons pas entraînés pour une guerre civile, nous les avons entraînés pour nous défendre contre nos ennemis". "Nous ne sommes pas faibles ni effrayés. Ne vous trompez pas dans vos calculs et restez calmes", a-t-il encore mis en garde, s'adressant nommément aux FL et à leur chef.
Enquête rapide et sérieuse
Revenant par ailleurs sur les événements de Tayouné, Hassan Nasrallah a souligné qu'il n'y avait pas eu "d'appel populaire" à la manifestation devant le palais de Justice afin de limiter le nombre de participants et que les slogans à scander avaient été choisis avec soin pour éviter des tensions. A la veille de la manifestation, "nous avons demandé à l'armée de se déployer en force", a déclaré le leader chiite, et ce par crainte du "déploiement d'éléments des FL" dans les quartiers dans lesquels devaient passer les manifestants. "Nous nous en sommes entièrement remis à la troupe et à l'Etat libanais", a-t-il poursuivi, soulignant que son parti n'a pas pris lui-même de mesures de prévention "en raison de la sensibilité" des quartiers concernés. "Un dernier groupe devait rejoindre le sit-in à partir de Tayouné. Certains ont alors lancé des slogans provocateurs, ce qui était une erreur. Mais juste après, les tirs ont commencé et des victimes sont tombées, d'un seul côté", a-t-il raconté, affirmant que les manifestants, et en premier lieu des partisans du mouvement Amal, ont été "tués injustement". Il a souligné que la bonne version des faits est celle "donnée par l'armée libanaise directement après le début des événements, ainsi que par le ministre de l'Intérieur", qui faisait état de tirs contre les contestataires en provenance des quartiers chrétiens. "Nous voulons une enquête rapide et sérieuse afin de savoir comment se sont déroulés les événements et pour que les responsables rendent des comptes", a-t-il déclaré, mettant toutefois en garde contre une "politisation" de cette enquête. Le cas échéant, "nous ne laisserons pas le sang des martyrs avoir coulé en vain", a-t-il menacé.
Commentant par ailleurs la vidéo ayant circulé sur les réseaux sociaux et sur laquelle on voit un soldat tirer sur des manifestants, il a rappelé que "le commandement de l'armée a affirmé dans un communiqué que ce soldat est interrogé". "Que ce militaire ait agi individuellement ou sur ordre de quelqu'un, nous voulons que justice soit rendue", a-t-il martelé. Le chef du Hezbollah a mis en garde, dans ce cadre, contre des tentatives de mener son parti à la confrontation directe avec l'armée, insistant sur le fait que, malgré certaines frictions qui avaient eu lieu dans le passé, l'institution militaire reste "la garantie de l'unité et de la stabilité du Liban, et il faut que tout le monde la protège".
Affaire Bitar
Le chef du Hezbollah a en outre réitéré ses accusations de "politisation" contre le juge d'instruction Tarek Bitar. "Nous refusons cette politisation de l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth", a-t-il insisté. "Ceux qui sont le plus responsables de la déflagration sont les juges qui ont autorisé l'entrée du chargement de nitrate d'ammonium dans le port", a-t-il ajouté, soulignant qu'aucun de ces responsables judiciaires n'a été "diffamé" contrairement à de nombreux responsables politiques. "Comment notre revendication que le juge Bitar soit dessaisi est-elle comprise comme une menace alors que les intimidations lancées par les Américains, qui mettent en garde contre tout changement de magistrat à la tête de cette enquête, ne le sont pas ?, s'est-il interrogé. Le comportement clientéliste qui a eu lieu et continue d'être observé est-il représentatif de l'intégrité de la justice ?"
Le Hezbollah et Amal, mais également des responsables sunnites et chrétiens poursuivis par le juge Bitar, exigent le départ de celui-ci, alors que le magistrat, malgré les intenses pressions dont il fait l'objet, veut poursuivre plusieurs dirigeants dans le cadre de son enquête sur le drame du port. Mais les responsables politiques refusent d'être interrogés, même si les autorités avaient reconnu que les énormes quantités de nitrate d'ammonium qui ont explosé avaient été stockées au port pendant des années sans précaution. La Cour de cassation a dans ce cadre rejeté des recours de députés et ex-ministres à l'encontre du juge Bitar, lui permettant ainsi de reprendre ses investigations.
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"Ceux qui sont le plus responsable de la déflagration sont les juges qui ont autorisé l'entrée du chargement de nitrate “…. LOL. Qui en a besoin en Syrie ? Pourquoi les juges et les avocats non corrompus démissionnent sous les menaces? Toutes les personnes impliquées ont un degré de responsabilité. "Que ce militaire ait agi individuellement ou sur ordre de quelqu'un, nous voulons que JUSTICE soit rendue". Depuis la guerre civile, toutes les séries d’assassinats, le 4 aout 2020 et le 14 septembre 2021, les LIBANAIS crient JUSTICE. "Nous refusons cette politisation de l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth" = A bas votre totalitarisme ! = Quelles sont les preuves de politisation? Le juge ne les a pas encore écoutés et vous remuez ciel et terre. L’IMPUNITE pour tous est FINI du plus FORT au plus FAIBLE. Eh oui, il y a plus fort que vous. Ce qui peut être gagner par la JUSTICE ne peut être par les armes, leçons tirées de l’Afghanistan (reconquise), l’IRAK (détruite), la Syrie (détruite), et la Palestine (réduite). Finalement, la plus grande menace pour l'existence des LIBANAIS au Liban est la CULTURE de L’IMPUNITE envers les armes en libre circulation, les pseudo-politiciens exigeant une constitution à la carte, sans parler de leur corruption et leur incompétence. Vive l'Etat de Droit, de Liberté, d'Egalite et de Fraternité !
Alors...
23 h 09, le 19 octobre 2021