À peine l’avion du ministre iranien des Affaires étrangères a-t-il quitté l’aéroport de Beyrouth à destination de Damas que la visite imminente au Liban d’une délégation américaine présidée par la secrétaire d’État adjointe Victoria Nuland a été annoncée.
Il ne faut donc pas avoir trop d’imagination pour établir le lien entre les deux visites, même si officiellement il n’y a aucune confirmation qu’un tel lien existe, sachant que l’ambassade des États-Unis affirme que la tournée de Mme Nuland était prévue depuis quelque temps déjà. Ces deux visites qui se déroulent à un intervalle d’une semaine rappellent toutefois l’empressement de l’ambassadrice des États-Unis, Dorothy Shea, à contacter le chef de l’État Michel Aoun pour lui annoncer l’accord de son administration pour l’importation de gaz égyptien via la Syrie au Liban, au lendemain de l’annonce faite par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, le 19 août dernier, du départ du premier bateau iranien chargé de mazout à destination du Liban via le port de Banias en Syrie.
Les jours passent, les crises se succèdent, mais la rivalité entre les États-Unis et la République islamique d’Iran au sujet du Liban demeure. Dès qu’une des deux parties prend une initiative en direction du Liban, l’autre s’empresse de faire de même. Il est ainsi clair qu’aucune des deux parties ne veut laisser la scène libanaise sous le contrôle de l’autre. Cette concurrence américano-iranienne au Liban pourrait être un facteur positif pour le pays, si les Libanais étaient d’accord entre eux. Mais dans la situation actuelle, elle ne fait qu’accentuer les divisions et les clivages internes. Chaque proposition d’une des deux parties est rejetée par l’un ou l’autre des camps libanais et, au final, elles s’annulent réciproquement, alors que le pays ploie sous les crises.
Tant que les propositions restaient vagues et se limitaient au stade de promesses, la rivalité pouvait rester théorique, mais à partir du moment où l’Iran a commencé à entrer dans le concret, la situation est devenue plus compliquée.
C’est ainsi que la visite à Beyrouth du ministre iranien des Affaires étrangères, Hussein Amir Abdollahian (considéré comme un faucon en Iran), est intervenue après l’arrivée au Liban des chargements de mazout transportés par deux bateaux iraniens (le troisième est attendu très bientôt). Le ministre, qui a eu des rencontres officielles dans le respect total du protocole en vigueur, s’est ainsi exprimé avec l’assurance de celui qui a agi concrètement et marqué des points. Non seulement son pays a réussi à briser le blocus indirect – pour reprendre la terminologie utilisée par le Hezbollah et ses alliés – par les États-Unis et leurs alliés au Liban, mais il a aussi, selon les milieux qui lui sont favorables, contribué à alléger les souffrances du peuple libanais en permettant à son principal allié libanais de donner une partie du mazout iranien aux hôpitaux, dispensaires et autres centres de soins, et de vendre l’autre à bas prix, pour réduire les demandes du marché. Cette démarche a été bien sûr critiquée par le camp libanais pro-américain, ou même pro-saoudien, mais une partie de la population considérée comme neutre l’a accueillie avec un certain soulagement.
Dans cette partie d’échecs américano-iranienne qui se joue au Liban, l’Iran a donc remporté un coup, toujours aux yeux de ses amis, mais l’administration américaine n’est pas décidée à se laisser faire. Elle a d’une part confié à la Jordanie la mission de gérer l’approvisionnement du Liban en gaz et en électricité via la Syrie, mais en même temps, elle s’empresse de poser des garde-fous sur le chemin du gouvernement pour qu’il ne songe pas à aller trop loin dans son ouverture sur l’Iran. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la délégation américaine qui devrait entamer jeudi ses réunions au Liban comporte, outre les diplomates, un responsable du Trésor. Cette délégation qui arrivera à Beyrouth, après une visite à Moscou (tout comme le ministre Abdollahian d’ailleurs...) devrait donc mener des discussions diplomatiques, mais aussi financières et économiques, dans une tentative de couper court à toute velléité libanaise d’accepter les propositions iraniennes de construire des centrales électriques qui permettraient de répondre aux besoins en courant électrique des Libanais. Selon une source diplomatique européenne à Beyrouth, les États-Unis ne semblent pas prêts à céder du terrain à l’Iran au Liban, non pas tant en raison de l’importance de ce pays pour eux, mais pour ne pas le laisser sous le contrôle du Hezbollah. Toujours selon cette même source, les Américains se dirigent clairement vers un repli, même partiel, de la région, mais ils ne veulent pas que l’Iran remplisse le vide qu’ils pourraient laisser. D’où les discussions poussées qu’ils mènent actuellement avec la Russie et la coordination qui commence à se profiler entre les Russes et eux en Syrie, en particulier dans le sud de ce pays, à la frontière israélienne. La source diplomatique précitée considère ainsi que les Américains préféreraient conclure des accords avec la Russie plutôt qu’avec l’Iran, et leur priorité reste d’assurer la sécurité d’Israël à travers des accords entre les pays de la région. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils comptent pousser vers la reprise des négociations pour le tracé des frontières maritimes à la frontière sud du Liban. Mais en même temps, le ministre iranien a annoncé à partir de Moscou la reprise imminente des discussions au sujet de l’accord sur le nucléaire conclu en 2015, et dont le précédent président américain Donald Trump s’était retiré.
C’est certainement une bonne nouvelle pour le Liban, condamné à attendre que se précisent les changements internationaux et régionaux. Mais aucune de ces perspectives ne semble encore claire. Le Liban paie donc actuellement le prix de ses propres divisions et celui des tiraillements régionaux et internationaux.
commentaires (10)
Au moins quand les américains aident … ils aident tout le peuple et NON JUSTE UNE PARTIE DU PEUPLE METTWZ VOUS ÇA DANS LA TÊTE
Bery tus
20 h 16, le 12 octobre 2021