Pour son tout premier déplacement à l’étranger après la formation de son équipe, le chef du gouvernement Nagib Mikati s’est rendu à Paris où il s’est entretenu hier avec le président français Emmanuel Macron autour d’un déjeuner. Un geste hautement symbolique en direction de la France qui semble être la seule porte du Liban vers le reste du monde. Elle est d’ailleurs disposée à aider le pays à bâtir les ponts coupés avec les pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite.
Le président Macron, perçu comme le parrain du long processus politique ayant mené à la formation du cabinet Mikati, cherche surtout à mettre le Premier ministre, mais aussi la classe politique dans son ensemble, devant leurs responsabilités, notamment en matière de réformes. Pour le chef de l’Élysée, l’équation est très claire : la France a facilité la mise en place du gouvernement libanais à travers son rapprochement politique avec Téhéran. Il revient maintenant à l’exécutif d’enclencher les réformes exigées par les pays donateurs.
Ce point a été au centre des débats engagés hier à l’Élysée auxquels a pris part Patrick Durel, conseiller du président français pour les affaires de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Il y avait aussi Nicolas Nahas, député de Tripoli affilié au groupe parlementaire du Premier ministre, rapporte notre correspondante Hoda Chedid. L’entretien a représenté une opportunité pour M. Macron de se faire une idée du plan que le Premier ministre entend appliquer durant les prochains mois, confie à L’Orient-Le Jour une personnalité informée qui a requis l’anonymat. « L’essentiel, c’est de voir le Liban commencer sérieusement à opérer les réformes », ajoute-t-elle.
D’ailleurs, Emmanuel Macron était très clair et ferme en affirmant qu’il n’y aura pas de chèque en blanc pour le Liban. « La communauté internationale ne pourra apporter d’aide structurelle au Liban qu’une fois ces réformes enclenchées », a déclaré sans ambages le président français. Il a surtout tenu à souligner le caractère « urgent » de ces mesures, alors que les conditions de vie des Libanais continuent de se détériorer sous l’effet de la crise économique qui secoue leur pays depuis plus de deux ans. « Il est urgent de prendre les premières mesures qu’attendent la population libanaise et les amis du Liban, les mesures et les réformes indispensables pour que le Liban puisse retrouver sa confiance en lui, mais aussi assurer un quotidien soutenable à l’ensemble de la population », a déclaré M. Macron, rappelant à Nagib Mikati que c’est cet engagement qu’il avait pris devant lui, mais aussi et surtout devant le peuple libanais. « Et c’est sur cette base que nous avons envie de vous aider à réussir », a-t-il ajouté à l’adresse de son invité.
Emmanuel Macron – qui s’était rendu à deux reprises à Beyrouth depuis la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, et qui suit de près les péripéties politiques libanaises – a même énuméré quelques secteurs qui devraient à ses yeux être réformés. Il s’agit bien entendu de l’énergie et des finances publiques. Le président français a dans le même temps appelé le nouveau cabinet à réformer l’administration publique, lancer le chantier de la lutte contre la corruption et initier les négociations « indispensables » avec le Fonds monétaire international. Pour le chef de l’Élysée, ces pourparlers « doivent aboutir rapidement » à des résultats concrets.
Feuille de route
Emmanuel Macron traçait ainsi une sorte de feuille de route pour le gouvernement Mikati. Celle-ci n’est autre que l’initiative française lancée à Beyrouth le 1er septembre 2020. Il s’agit là d’une façon pour lui d’affirmer que son projet est toujours sur le tapis, en dépit du sévère coup qu’il a subi sur le plan politique, les protagonistes n’ayant pas respecté leur engagement à former une équipe indépendante des partis en présence. Pour certains proches du Premier ministre, c’est ainsi que se résume le déplacement de Nagib Mikati à Paris, clôturé au terme de la rencontre à l’Élysée. « Cette visite est d’abord politique, les Français voulant s’assurer de l’attachement du Liban à l’initiative Macron », commente pour L’Orient-Le Jour un proche du chef du gouvernement.
Tout comme la mise en œuvre des réformes économiques, la communauté internationale attend le cabinet Mikati au tournant des législatives prévues en mai prochain. Là aussi, le président français a adressé un message ferme au Premier ministre, lui rappelant ses engagements sur ce plan. « Vous vous êtes engagé à organiser d’une manière transparente, et conformément au calendrier prévu, les échéances électorales de 2022 », a lancé M. Macron, insistant sur « le droit des Libanais à exprimer leurs aspirations dans le cadre d’un processus démocratique ». Sauf que tel n’est pas le seul message français en direction de l’ensemble de classe politique à travers le Premier ministre. À quelques mois des très attendues élections pour lesquelles tous les protagonistes ont déjà commencé à se préparer, Paris campe sur sa position favorable à un changement politique, loin de la classe dirigeante largement décriée par les Libanais depuis le soulèvement populaire d’octobre 2019. « La France continuera d’œuvrer main dans la main avec les forces vives du Liban et avec ceux qui, au service de leurs concitoyens, agissent au quotidien avec courage et abnégation, pour pallier les déficiences de l’État libanais et de ses institutions », a déclaré Emmanuel Macron, réaffirmant que Paris était prêt à mobiliser la communauté internationale, y compris « les partenaires » européens.
Mais notre correspondante Hoda Chedid précise, citant des sources informées de la teneur des discussions engagées à l’Élysée, que la question de la relance de la conférence dite CEDRE (Paris, avril 2018) n’a pas été évoquée. Par contre, celle du réchauffement des rapports du Liban avec les pays arabes, notamment ceux du Golfe, a été discutée. Les moyens dont dispose la France pour réaliser ce but n’ont pas été dévoilés, rapporte notre correspondante. De son côté, le Premier ministre s’est efforcé de se montrer conscient de la gravité de la situation. Il s’est donc engagé à mener les réformes et organiser les législatives au printemps. « J’ai assuré le président Macron de ma détermination à mettre en œuvre, avec mon gouvernement et avec le soutien du président Michel Aoun et celui du Parlement, les réformes nécessaires et imminentes pour redonner un souffle d’espoir et réduire la souffrance de la population libanaise », a affirmé Nagib Mikati, ajoutant : « Ces mesures seront déterminantes pour relancer l’économie et poursuivre les négociations prometteuses avec le FMI afin d’amorcer la sortie de crise », a ajouté le chef du gouvernement, soulignant être « confiant et rassuré que nous pouvons compter sur le soutien de la France dans ces négociations ».
Avant son retour à Beyrouth, Nagib Mikati a eu droit à une tournée dans certaines salles rénovées du palais de l’Élysée, confie une source proche du Premier ministre, précisant que ce dernier a remis à Emmanuel Macron une œuvre d’art fabriquée à l’aide de bris de verre provenant de la double explosion au port de Beyrouth.
Avec cette majorité parlementaire, il faut douter de la possibilité d'avoir des réformes à quelques mois des élections. Ce qui semble possible, ce sont des gesticulations pour ne rien avancer. Et même, craindre un ajournement des élections si le résultat semble contre cette majorité.
17 h 20, le 26 septembre 2021