« Un gouvernement, n’importe lequel… » Telle est, pour un ancien ministre ayant requis l’anonymat, la position de Paris sur le nouveau cabinet de Nagib Mikati, formé le vendredi 10 septembre après treize mois d’impasse. Un gouvernement sans surprises qui répond à la logique traditionnelle du partage des quotes-parts confessionnelles et partisanes, et sans véritable programme pour mener à bien sa principale mission : sortir le pays de la pire crise économique de son histoire.
On est loin de la fameuse « feuille de route française » qui préconisait au 1er septembre 2020 la formation d’un « gouvernement de mission » composé de « personnalités compétentes » dans les quinze jours. On est loin aussi des revendications de la rue qui, lors de la thaoura du 17 octobre 2019, avait réclamé la mise en place d’une équipe de technocrates indépendants.
Mais Paris a revu ses ambitions à la baisse pour les rendre plus compatibles avec les réalités libanaises, et surtout avec les exigences de la classe politique qui n’a aucune intention de laisser le pouvoir à des indépendants. « Macron a fini par passer d’un gouvernement indépendant de mission à un gouvernement négocié avec (le président iranien Ebrahim) Raïssi. Pour Paris, qui essaye de remplir le vide laissé par les États-Unis dans la région, le plus important, c’est qu’un gouvernement soit formé », fait savoir l’ancien ministre.Au final, ce sont les réalités du terrain qui se sont encore une fois imposées. Dans un contexte de grandes tensions, où les partis jouent leur survie politique, il n’y pas de place pour les technocrates. Surtout s’ils pensent pouvoir s’affranchir de leur « parrain politique » dont leur nomination dépend dès le départ. « Lorsque j’ai été nommé ministre de l’Intérieur en 2008, la situation nécessitait que le poste soit occupé par un indépendant, car on sortait des événements du 7 Mai (le coup de force du Hezbollah suite à la tentative du gouvernement Siniora d’amputer le mouvement armé chiite de son réseau de télécommunications parallèle). Être indépendant, ça ne veut pas dire être neutre, mais plutôt être à équidistance des partis traditionnels », affirme Ziad Baroud, ancien ministre de l’Intérieur proche de la société civile. Mais la situation est différente en 2021, dans un Liban ravagé par une crise économique et sociale, et où la classe politique, qui détient les clés du pouvoir, souhaite garder une influence sur le gouvernement. « Aujourd’hui, la classe politique veut participer au chantier de la reconstruction économique du pays. Du fait de la pression internationale, la priorité de ce gouvernement sera de préparer le pays aux élections, mettre un terme à la pénurie de carburants et de médicaments, finaliser la carte d’approvisionnement et entamer les négociations avec le FMI. Mais les figures politiques ne souhaitent pas, ou ne peuvent pas, être au premier plan quand il faudra passer des réformes douloureuses. Dans cette optique, il vaut mieux avoir un gouvernement “écran” », explique Ziad Baroud. Selon cette analyse, les partis politiques traditionnels souhaitent être vus comme ayant sauvé le pays, tout en se cachant derrière des figures de « technocrates » pour faire passer les réformes douloureuses nécessaires à ce sauvetage, comme la réduction drastique du nombre d’employés dans le secteur public ou la levée définitive des subventions. Le nouveau cabinet inclut bien sûr des personnalités réputées pour leur compétence dans leur domaine. Mais l’essentiel n’est pas là. Le véritable pouvoir n’étant pas entre leurs mains, même les ministres les plus volontaires risquent de se retrouver pris en otage par le système politique, allergique aux réformes. « Le gouvernement n’exerce qu’un pouvoir nominal, sur les dossiers secondaires qui plus est. Le véritable pouvoir politique au Liban se trouve aux mains d’une clique de six ou sept dirigeants traditionnels, dont les décisions ne sont motivées que par leurs intérêts confessionnels et clientélistes », fait savoir l’ancien ministre ayant requis l’anonymat. « Ils ne permettront aucune réforme qui va à l’encontre de ces intérêts », regrette-t-il.
« D’emblée, on m’avait classée comme CPL »
Cette interférence de la classe politique touche même les détails les plus petits de l’administration. « Lorsque j’étais ministre, nous pouvions distribuer à la fin de l’année de petits bonus aux fonctionnaires méritants. Malgré le fait que la somme était minuscule, j’ai reçu une cinquantaine d’appels de la part de personnalités politiques pour influencer mon départage. Lorsque je n’ai pas obtempéré, je me suis retrouvé victime d’une campagne de la part de médias proches de certains partis politiques », témoigne l’ancien ministre.
Mansour Bteich, ancien ministre de l’Économie et du Commerce proche du Courant patriotique libre dans le troisième gouvernement Hariri, souligne l’impossibilité de mener des réformes, du fait principalement de la nature du système et des institutions politiques. Ce dernier s’était en effet penché à la fin de son mandat en 2019 sur la loi sur la compétition, qui vise à « véritablement libéraliser l’économie libanaise très oligopolitique ». Sans succès. La réforme s’était heurtée à la logique confessionnelle. « L’argument avancé contre ce projet, c’est que la majorité des importateurs sont des chrétiens et donc, ce projet serait une entrave aux droits des chrétiens. Au final, le projet a été mis dans les tiroirs par le Premier ministre Saad Hariri jusqu’à ce que les députés du bloc du Hezbollah s’y intéressent », raconte-t-il. « In fine, le véritable obstacle à la réforme, c’est la nécessité d’un consensus entre tous les groupes confessionnels pour passer la moindre petite réforme », analyse-t-il.
Dernier exemple en date : le gouvernement de Hassane Diab. Ce dernier a été combattu par les forces du 14 Mars qui avaient choisi dès le départ de se placer dans l’opposition, mais a été surtout paralysé par les querelles des partis qui en avaient été à l’origine, principalement le CPL et le mouvement Amal. La politique a vite repris le dessus par rapport aux figures technocratiques, en partie en raison du contexte dans lequel est né le cabinet. Issue des milieux réformistes, Marie-Claude Najm, ancienne ministre de la justice, en a fait les frais. « Le système, ce n’est pas seulement la classe politique, c’est aussi le secteur privé, les médias, l’opinion publique… » explique-t-elle. « Tout au long de mon mandat de ministre, j’ai dû souvent me battre en solitaire. D’emblée, on m’avait classée comme CPL, alors que je suis indépendante. Le président Aoun et M. Bassil ne me connaissaient d’ailleurs même pas. Si le président, en accord avec le chef du gouvernement, a nommé la majorité des ministres chrétiens, cela ne veut pas dire que je suis partisane. J’avais et j’ai conservé ma totale indépendance politique. C’est Hassane Diab qui a insisté pour qu’il y ait six femmes au gouvernement, ce qu’il appelait le tiers de garantie féminin à l’époque où il plaidait pour un gouvernement de 18 ministres », fait savoir l’ancienne ministre qui dit avoir pris de nombreuses positions ayant déplu à l’establishment politique, comme la levée du secret bancaire et la dotation du gouvernement de pouvoirs législatifs. « Tant que nous resterons dans ce système confessionnel, aucun gouvernement ne pourra offrir de vraies solutions et régler les problèmes fondamentaux. Je vous parle d’expérience », dit-elle.
De la politique publique
Autre exemple : le ministre sortant des Finances publiques, Ghazi Wazni, proche d’Amal, a dû s’opposer à la loi sur le contrôle des capitaux, dont il était pourtant l’un des défenseurs, parce que, de son propre aveu, « ma référence politique » n’en voulait pas. Être un ministre indépendant et technocrate n’est pas nécessairement synonyme de paralysie. « Lorsque j’ai été ministre de l’intérieur, j’ai permis aux Libanais qui le souhaitaient de barrer leur confession de leur registre civil. J’ai également organisé les élections de 2009 qui se sont tenues en un jour. La meilleure réponse au blocage, c’est de travailler plus dur et de mieux pousser son projet », affirme Ziad Baroud. Mais la pression peut aussi se faire dans les coulisses. « Lors de mon mandat, il y a eu des émeutes à la prison de Roumié. Je pensais à l’époque que c’était spontané, mais avec le recul, j’ai découvert que c’était une manipulation politique dont les prisonniers étaient les pions », affirme-t-il encore.
Reste que la paralysie n’est pas le seul obstacle. Et la problématique est en fait plus profonde : est-ce qu’un gouvernement de technocrates est la solution dans un pays où les divergences politiques sont si marquées ? Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a déclaré dans plusieurs discours que la mission qui attend le gouvernement est tellement ardue qu’elle nécessite plutôt un gouvernement politique ou techno-politique pour pouvoir absorber le choc populaire. « Au final, il n’y a pas vraiment d’indépendants au Liban », disait-il.
Henri Chaoul, ancien conseiller économique du gouvernement en charge des négociations avec le FMI, considère que la mission nécessite plutôt un gouvernement qui fasse de la « politique publique » et non pas de la « politique politicienne ». « La thaoura a accouché de plusieurs mouvements d’opposition qui peuvent eux-mêmes conduire la période de reconstruction économique », affirme-t-il. D’autant plus que la tâche implique une confrontation avec les intérêts économiques proches du système. « Regardez le plan économique de Hassane Diab. C’est la première fois que le Liban reconnaît les chiffres et les pertes. Mais en fin de compte, le plan a été combattu par les grands intérêts économiques et financiers, comme les banques et les monopoles », affirme-t-il.
Quant au nouveau gouvernement, Henri Chaoul y voit des gens compétents, mais qui semblent être des enfants du système. « La première chose que le nouveau ministre des Finances (Youssef Khalil, ancien directeur des opérations financières à la BDL) devrait faire, c’est d’œuvrer au licenciement de Riad Salamé. Mais bon, ça serait quand même virer son patron de plus d’une dizaine d’années… » remarque-t-il.
24 ministres + 2 "chefs de" bien campés sur leurs pieds. Nous les entendons constamment mendier et pleurnicher: "nous n'avons pas d'argent...!" Les forces vives de la nation et la jeunesse quittent le pays, le petit peuple a faim et vit dans le sombre faute d'électricité, de mazout etc, Alors nous, on se pose la question: d'où viennent les sous pour payer les 26 salaires de ces...comment les nommer au juste ??? Et dans quel autre pays aussi grand soit-il, trouve-t-on 24 ministres...uniquement pour satisfaire les différentes "communautés religieuses" qui, elles, ont le plus souvent rien à foutre du petit peuple appartenant à leur "communauté"...??? - Irène Saïd
11 h 44, le 26 septembre 2021