La France ne lâchera jamais le Liban et les Libanais ; et elle ne quittera pas des yeux les responsables qui ont promis d’entreprendre ces réformes, sans lesquelles il n’est point de salut pour le pays du Cèdre. Tel est le message que lançait hier Emmanuel Macron, au sortir d’un déjeuner de travail avec Nagib Mikati, dont c’était la première sortie à l’étranger depuis sa toute récente prise de fonctions. Message fort, et même d’un incontestable réconfort, auquel répondait d’ailleurs, bien à propos, l’engagement solennel, publiquement renouvelé, de son hôte à tenir parole.
On peut toutefois présumer que dans l’intimité de ce tête-à-tête à l’Élysée, les deux hommes ont pu mesurer l’ampleur de la tâche : et constater à quel point les moyens du bord risquent de ne pas se hisser à la hauteur des bonnes résolutions, consignées dans un calendrier-programme. La feuille de route française reste la même, a tenu à assurer hier Emmanuel Macron ; mais en butte à la mauvaise grâce – et à la mauvaise foi ! – des protagonistes locaux, elle a en réalité perdu de sa verdeur, de sa vigueur, de sa rigueur premières. Pour doter de toute urgence notre pays d’un gouvernement (on n’ose écrire n’importe quel gouvernement !), la France a forcément dû caresser l’Iran dans le sens du poil. En fait de cadeau de retour, c’est toutefois la brûlante actualité qui s’est chargée de pulvériser la chimère française d’un Hezbollah à double personnalité, l’une politique et l’autre militaire. Hassan Nasrallah faisant amener du carburant iranien, mettant au défi l’État de l’en empêcher, ne serait-il donc finalement qu’un chef politique s’arrogeant abusivement les souveraines attributions d’un chef d’État ? Et puis, comment diable pourra-t-on classer dans l’imposante catégorie des prouesses militaires ces inimaginables menaces d’élimination proférées en live, dans son propre bureau du Palais de justice, contre le magistrat enquêtant sur la meurtrière explosion de l’été dernier dans le port de Beyrouth ?
Dans la même obsession d’un gouvernement à former coûte que coûte, Nagib Mikati a largement satisfait les exigences de la milice et du régime. Il a cédé sur tous les points que rejetait Saad Hariri, qui ne saurait pourtant passer pour un modèle de fermeté. Le Premier ministre s’est bien dit attristé par cette atteinte à la souveraineté nationale qu’était l’arrivée de carburant iranien. Attristé, oui, mais sans plus ; et surtout, motus sur l’énorme scandale du Palais de justice, un assourdissant silence non moins révoltant, en vérité, que les menaces adressées à l’héroïque juge Tarek Bitar.
Entre Paris et New York, le Liban aura vécu hier à l’heure internationale ; mais il est loin d’y avoir gagné sur toute la ligne. Intervenant par visioconférence devant l’Assemblée générale des Nations unies, le président de la République a ainsi estimé que pour l’État libanais croulant pourtant sous une cascade de crises, les menaces israéliennes représentaient le principal motif d’inquiétude. Quant au reste, c’est-à-dire les affres existentiels que connaît la population, ça va aller merci, avec un gouvernement de bonne facture désormais en place et aussi, comme de bien entendu, l’aide de la communauté internationale…
Toutes ces lamentables dérives, jointes au jeu des puissances, ne rendent que plus impérieuse la nécessité de réintroduire en force, dans l’équation, le facteur intrinsèquement libanais, littéralement noyé dans la morosité et l’abattement ambiants. La contestation populaire d’octobre 2019 est tenue de se ressaisir, et pas forcément en recourant à la violence. Elle doit surtout s’unir. Il est bien connu que la révolution dévore ses enfants ; mais, au Liban, et au gré des luttes de préséance et des ambitions politiques contradictoires, la rébellion les a bouffés avant même d’accéder au stade de la révolution.
De même, toute révolution implique inévitablement des sacrifices ; or le plus frustrant est que ces sacrifices-là, le peuple les a déjà consentis sans en recueillir le moindre dividende. Chômage, pauvreté, faillites, exode des jeunes, économies frauduleusement saisies par les banques, manque de vivres, de médicaments, d’essence et d’électricité, tout cela vaut bien, en toute justice, un immense, un sismique cri de révolte. Et parce qu’un Liban sans justice est un Liban mort et enterré, c’est sur ce terrain précis, celui de la vérité sur l’hécatombe du port, de la conspiration du silence protégeant les criminels, que doit retentir la clameur.
Il est honteux que le soin de protester soit largement laissé aux seules et inlassables familles des victimes de ce terrible 4 août 2020. Il n’est rien de plus muet qu’un organisme qu’a déserté toute étincelle de vie.