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Nos Lecteurs ont la Parole

Décret de formation du gouvernement : compétence liée et compétence discrétionnaire

Les rédacteurs de la Constitution dite de Taëf de 1990 ont laissé beaucoup de cases insolubles dans le texte ; motifs probables :

1- Il y avait urgence en 1990 pour faire accepter un texte et interrompre la guerre civile ; et parfois, un texte trop bien étudié indispose les signataires qui préfèrent laisser des zones grises moins tranchantes ; on le voit souvent quand on négocie un contrat commercial ordinaire.

2- Les rédacteurs n’ont pas apprécié à sa vraie mesure l’extraordinaire capacité de mauvaise foi ou de félonie constitutionnelles dont peuvent être capables nos députés et nos dirigeants.

Il y a aussi des zones grises d’interprétation dans la Constitution française, notamment dans l’exercice de la promulgation des lois et des décrets par le président de la République et/ou les ministres, mais dans la pratique, l’interprétation se résout toujours dans le sens le plus élevé de l’intérêt du pays et du respect de la fonction. Il n’y a pas en France d’exemple de prise en otage d’interprétation de la Constitution en vigueur (Constitution de 1958).

Dans la saga libanaise de la formation du gouvernement, l’hérésie, la félonie constitutionnelle prévalent. D’après les articles 53.4 et 64.2 de la Constitution de 1990, le rôle du président de la République est simplement de « promulguer » le décret de formation du gouvernement. Donc, il signe le décret de formation conjointement avec le Premier ministre désigné, mais il ne forme pas le gouvernement. L’article 53.4 précise que la promulgation par le président se fait en accord avec le Premier ministre, ce qui signifie que le président ne peut pas promulguer sans l’accord du Premier ministre, ce qui est bien naturel puisqu’il s’agit de promulguer la mouture gouvernementale du Premier ministre.

Cela ne signifie nullement que le président de la République et le Premier ministre sont tenus d’être d’accord sur la mouture gouvernementale formée par le seul Premier ministre d’après l’article 64.2 !

En droit constitutionnel, la promulgation, sauf disposition contraire, est une « compétence liée », c’est-à-dire que le détenteur de ce pouvoir est obligé de l’appliquer. Ce n’est pas un pouvoir discrétionnaire, comme aux États-Unis par exemple où le président a un pouvoir de veto constitutionnel sur les lois.

En exerçant depuis un an, de facto, un veto sur le décret de formation du gouvernement par le Premier ministre désigné, en participant de façon active et même coercitive à la formation du gouvernement, le président de la République excède largement ses prérogatives et commet une hérésie constitutionnelle. Il doit promulguer sans veto et sans retard le gouvernement que forme le Premier ministre désigné.

L’article 64.2 de la Constitution de 1990 stipule bien que c’est le Premier ministre désigné qui forme le gouvernement, mais après des consultations parlementaires. Il doit ensuite retourner devant le Parlement pour obtenir la confiance (article 64.2). Ce poids, accordé par la Constitution au Parlement en amont et en aval de la formation du gouvernement, permet donc aux grands groupes parlementaires de tenter de peser sur la constitution du gouvernement ; ainsi, si c’est une hérésie constitutionnelle de voir le président de la République imposer son rôle contraignant dans la formation du gouvernement, ce ne le serait pas de voir Gebran Bassil, ou Saad Hariri, ou Nabih Berry, ou Hassan Nasrallah tenter de le faire dans certaines limites en tant que chefs de grands groupes parlementaires.

Mais la différence est qu’en principe, le Premier ministre désigné devrait pouvoir sans veto présidentiel demander la confiance au Parlement et alors, on verrait bien qui refuse la confiance et qui bloque la formation du gouvernement au risque de détruire encore plus le pays.

Les articles 51 et 56 de la Constitution de 1990 imposent au président de la République de promulguer les lois ou décrets du Parlement ou du Conseil des ministres dans un délai limité et sans droit de veto. Il y est donc clairement exprimé que la promulgation est une compétence liée du président de la République, et non pas une compétence discrétionnaire.

Il est regrettable que les rédacteurs de la Constitution de 1990 n’aient pas reconduit aux articles 53.4 et 64.2 les dispositions contraignantes de la promulgation contenues dans les articles 51 et 56. Mais il est clair que, sauf disposition contraire des articles 53.3 et 64.2, la promulgation par le président de la République du décret de formation du gouvernement est une compétence liée sans droit de veto. Nous sommes donc en pleine hérésie constitutionnelle.

Les articles 60, 61 et 62 de la Constitution de 1990 permettraient en principe de sanctionner les cas de violation de la Constitution par le président de la République par mise en accusation par les deux tiers du Parlement, majorité impossible à réunir aujourd’hui, mais même dans ce cas tout théorique, ce serait le Conseil des ministres qui exercerait à titre intérimaire les pouvoirs du président de la République ; or, il est démissionnaire, et il faudrait de robustes ministres démissionnaires et de robustes parlementaires pour considérer que se substituer à un président de la République obstructionniste pour promulguer le décret de formation du nouveau gouvernement est urgent et vital pour le pays, donc une affaire courante par définition.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Les rédacteurs de la Constitution dite de Taëf de 1990 ont laissé beaucoup de cases insolubles dans le texte ; motifs probables : 1- Il y avait urgence en 1990 pour faire accepter un texte et interrompre la guerre civile ; et parfois, un texte trop bien étudié indispose les signataires qui préfèrent laisser des zones grises moins tranchantes ; on le voit souvent quand on négocie un...
commentaires (2)

je voudrais ajouter a ce document super bien elabore une note relevant de la pure logique. Compte non tenu des articles de la constitution tels qu'expliques ici, comment LOGIQUEMENT donner au pres. de la republique le pouvoir de c0-former le gouv, comment oter au 1er ministre nomme l'exclusivite de le former alors qu'il est le seul a en porter le poids de la responsabilite, alors qu'il est seul passible de voir retirer la confiance des MP a lui & a son gouv non pas au pres.? comment admettre cet injustice/illogisme alors que ce dernier ne sera en aucun cas considere responsable des actions du gouv ?

Gaby SIOUFI

13 h 54, le 01 septembre 2021

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Commentaires (2)

  • je voudrais ajouter a ce document super bien elabore une note relevant de la pure logique. Compte non tenu des articles de la constitution tels qu'expliques ici, comment LOGIQUEMENT donner au pres. de la republique le pouvoir de c0-former le gouv, comment oter au 1er ministre nomme l'exclusivite de le former alors qu'il est le seul a en porter le poids de la responsabilite, alors qu'il est seul passible de voir retirer la confiance des MP a lui & a son gouv non pas au pres.? comment admettre cet injustice/illogisme alors que ce dernier ne sera en aucun cas considere responsable des actions du gouv ?

    Gaby SIOUFI

    13 h 54, le 01 septembre 2021

  • Excellente analyse.

    Saleh Issal

    11 h 25, le 01 septembre 2021

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