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Culture - Photographie

Ces sillons de la mort qui honorent la vie

Tarek Moukaddem braque sa caméra sur les stigmates de l’horreur et photographie les corps mutilés que la double explosion du 4 août 2020 n’a pas épargné. 

Ces sillons de la mort qui honorent la vie

Serge Macaron : « Réveiller les consciences, raviver la mémoire, pour ne jamais oublier et affirmer que le combat n’a pas été vain. » Photos Tarek Moukaddem

C’est après avoir lancé un appel sur les réseaux sociaux que plusieurs personnes ont répondu présent. « Nous avions honoré les morts, confie le photographe professionnel Tarek Moukaddem, il me fallait penser aux survivants, ceux qui ont été touchés dans leur chair, meurtris dans leurs âmes. Un an avait passé et il ne fallait pas oublier les douleurs physiques et morales des survivants. La série de photographies ne fera pas l’objet d’une exposition, elles sont postées uniquement sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas un projet artistique, c’est ma façon de réveiller les consciences afin que l’on n’oublie pas que des milliers de personnes n’ont pas fini de cicatriser leurs douleurs. » Marie-Thérèse Hanna et Andréa Najarian côtoient tous les deux le monde de la beauté et de l’esthétique. Leur métier exige de la persévérance, de la résistance au stress, du dynamisme, de l’audace, et une aisance corporelle. Elle a 24 ans, elle est mannequin de profession. Il a 24 ans, il est maquilleur, mannequin et drag-queen. Leur corps est leur capital. Serge Macaron, un entrepreneur, est âgé de 47 ans. Le 4 août 2020, en l’espace de quelques secondes, leurs vies vont basculer.


Marie-Thérèse Hanna : « Ces cicatrices étaient une bataille gagnée, la preuve que j’étais vivante, miraculée. » Photos Tarek Moukaddem

« Mes cicatrices sont ma bataille gagnée »

Si elle ne s’était pas retournée pour essayer d’éviter la deuxième explosion, Marie-Thérèse aurait probablement été défigurée. Du bas du dos jusqu’à ses jambes en passant par ses arrière-bras, son corps est lacéré. « J’ai mis du temps à admettre, confie Marie-Thérèse, et plus le temps passait, plus mon trauma grandissait. J’ai failli abandonner mon travail, j’étais dans l’incapacité de m’accepter. La première fois que mon ami m’a photographié à mon insu, j’étais très inconfortable, je n’avais plus de connexion avec la caméra. C’est bien plus tard que je me suis réconciliée avec ce corps qui me renvoyait la géographie de l’horreur. Il m’a fallu 4 mois pour surmonter mon trauma, mais je tremble encore à la vue de vitres brisées et au son d’un bruit fort. »

« Et un jour, ajoute-t-elle, je me suis mise à les aimer, elles faisaient partie de moi, ces cicatrices étaient une bataille gagnée, la preuve que j’étais vivante, miraculée. Certains designers ont refusé de travailler avec moi, mais ça ne me touchait plus, c’était eux les perdants. » Lorsque Tarek Moukaddem a lancé son appel, Marie-Thérèse n’a pas hésité.

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« Ce n’est pas une voix, c’est un cri ! »

« J’ai toujours eu une grande confiance dans le professionnalisme de Tarek avec qui j’avais déjà collaboré, je n’ai même pas exigé un droit de regard sur les clichés. Sauf que les photos ont dévoilé mes blessures différemment. J’avais beau m’être regardée tous les jours dans le miroir pour me familiariser avec elles, j’ai pris conscience de leur ampleur, mais de ma force aussi. Plutôt que de m’apitoyer sur mon sort, de sombrer dans la tristesse ou la pitié, j’ai développé une relation de tendresse et d’affection avec mon corps, une forte complicité est née. Les photos ont été le terrain de fortes critiques mais je n’étais pas intéressée de les écouter, j’étais convaincue et en accord avec ce que je faisais. »

Croyante, Marie-Thérèse confie : « Ma foi ne m’a jamais lâchée. Le 4 août, en traversant mon appartement détruit pieds nus sur les débris de vitres, je remerciais Dieu, je lui étais reconnaissante pour m’avoir accompagnée, jamais abandonnée. Aujourd’hui, je suis en paix avec moi-même et avec mon corps. »


Andréa Najarian : « Mes cicatrices sont devenues mes plus beaux tatouages, elles racontent la plus belle des histoires. » Photos Tarek Moukaddem

Mes cicatrices sont le plus beau des tatouages

Andréa Najarian a 24 ans, de par son métier dans le monde de la mode et du maquillage, il flirte avec la beauté. Les cicatrices sur son dos, sur sa main gauche, une artère déchirée à la main droite, sont la résultante de l’effroyable explosion du 4 août. Les premiers temps, Andréa n’était jamais seul. « J’étais entouré de mes amis et de ma famille, ils m’ont aidé à faire le deuil de ce corps mutilé, lentement j’ai remonté la pente. » C’est lorsqu’il s’est retrouvé face à sa solitude et à ses plaies qu’il prend conscience. « Il me fallait choisir entre la descente aux enfers ou une bataille à mener. Il ne faut surtout pas avoir peur de demander de l’aide »: ce que Andréa a fait. Après des séances chez le psychologue et des consultations chez un « healer » (guérisseur, NDLR), il reprend sa vie en main. « Je me sentais enfin en contrôle. J’ai refusé les témoignages pour des journaux étrangers, j’ai privilégié les médias locaux plus à même de comprendre mon histoire, et plus familier avec notre trauma. Je n’ai pas hésité face au projet de Tarek Moukaddem dont je respecte énormément le travail. Plutôt que de me confronter à la triste réalité, il m’a poussé de l’avant. J’ai tenté dans un deuxième temps de retoucher mes cicatrices, mais il fallait empiéter sur mes tatouages et peut-être les modifier. Je n’ai plus rien fait et mes cicatrices sont devenues mes plus beaux tatouages, elles racontent la plus belle des histoires, elles me rendent unique, plus réel et plus vulnérable. » Et de conclure : « Cette modification charnelle est ma réalité, elle a fait de mon corps quelque chose de plus humain. »

Un nouveau regard sur la vie

Le 4 août 2020, à 18h07, Serge Macaron a d’abord cru être témoin d’un bombardement aérien. Il fixe le ciel pour situer les avions et reçoit toutes les façades vitrées de l’immeuble d’en face en plein visage. Il est projeté à 10 mètres à l’intérieur et se retrouve assis seul sur le trottoir à attendre que les secours arrivent.

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Un œil atteint, deux fractures, une opération au pied, une plaie ouverte dans le bras et une côte brisée, l’ont contraint à passer trois mois dans un fauteuil roulant et plus tard sur des béquilles. Le verdict d’un œil perdu à jamais a failli le propulser à nouveau dans le désespoir. « Mais la force vous vient, dit-il et les mains se tendent et on avance. » Avant que Tarek, son ami proche, ne lance son projet, Serge le sollicite à titre personnel pour immortaliser ses blessures. « J’avais, dit-il, le sentiment que le peuple était anesthésié, qu’on avait enterré nos morts mais qu’il restait des morts-vivants qui traînaient des corps meurtris et un trauma insurmontable. Avec ce projet, nous avons voulu réveiller les consciences, raviver la mémoire, pour ne jamais oublier et affirmer que le combat n’a pas été vain. »

Marie-Thérèse, Andréa et Serge : trois survivants parmi tant d’autres qui se regardent tous les matins dans un miroir qui leur renvoie l’image d’une bataille gagnée et d’une nouvelle vie comme un don du ciel.

C’est après avoir lancé un appel sur les réseaux sociaux que plusieurs personnes ont répondu présent. « Nous avions honoré les morts, confie le photographe professionnel Tarek Moukaddem, il me fallait penser aux survivants, ceux qui ont été touchés dans leur chair, meurtris dans leurs âmes. Un an avait passé et il ne fallait pas oublier les douleurs physiques et morales des...

commentaires (1)

Vous êtes beaux, vous êtes notre histoire et notre pays en miroir.

Christine KHALIL

11 h 36, le 12 août 2021

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Commentaires (1)

  • Vous êtes beaux, vous êtes notre histoire et notre pays en miroir.

    Christine KHALIL

    11 h 36, le 12 août 2021

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