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Culture - L’infamie du 4 août, un an après

« Ce n’est pas une voix, c’est un cri ! »

Montée à partir de la ferraille des hangars détruits de la zone portuaire, la silhouette haute de 25 mètres, réalisée par Nadim Karam et placée à proximité du lieu du crime, est celle d’un géant renaissant des cendres, en hommage aux victimes de la double explosion du 4 août 2020. L’œuvre et l’artiste ont été l’objet de vives critiques sur les réseaux sociaux. L’artiste explique sa démarche et nie en bloc les accusations qui circulent...

« Ce n’est pas une voix, c’est un cri ! »

Un géant renaissant des cendres, en hommage aux victimes de la double explosion du 4 août. DR

« Parce qu’il est indispensable et urgent de se souvenir de cette tragédie sans précédent, par son ampleur, son aberration, son horreur et ses conséquences ; parce que le passé a besoin qu’on l’aide afin qu’il ne sombre pas dans l’oubli ; parce qu’il ne s’agit pas d’un seul crime mais de deux, le second étant de tenter, ignorant notre souffrance, d’effacer ce crime de la mémoire collective ; parce que si nous oublions, ce ne serait pas leur faute, mais la nôtre. Pour toutes ces raisons, ce geste n’est pas une voix mais un cri, celui des survivants, qui n’oublieront jamais », scande Nadim Karam. La double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020 a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés. « Cela aurait pu être chacun de nous », remarque Nadim Karam. L’artiste et architecte ressent l’urgence que revêt « l’entretien de la flamme de la mémoire de cette dantesque page d’histoire et des leçons que l’on doit en tirer ». Et ce « principalement à destination de la jeune génération et de celle de demain. La jeunesse a pris les balais alors que la terre n’avait pas encore fini de gronder ; nous les adultes, nous avions la responsabilité d’être aussi dans l’action. Chaque citoyen devrait offrir ce qu’il a de meilleur, et ensemble nous vaincrons », estime celui dont les sculptures monumentales ont pris leurs quartiers dans de nombreuses grandes villes.

Nous sommes tous ce géant

C’est aujourd’hui, lundi 2 août, que son dernier-né, The Gesture, sera dévoilé au public lors d’une cérémonie d’hommage aux victimes, en présence de leurs familles.

Le personnage haut de 25 mètres, pesant 30 tonnes, a été assemblé à partir des poutres des hangars en métal, distordues et brûlées par l’explosion. L’artiste a d’abord scanné les formes afin de pouvoir les insérer dans ses croquis. Une initiative qui a nécessité un an de préparation : un mois pour finaliser le dessin, quelques mois pour prendre les permissions nécessaires, 6 mois pour réaliser la sculpture et quelques mois pour la monter. C’est Mourad Aoun (The Net Group) qui a d’abord accepté d’offrir ses hangars pulvérisés à l’artiste afin d’utiliser le matériel endommagé pour monter son projet. Plus de 25 compagnies – représentées par des ingénieurs et des professionnels du métier – se sont dans un deuxième temps alignées (pro bono) au projet pour créer les fondations, pour installer le système d’irrigation de l’eau, pour pourvoir en matériel d’exécution ainsi que pour offrir leur temps et leur expertise... « Sans eux, je ne serais parvenu à rien, reconnaît l’artiste. Ce sont eux, les membres de cette communauté de citoyens, qui ont voulu d’une manière ou d’une autre, tout comme moi, exprimer la douleur face à la dévastation des pertes humaines, des maisons détruites et d’une nation abandonnée. Cette sculpture est un rappel que nous sommes encore présents et encore debout, et que l’essence de la ville de Beyrouth est encore entre nos mains. Elle est le désir de poursuivre le combat, pour obtenir la vérité et la justice, car personne de la part de la classe politique ne s’est jamais penché sur la vérité et la justice. Les traces laissées sur les poutres suite à la destruction et à l’incendie ne sont pas sans rappeler les cicatrices et les blessures de chaque libanais. Du » ramad « (cendre) pour créer le mared (géant), du chaos s’élève un espoir, une réflexion sur le futur. »

Un géant renaissant des cendres, en hommage aux victimes de la double explosion du 4 août 2020. DR

La vérité face à l’obscurantisme

L’œuvre et l’artiste sont toutefois l’objet, depuis une semaine, de vives critiques sur les réseaux sociaux.

À L’Orient-Le Jour, Nadim Karam confie : « Si l’on en croit les messages qui circulent sur les réseaux sociaux, les histoires fabriquées de toutes pièces et les détracteurs, j’aurais été soutenu dans ce projet par des institutions politiques. Je dis et confirme : cette démarche est d’abord citoyenne de nature et apolitique de par son essence, martèle Nadim Karam. Elle n’a reçu aucune aide, ni soutien, que celle d’autres citoyens afin de porter un message, celui d’affirmer que nous sommes toujours présents et vivants et de rappeler ce que la ville de Beyrouth a vécu il y a un an, l’indicible, l’inénarrable, le plus monstrueux des crimes, l’horreur portée à son paroxysme. Tout l’effort a été réalisé sans l’intervention des politiciens parce que cela ne s’adresse pas à eux mais au peuple. » Les sociétés qui ont tendu la main à l’architecte sans poser aucune question, ni exiger aucun détail sur la réalisation, ont financé le projet par la sueur, le désir, l’énergie et la détermination. C’est par l’art et la culture que nous arriverons à combattre l’obscurantisme, c’est par ce cri qui n’est pas une simple voix que nous pourrons d’abord extérioriser, ensuite « catharsiser », notre douleur. L’œuvre de Nadim Karam rejette la notion de pouvoir quand bien même son imposante stature pourrait nous tromper. Elle veut honorer la mémoire et perpétuer la vie, celle que nous méritons, celle pour laquelle nous continuerons, jusqu’à déterrer la vérité et la justice de sous les cendres.

L’art est difficile …

L’obscurité des débats, le réseau d’allusions mensongères, l’intensité et la persistance des détracteurs ne touchent jamais un véritable artiste. Lorsque l’œuvre ne revendique ni la reconnaissance, ni le succès, ni une valeur spéculative, mais se veut un simple cri du cœur. À charge pour le spectateur, averti ou non, d’aimer ou de détester l’esthétique. Pour Nadim Karam, il ne s’agit pas de convaincre ou de plaire, il s’agit de s’exprimer. On peut la trouver singulière, dérangeante, désagréable au regard, on peut même questionner son emplacement « à proximité du lieu du crime », mais l’on se doit de respecter le travail d’un artiste. L’œuvre de Nadim Karam fait grand bruit aujourd’hui car elle s’inscrit dans la démarche de ces œuvres dans l’histoire de l’art (ô combien difficile pour l’artiste) qui ont abordé la guerre, les massacres, l’extermination, les génocides et qui ont créé polémique. Il y a les armes de guerre et il y a les armes de paix. L’art est avant tout une arme de paix.

« Parce qu’il est indispensable et urgent de se souvenir de cette tragédie sans précédent, par son ampleur, son aberration, son horreur et ses conséquences ; parce que le passé a besoin qu’on l’aide afin qu’il ne sombre pas dans l’oubli ; parce qu’il ne s’agit pas d’un seul crime mais de deux, le second étant de tenter, ignorant notre souffrance, d’effacer ce crime...

commentaires (7)

Merci Mr Karam pour cet Oeuvre dechirant et monumental, à la mesure de notre drame…

Madi- Skaff josyan

06 h 37, le 05 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Merci Mr Karam pour cet Oeuvre dechirant et monumental, à la mesure de notre drame…

    Madi- Skaff josyan

    06 h 37, le 05 août 2021

  • C'est une monstruosité. Il accapare le site avec une œuvre qu'il veut destinée à la mémoire collective mais qui ne représente que lui et son mauvais gout.

    Naji KM

    22 h 56, le 02 août 2021

  • La sculpture n’est pas à mon goût même si je considère Nadim Karam un grand artiste que j’apprécie particulièrement, autant pour son talent que pour son intégrité..

    sarraf nicole

    20 h 02, le 02 août 2021

  • @Antoine Courban la laideur c’est celle de l’explosion et de tous ceux qui bloquent la justice. Telle est la vocation de cette œuvre éphémère et laide à leur image.

    Free Mind

    17 h 17, le 02 août 2021

  • LE CRI DU PEUPLE QUE L,ECHO SEUL REPETE ET QUE N,ENTENDENT PAS LES MAFIEUSES TETES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 15, le 02 août 2021

  • Ceci n'empêche que la chose elle-même est laide aux yeux du plus grand nombre. L'artiste a un immense talent expérimental d'avant-garde. Je suis une des grandes victimes survivantes du crime du 4 août. Je ne m'identifie pas à la chose en question. Le seul mémorial qui m'émeut ce sont les ruines des silos. Tout le reste m'est étranger.

    COURBAN Antoine

    07 h 39, le 02 août 2021

  • Finalement cette sculpture me plaît bien, pour autant qu'elle reste sur les lieux du crime, merci l'artiste.

    Christine KHALIL

    06 h 39, le 02 août 2021

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