Le dernier discours du secrétaire général du Hezbollah, mardi en fin d’après-midi, n’a pas fait que des heureux. Face à la division politique des Libanais, une telle affirmation pourrait paraître évidente. Sauf que cette fois, Hassan Nasrallah a pris des positions claires sur le plan interne, qui ont dû déplaire à ses détracteurs habituels, mais aussi à certains de ses alliés...
D’abord, tout le monde attendait de voir le leader chiite, surtout après son dernier discours télévisé à l’occasion de la fête de la Libération le 25 mai, lors duquel il semblait malade, pâle et incapable d’achever une phrase sans tousser. Mardi, Nasrallah a démenti toutes les rumeurs quant à son état de santé et a renoué avec son attitude habituelle, s’exprimant pendant 100 minutes sans interruption en alternant les plaisanteries sur sa succession avec les propos sérieux.
Mais c’est sur le fond que le contenu de son discours n’a pas dû plaire à beaucoup. S’il a répété le scénario stratégique qu’il avait déjà exposé lors de la fête de la Libération en précisant qu’une nouvelle équation est en train de s’imposer dans la région – et qui se résume ainsi : toute atteinte à Jérusalem pourrait entraîner une guerre régionale –, il a consacré la plus grande partie de son discours au volet interne. Les messages envoyés dans ce contexte ont suscité des réactions politiques publiques et d’autres plus discrètes.
Nasrallah a commencé par rappeler que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pourrait toujours lancer une attaque contre Gaza, la Syrie ou le Liban pour paralyser le processus gouvernemental en Israël, qui ne tourne pas à son avantage. Il ne s’est pas beaucoup étendu sur ce point, se contentant de le mentionner pour maintenir sans doute un certain niveau d’alerte.
Par contre, en ce qui concerne le volet purement interne, sur lequel il est généralement très prudent, Hassan Nasrallah a cette fois enlevé les gants.
Il a ainsi clairement affirmé que le Hezbollah n’acceptera pas que les Libanais soient privés de moyens de subsistance ou de produits de base, comme le carburant. Il avait certes déjà déclaré par le passé que le Hezbollah ne laisserait pas les Libanais mourir de faim, mais il n’avait pas alors été aussi affirmatif et clair que ce mardi, comme lorsqu’il a martelé : si l’État ne peut pas prendre des décisions « courageuses » pour assurer du carburant aux Libanais, le Hezbollah est prêt à envoyer une délégation en Iran pour en amener via le port de Beyrouth. Dans la foulée, Nasrallah a mis au défi les autorités libanaises de tenter d’empêcher l’acheminement de ces cargaisons. La riposte de certaines parties (chrétiennes ou de l’ancien mouvement du 14 Mars) ne s’est pas fait attendre, accusant Nasrallah de prouver une fois de plus qu’il est réellement le chef du Liban et de vouloir soumettre tous les Libanais à sa volonté. Dans cette polémique, Nasrallah semble en position de force parce que, après tout, si l’État ne peut pas assurer les produits élémentaires aux citoyens, ceux-ci vont essayer de les chercher là où ils le peuvent. Le chef du Hezbollah ne s’est pas contenté de cette affirmation. Il a aussi lancé une violente campagne contre les monopoles et ceux qui se tiennent derrière eux, et qui sont à ses yeux dans la même catégorie que les criminels. Il a ainsi affirmé qu’il n’y a pas au Liban de pénurie de médicaments, mais que ce sont les compagnies importatrices qui les dissimuleraient dans leurs dépôts. Il a aussi proposé de mettre au service de l’État 20 000 volontaires pour aider les autorités à lutter contre les monopoles. Là aussi, ses détracteurs ont vu dans cette proposition le signe que c’est le Hezbollah qui tient les rouages de l’État.
Les messages au CPL
Mais c’est dans la partie de son discours consacrée aux questions politiques que Hassan Nasrallah a le plus surpris les Libanais en général, mais aussi son allié, le Courant patriotique libre. D’abord, on peut déduire à travers ses propos qu’il n’y a pas de déblocage en vue et que la vacance au niveau du gouvernement est appelée à se prolonger. Les Libanais qui ont tendance à croire que le Hezbollah peut tout faire ont donc été surpris de le voir reconnaître son impuissance dans ce domaine. Certes, Nasrallah a une fois de plus conforté le président de la Chambre Nabih Berry dans son rôle de médiateur, et il a ajouté que le Hezbollah l’aide totalement dans cette mission, mais il ne s’est montré à aucun moment optimiste sur l’issue de ces efforts.
Contrairement à ce que laisse entendre le CPL, il n’a pas fixé de délai pour la fin de la médiation Berry. Ce qui, en d’autres termes, signifie que ni le président de la Chambre ni le Hezbollah ne sont prêts à dire un jour au Premier ministre désigné Saad Hariri : c’est fini, retirez-vous de la course pour laisser une autre personnalité prendre le relais. Cette attitude a probablement déplu au CPL et à son chef Gebran Bassil qui, depuis deux semaines, semblent considérer que Saad Hariri va inévitablement devoir faire son choix : soit il forme le gouvernement, soit il se retire.
L’autre point évoqué par Nasrallah (qui a aussi dû déplaire au CPL) est son refus de la tenue d’élections législatives anticipées. Le chef du Hezbollah a été très clair sur ce point, considérant cette possibilité comme une pure perte de temps. Selon lui, les élections législatives devraient avoir lieu à la date prévue (mai 2022), et il n’y a aucune raison d’en avancer la date, car cela ne ferait que détourner les Libanais des problèmes graves qu’ils traversent actuellement sans y apporter la moindre solution. Il a même expliqué que si les différentes parties s’entendent sur la tenue d’élections anticipées, celles-ci ne pourraient pas être organisées avant l’automne. Or, à cette date, cela ne vaudrait plus la peine, d’autant que les problèmes sociaux et économiques risqueraient d’être devenus très pesants en l’absence d’un gouvernement capable de prendre les décisions nécessaires. Certains ont immédiatement vu dans ces propos un rejet de l’option brandie actuellement par le CPL d’aboutir à des élections anticipées (à travers soit une démission massive des députés, soit l’adoption d’une proposition de loi pour réduire le mandat de l’actuel Parlement) pour retirer de facto le mandat parlementaire donné à Saad Hariri de former le gouvernement... Le CPL continuera-t-il donc à brandir cette option en se disant qu’après tout, c’est l’opinion du Hezbollah, mais que d’autres parties pourraient l’accepter, ou bien tournera-t-il cette page ? Les prochains jours devraient permettre d’y voir plus clair.
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Censurée
Sissi zayyat
21 h 13, le 10 juin 2021