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Nos Lecteurs ont la Parole

La culture a-t-elle encore une chance de sauver le Liban ?

Qui n’a pas entendu parler de 20/20, le feuilleton tragique qui s’est terminé en fanfare avec la fin du ramadan ? Il avait été annoncé à grand son de tambour et trompette comme étant l’opus du mois, voire de l’année, et probablement du XXIe siècle ; ne lésinons pas sur les mots. Dieu merci ! On nous a promis une nouvelle saison dans un an. Ouf ! Nous sommes sauvés ! Des fois qu’on ne l’aurait pas deviné.

Le plus remarquable est le courage du héros qui a laissé ses pairs se sauver d’un effroyable massacre avant de se faire lyncher. Un ami m’a même loué le sens de l’honneur et l’abnégation du personnage avant d’ajouter comme chez nous… 20/20, allais-je lui répondre, bien que la réponse usuelle soit 100 %.

Et voilà où est passé le paysage culturel libanais ! Je ne remets pas en cause les grands sentiments du feuilleton. Qu’on ne me comprenne pas mal ! Mais au vu de toutes les saisons de feuilletons différents que nos compatriotes suivent avec une passion romanesque, on se demande si la culture, dans notre pays, ne se limiterait pas à ça.

La culture est ce qui nous reste quand on n’a plus rien, un simple antidote au déclin du pays. À un moment où le pays subit l’opprobre mondial et où les aides, même morales, se tarissent petit à petit, ne serait-elle pas la dernière échappatoire face à la cruauté d’une vie qui nous lacère ?

Il est de notoriété, malheureusement, que nous devenons, avec les années et avec les générations montantes, un pays culturel. C’est malheureux à dire ! Certains ne font pas la différence entre la culture et l’éducation ou encore entre la culture et les quelques années d’université qui ne leur ont laissé qu’un vague souvenir. Nous sommes loin des heures de gloire d’étudiants assoiffés de savoir et de culture. Il reste certes un noyau dur qui fait de la résistance et qui croit que tenir un livre ou faire une recherche quelconque sur un sujet qui ne correspond pas à son domaine de prédilection ne fait pas de lui/d’elle un Martien, ou un être intergalactique, ou un marginal.

La culture n’est pas les lectures qu’on fait pour agrandir ses connaissances dans le métier que l’on exerce. C’est bien plus, et les Libanais ne conçoivent malheureusement pas l’héritage culturel sur lequel 10 452 km carrés ont été bâtis.

À ce titre, je me permets de citer un extrait, un peu long mais ô combien révélateur, du dernier livre de David Lisnard et Christophe Tardieu (paru le 14 avril aux éditions de l’Observatoire) : « Si l’on admet qu’un patrimoine culturel collectif et la capacité individuelle de création sont les sources d’une société apaisée par la cohérence entre eux des individus qui la composent, alors la définition d’un dénominateur artistique commun devient une priorité politique absolue, pour ressouder la nation en transcendant les différences individuelles (…) Cela suscitera-t-il (…) le sens du sacrifice pour défendre lesdites valeurs face au nivellement par le bas, à la “cancel culture”, à l’obscurantisme exterminateur ? »

Nous sommes un pays riche de par sa civilisation, de par son melting-pot religieux unique en son genre qui fait sa richesse et sa reconnaissance comme centre de vie commun. Cette face du Liban, bien que connue extérieurement, commence à se perdre au sein même d’une nation qui devrait s’unir. L’union culturelle est un trait d’union vers l’union politique ou, du moins, vers une certaine unité de population stable, loin de conflits et de querelles intestines qui ne mènent à rien.

Transcender nos différences pour arriver à un compromis d’unité nationale, aller plus loin de ce que chacun de nous est, et apprendre à écouter pour comprendre et non pour répondre sont des filières exploitables et riches. Nous sommes les héritiers des Phéniciens quelque part, et le propre du marchand est de savoir négocier, et toute négociation nécessite une grande écoute pour bien doser ses réponses. C’est un héritage culturel à ne pas oublier, une force incommensurable.

Nous ne sommes pas là pour remettre en place les royaumes de Sidon, Tyr, Tripoli, Beryte, mais pour former le Liban de demain. Et quoi de mieux que la culture et mettre des idées différentes et parfois antagonistes pour arriver à un point d’accord ?

Malheureusement, certains ne l’entendent pas de cette façon. La « cancel culture » (ou son anéantissement) passe par des idées basées sur le passé et non novatrices. Les gens lisent et veulent faire comme leurs aïeux, alors qu’il existe des solutions alternatives. On se soumet à la technologie comme s’il s’agissait d’une planche de salut. Quelle fierté de mettre en valeur son nouvel ordinateur portable multifonctionnel qui ne nous servira au final qu’à tapoter des mails ou mieux encore montrer, en bombant le torse, un cellulaire dernier modèle et se vanter de sa batterie ou de la qualité de ses photos ? Sans nier que cela constitue une sorte de culture, elle est bien dérisoire à côté de tout ce que ce genre de personne rate.

Certes, il est sans doute plus utile de connaître la position géographique d’un pub à Gemmayzé que la réalité de Baal ou de Achtarout (pour eux, on a le GPS, Dieu merci !). Mais il serait bon parfois de sortir de ce carcan qui nous asservit et qui détruit nos vies pour voir de quoi le monde est réellement fait. Il suffit parfois juste d’ouvrir la télé pour tomber sur un bon documentaire. Après, on se demande pourquoi le Liban est tombé si bas. L’obscurantisme ne touche pas uniquement les idées philosophico-religieuses ou politiciennes. Que ce soit les premières ou les secondes, elles ne mèneront à rien sinon à un blocage des esprits, des esprits qui ne font que trop confiance et oubliant que certaines réalités sont bien loin des leurs et méritent d’être étudiées, voire être appliquées au Liban. L’obscurantisme, c’est aussi ça ! Laisser les uns et les autres contrôler notre tête à partir de rabâchages continuels ou d’idées reçues et comprises au gré des circonstances, au gré des envies et des dérives sectaires des différentes factions.

Récemment, une photo circulait sur un réseau social sur des éboueurs turcs qui ont fait des livres ramassés dans les poubelles une bibliothèque. Même de nos déchets, nous pouvons tirer des leçons en triant et en recyclant le bon pour un nouveau Liban. La culture est un éternel renouveau et c’est une façon de plus de sauver un pays meurtri, encore et toujours torturé. L’unité passera par l’ouverture des esprits, loin d’un obscurantisme hideux qui éradique la pensée des plus sensés d’entre nous. Sauvez-vous ! Sauvez votre pays ! Nous le pouvons encore. Nous le devons.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Qui n’a pas entendu parler de 20/20, le feuilleton tragique qui s’est terminé en fanfare avec la fin du ramadan ? Il avait été annoncé à grand son de tambour et trompette comme étant l’opus du mois, voire de l’année, et probablement du XXIe siècle ; ne lésinons pas sur les mots. Dieu merci ! On nous a promis une nouvelle saison dans un an. Ouf ! Nous sommes sauvés ! Des fois...
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