La malheureuse sortie lundi soir du ministre sortant des Affaires étrangères, Charbel Wehbé, sur la chaîne de télévision américaine al-Hurra, a trouvé hier son épilogue. Au lendemain de cet impair diplomatique, M. Wehbé a annoncé hier, depuis le palais de Baabda, qu’il avait demandé et obtenu d’être relevé de ses fonctions. Le ministre sortant avait accusé lors de ce talk-show « des pays amis et frères » d’avoir financé le groupe jihadiste État islamique qui a sévi en Syrie et en Irak. Il avait en outre qualifié de « Bédouin » un invité saoudien de l’émission en réaction aux « insultes » proférées par ce dernier à l’égard du président Michel Aoun. M. Wehbé sera remplacé par la ministre sortante de la Défense et vice-présidente du Conseil, Zeina Acar. Le décret de nomination de Mme Acar a été signé par le chef de l’État et le Premier ministre sortant, Hassane Diab. À l’intérim des Affaires étrangères, deux autres candidatures avaient été envisagées, celles de Ghada Chreim (Déplacés) et Marie-Claude Najm (Justice).
« Ma démarche est dans l’intérêt du Liban »
« J’ai eu l’honneur de rencontrer le président de la République et j’ai demandé à être relevé de mes fonctions et de mes responsabilités en tant que ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes », a annoncé M. Wehbé à l’issue de son court entretien avec le président Aoun au palais de Baabda. Il a affirmé avoir pris sa décision « à la lumière des derniers développements et des suites de l’entretien qu’il a donné à une chaîne de télévision ». « Je tenais à ce que cette interview ne soit pas exploitée pour offenser le Liban et les Libanais, sachant que j’ai publié deux communiqués pour m’expliquer », a indiqué M. Wehbé. Le ministre sortant avait affirmé notamment, dans le premier de ces communiqués, que ses propos ont été « interprétés de façon erronée », affirmant qu’il ne s’en était pas pris nommément aux États du Golfe. Dans un second communiqué, il avait cependant avoué avoir tenu « certains propos inappropriés » sous le coup de la colère. Réagissant à des propos sarcastiques dans lesquels le président du Comité des relations publiques américano-saoudiennes, le Saoudien Salman al-Ansari, traitait de « duo comique » le chef de l’État et son gendre Gebran Bassil, M. Wehbé avait affirmé qu’il refusait de se faire insulter par « un Bédouin ». Après Baabda, M. Wehbé s’est rendu au Sérail où il a remis à M. Diab une copie de sa demande d’être relevé de ses fonctions. « Ma démarche est dans l’intérêt du Liban et des Libanais. Elle dépasse tout autre intérêt et calcul. J’espère du fond du cœur que ce sujet sera clos afin que les relations du Liban avec les pays arabes, les pays amis et frères, s’établissent sur la base du respect mutuel. Tous mes vœux de succès à ceux qui se verront confier cette mission pour le bien du Liban », a-t-il ajouté.
Ancien conseiller du président Michel Aoun pour les affaires diplomatiques, M. Wehbé avait été nommé début août 2020 au poste de ministre des Affaires étrangères, après la démission de Nassif Hitti. Quelques jours plus tard, tout le gouvernement avait présenté sa démission, à la suite de la double explosion meurtrière au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Techniquement, le ministre ne pouvait donc pas démissionner. Théoriquement, l’intérim de M. Wehbé aurait dû être assuré par le ministre sortant de l’Environnement et du Développement administratif, Damien Kattar. Toutefois, selon des sources informées, depuis qu’il a démissionné sans consulter le chef du gouvernement, peu après l’explosion du port, M. Kattar est en froid avec M. Diab. Les sources citées assurent même que les deux hommes « ne se parlent plus ». En tout état de cause, les ambitions présidentielles qu’on prête à M. Kattar le disqualifiaient aux yeux du chef de l’État et du chef du CPL, note notre chroniqueur politique Mounir Rabih.
Accueillis sous une tente « bédouine »
Les déclarations de M. Wehbé ont provoqué une tempête politique aussi bien dans les pays concernés qu’au Liban. En Arabie saoudite, le ministre des AE a convoqué l’ambassadeur du Liban, Fawzi Kabbara, et lui a remis une note de protestation officielle dans laquelle il a « condamné fermement les propos de M. Wehbé et ses atteintes honteuses au royaume, à son peuple et aux pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ». Les Émirats arabes unis ont eux aussi convoqué l’ambassadeur du Liban à Abou Dhabi, Fouad Dandan, afin de lui transmettre une note de protestation. Dans un communiqué, le ministère émirati des Affaires étrangères a dénoncé des propos « haineux et racistes ». Les représentants du Liban au Koweït et à Bahreïn ont également été convoqués, tandis que le CCG a demandé à Charbel Wehbé de présenter des excuses officielles.
Toutefois, l’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban, Walid Boukhari, a dissipé hier les craintes que des Libanais résidant en Arabie saoudite paient le prix de cette crise diplomatique. Recevant un flot de visiteurs sous une tente bédouine installée dans le jardin de sa résidence, à Yarzé, en réponse directe aux propos racistes de M. Wehbé, le diplomate a assuré que le royaume, qui accueille des centaines de milliers de Libanais, n’avait aucune intention de procéder à des expulsions en représailles. « Que tout le monde soit rassuré, tout ce qui est dit sur une volonté du royaume d’expulser des Libanais n’a aucun fondement », a-t-il déclaré aux journalistes. Il a révélé par ailleurs avoir reçu un appel de M. Wehbé dans lequel ce dernier s’est excusé de s’être laissé emporter et d’avoir tenu des propos inappropriés et offensants à l’égard de pays frères et amis. M. Boukhari a affirmé qu’il savait que ces déclarations « n’expriment pas le point de vue du peuple libanais » vis-à-vis des monarchies du Golfe et de Riyad.
Au nombre des visiteurs du diplomate figuraient notamment le mufti de la République, Abdellatif Deriane, le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, le cheikh Akl druze, Naïm Hassan, les anciens présidents Amine Gemayel et Michel Sleiman, le député du Parti socialiste progressiste (PSP) Taymour Joumblatt, l’ancien ministre de l’Intérieur Nohad Machnouk, ainsi que des délégations des Forces libanaises et du courant du Futur, à sa tête Bahia Hariri, ainsi que des tribus bédouines du Liban qui sont venues protester contre les stigmatisations dont s’est rendu coupable M. Wehbé à leur égard.
commentaires (8)
A ma connaissance, porter atteinte aux relations fraternelles entre le Liban et un autre pays arabe en l’occurrence, est un délit puni par la loi. Qu’attend le procureur de la république pour déférer ce personnage devant la juridiction compétente
Lecteur excédé par la censure
21 h 45, le 20 mai 2021