Il fut ministre en titre durant quelques jours à peine en août dernier. Depuis, il n’est plus que ministre sortant. S’il faut qualifier son action à la tête de la diplomatie libanaise jusqu’à sa sortie de lundi soir à la chaîne al-Hurra, un seul mot vient à l’esprit : l’insignifiance. Aujourd’hui, hélas, ce n’est même plus le cas…
Les propos tenus par Charbel Wehbé résument toute la détresse à laquelle est parvenu ce pays du fait des dérives politiques et institutionnelles accumulées depuis des années et dont la plus grande part de responsabilité est assumée par le pouvoir actuel, incarné par le président de la République en place, Michel Aoun, aux côtés du parti-État.
M. Wehbé a certes été désavoué hier par la présidence, laquelle avait été clairement mise dans l’embarras par le parler franc d’un ministre qui, somme toute, ne faisait que répéter publiquement ce que de nombreux membres de la mouvance aouniste disent à peu près tous les jours, en y mettant la même dose de racisme et de xénophobie. Mais le franc-parler a ses limites : pendant qu’il se faisait corriger par Baabda, l’intéressé jouait les vierges effarouchées, se disant abasourdi d’entendre ses détracteurs prétendre que ses propos visaient les monarchies du Golfe. Ainsi, le courage a manqué à notre ministre pour assumer ses propres prises de position. À moins que tout le monde soit dans l’erreur et que par « bédouins », M. Wehbé ait voulu parler des populations de la Norvège, du Paraguay ou de la Malaisie.
Cependant, au-delà du racisme et des insultes proférées à l’égard des États arabes du Golfe ; au-delà aussi des accusations puisées directement dans la rhétorique particulière de l’axe iranien, le plus grave dans les propos du ministre est dans ce qu’ils montrent de l’ampleur du déni officiel persistant à l’égard du terrifiant isolement diplomatique vers lequel le tandem Hezbollah-Aoun a conduit le Liban. Le désaveu de Baabda hier, de nature purement formelle, n’enlève d’ailleurs rien à ce déni, dans la mesure où la présidence de la République, tout autant que le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, multiplie depuis des mois les références à un « blocus » prétendument imposé au Liban par la communauté internationale : discours orwellien basique qui fait penser à un asile d’aliénés dont les pensionnaires se croient eux-mêmes sains d’esprit et disent du monde alentour qu’il est fou…
Tout de même, il y a quelque chose d’incompréhensible et d’affolant à la fois dans ce ciblage fréquent des monarchies du Golfe, et en particulier de l’Arabie saoudite, de la part des milieux aounistes. Pour le Hezbollah, les choses sont au moins claires : étant lié par contrat à la République islamique d’Iran, le parti de Dieu est naturellement dans son rôle de supplétif de Téhéran lorsqu’il s’en prend à Riyad. Peu lui chaut que cela aille à l’encontre des intérêts du Liban. Bien au contraire, il semble s’en accommoder. Sauf que le parti chiite ne donne jamais de connotation raciste à ses attaques. Le parti aouniste, lui, ne s’arrête pas à cette considération.
M. Wehbé croit pouvoir justifier ses prises de position en évoquant l’affaire Khashoggi, du nom du journaliste saoudien assassiné en 2018 dans les locaux du consulat de son pays à Istanbul. De fait, voilà une affaire qui ne fait pas honneur au pouvoir saoudien. De là à faire semblant de s’en indigner, dans une démarche médiocrement pro-axe de la Moumanaa, lequel a dépassé Riyad de loin en matière de violations des droits de l’homme, il n’y a qu’un pas qu’un ministre aouniste comme M. Wehbé peut aisément franchir.
Il reste qu’il ne s’agit pas ici d’un concours de belles entre Riyad et Téhéran. On peut, en tant que Libanais, n’avoir d’empathie ni pour l’un ni pour l’autre des régimes de ces États, tout en ayant parfaitement conscience de ce que commande l’intérêt supérieur du Liban. Sur ce plan, constater que l’Arabie saoudite est bien plus importante pour le pays du Cèdre que l’Iran est un euphémisme. Le fait qu’un chef de la diplomatie libanaise ne voit pas cela en dit long du mal profond qui frappe ce pays.
Les monarchies du Golfe ont réclamé hier des excuses officielles libanaises après ce qui a été dit par le ministre des Affaires étrangères. Le peuple libanais est lui aussi en droit d’exiger des excuses similaires de la part d’un pouvoir qui piétine ses intérêts de manière constante et systématique depuis des années, notamment au service d’un projet que le chef de la diplomatie a osé qualifier de « police d’assurance pour le Liban ».
Sauf que les suicides ne sont pas couverts par les assurances…
commentaires (29)
Excellent article!
Akote De Laplak
20 h 24, le 20 mai 2021