Après la polémique provoquée par ses déclarations lundi soir à la chaîne al-Hurra concernant le financement de groupes jihadistes par des "pays-amis" du Liban, interprétés comme une attaque contre les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite, et faisant craindre une nouvelle crise diplomatique, le ministre libanais sortant des Affaires étrangères, Charbel Wehbé, a fait son mea culpa mardi. Cette tentative de M. Wehbé de réduire la portée de ses propos n'a pas empêché le royaume de convoquer l'ambassadeur libanais à Riyad, Fawzi Kabbara, en guise de protestation. Une mesure similaire a été prise par les Emirats arabes unis.
Affirmant avoir tenu "certaines propos inappropriés, sous le coup de la colère, en réaction aux insultes inacceptables lancées contre le président libanais Michel Aoun", le ministre sortant des Affaires étrangères a affirmé qu'il "n'hésite pas à présenter ses excuses" et précisé que ses déclarations ne visaient pas à "porter atteinte à des pays ou des peuples arabes amis". Et d'insister sur le fait qu'il a déployé tous les efforts possibles pour améliorer et développer les relations entre le Liban et ces pays "sur la base du respect mutuel". "Nul n'est à l'abri de commettre des erreurs", a-t-il conclu.
Plus tôt dans la journée, Charbel Wehbé avait tenté de justifier ses déclarations, affirmant qu'il n'avait jamais accusé les pays arabes du Golfe de financer les groupes jihadistes. "Je n'ai nommé aucun pays", avait-il précisé, se disant "abasourdi par les interprétations erronées de ses propos". Il avait aussi dénoncé des "communiqués publiés par certains au Liban qui transforment mes paroles et provoquent des tensions dans les relations avec le royaume saoudien et les pays du Golfe, à des fins personnelles et au détriment du Liban".
La présidence de la République n'avait pas tardé à se désolidariser des déclarations du ministre. "Ce qu'a exprimé Charbel Wehbé à la chaîne al-Hurra hier soir représente son propre avis et ne reflète pas le point de vue de l'Etat libanais ni du président Aoun", a-t-elle écrit dans un communiqué. Le chef de l'Etat "refuse toute atteinte aux pays amis et surtout à l'Arabie saoudite et aux pays du Golfe", ajoute le texte, qui souligne que certains commentaires et la "campagne médiatique programmée" en réaction aux propos du ministre "visent à mettre à mal les relations fraternelles" avec ces pays. Le Premier ministre sortant, Hassane Diab, avait pour sa part contacté par téléphone son ministre des Affaires étrangères afin de lui demander de s'expliquer sur les "motifs de ses prises de position". M. Diab avait affirmé qu'il tenait à conserver "les meilleures relations possibles" avec Riyad, les autres pays du Golfe et tous les pays "amis" du Liban et à ne pas les "offenser". "Ces pays ont toujours soutenu le Liban", avait-il ajouté, appelant à "surmonter" cette polémique.
"Police d'assurance"
Lors de son interview, diffusée lundi soir, et répondant à une question concernant les armes du Hezbollah, le chef de la diplomatie libanaise, considéré comme proche du président Aoun, avait indiqué que "c'est au Hezbollah d'assumer la responsabilité de ses armes. Le Liban doit également assumer cette responsabilité, sans aucun doute, mais la décision finale n'est pas libanaise, elle revient au parti" chiite, avait-il déclaré. Il avait aussi justifié l'armement du parti chiite en soulignant que "lorsqu'Israël occupait le Liban, les jeunes du Hezbollah ont pris les armes pour défendre la souveraineté du pays et ils ont libéré le Sud".
Il avait en outre affirmé que "Daech (le groupe jihadiste Etat islamique) a été apportée dans la région par des pays +amis et fraternels+", en allusion probable aux pays du Golfe, bien qu'il ait refusé de les nommer. "Ces pays ont amené l'Etat islamique et ont assuré son implantation dans la plaine de Ninive et dans le Anbar (en Irak) et à Palmyre (en Syrie)". "Qui a financé ces groupes ? Ce n'est pas moi !", avait-il lancé. Et de souligner que le Hezbollah avait aidé à se débarrasser des groupes jihadistes installés le long de la frontière entre le Liban et la Syrie.
"Bédouin"
Dans son entretien, le ministre Wehbé avait également réagi avec violence aux propos émanant d'un autre invité de l'émission, le fondateur et président du Comité des relations publiques américano-saoudiennes (SAPRAC), le Saoudien Salman al-Ansari. Ce dernier, interrogé par la journaliste Layal al-Ikhtiyar sur l'éventualité de futurs soutiens financiers de Riyad à Beyrouth, a accusé le président Michel Aoun et Gebran Bassil, le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), le "duo comique", d'avoir empêché l'organisation en 2020 d'une "conférence sur les relations stratégiques libano-saoudiennes".
Menaçant de quitter le plateau de l'émission, M. Wehbé avait dénoncé des "insultes" lancées contre le président Aoun et répliqué : "Ceux qui ont tué (le journaliste saoudien, Jamal) Khashoggi à Istanbul n'ont pas le droit de parler ainsi". Il avait ensuite pris à témoin la journaliste et lancé qu'il refusait de se faire insulter par "un Bédouin". En 2018, Jamal Khashoggi a été démembré à l'intérieur du consulat du royaume wahhabite à Istanbul. Sa mort et la disparition de son corps ont terni l'image du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, de nombreux observateurs accusant l'émir et de hauts responsables saoudiens d'avoir commandité l'assassinat.
Les ambassadeurs libanais à Riyad et Abou Dhabi convoquésLes propos du ministre ont provoqué l'indignation de la classe politique libanaise qui a mis en garde contre une nouvelle crise diplomatique entre Beyrouth et Riyad et dont les Libanais feront les frais.
La diplomatie saoudienne a pour sa part convoqué l'ambassadeur libanais à Riyad, Fawzi Kabbara. Dans un communiqué, le ministère saoudien des Affaires étrangères "condamne fermement les propos" de M. Wehbé et ses "atteintes honteuses" au royaume saoudien, à son peuple et aux Etats membres du Conseil de coopération du Golfe. Il dénonce des propos qui sont "contraires aux usages les plus basiques de la diplomatie" et ne représentent pas "les relations historiques" entre Riyad et Beyrouth. La diplomatie a dès lors convoqué l'ambassadeur libanais à Riyad "afin de lui exprimer son refus et sa condamnation" des déclarations du ministre libanais des AE. Un document officiel de protestation lui a été remis à cet effet de la part des autorités saoudiennes.
بيان من وزارة الخارجية بخصوص التصريحات المسيئة الصادرة من وزير خارجية الجمهورية اللبنانية في حكومة تصريف الأعمال pic.twitter.com/YKBNbhDOvA
— وزارة الخارجية ?? (@KSAMOFA) May 18, 2021
Selon des informations obtenues par L'Orient-Le Jour, une rencontre élargie aura lieu mercredi à la résidence de l'ambassadeur saoudien au Liban Walid Boukhari en signe de solidarité avec le royaume.
Les Emirats arabes unis ont eux aussi convoqué l'ambassadeur du Liban à Abou Dhabi, Fouad Dandan, afin de lui transmettre un document officiel de protestation. Dans un communiqué, le ministère émirati des Affaires étrangères a dénoncé des propos "haineux et racistes" prononcés par le ministre libanais sortant.
Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a lui aussi condamné les propos de Charbel Wehbé. Son secrétaire général, Nayef Falah Moubarak al-Hojrof, a dénoncé "des insultes à l'égard des pays du CCG et leurs populations, ainsi que contre l'Arabie saoudite". Le responsable du CCG a ensuite affirmé que les propos du ministre libanais "vont à l'encontre des usages diplomatiques les plus basiques et ne reflètent pas les relations historiques entre les Etats du Golfe et le Liban". M. al-Hojrof a enfin demandé à Charbel Wehbé de "présenter des excuses officielles aux membres du CCG et leurs populations".
Les relations entre le Liban et l'Arabie saoudite, déjà très tendues à cause de la présence dans les institutions de responsables du Hezbollah, avaient été à nouveau mises à mal ces dernières semaines en raison du trafic de drogue provenant du territoire libanais à destination du royaume. A l'instar du reste de la communauté internationale, l'Arabie et les pays du Golfe ne veulent fournir aucune aide financière au Liban tant que des réformes n'ont pas été menées, ce qui nécessite la formation d'un gouvernement, attendu depuis plus de neuf mois.
commentaires (37)
Mais il attend quoi pour démissionner ? Il n'a donc pas une once d'amour propre ...sinistre individu.
C…
23 h 55, le 18 mai 2021