Parce qu’elle tranche avec un désintérêt de plus en plus assumé du royaume par rapport au dossier libanais, l’intense activité diplomatique de l’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban Walid Boukhari a de quoi interpeller. Ces derniers jours, le diplomate s’est réuni avec pas moins de vingt-trois ambassadeurs, dont ceux de France et des États-Unis, et avec plusieurs hommes politiques libanais de premier plan, dont Walid Joumblatt ce samedi. Depuis l’épisode de la séquestration de Saad Hariri à Riyad en novembre 2017, le royaume s’est complètement désinvesti de la scène libanaise, considérant le pays entre les mains du Hezbollah. Il reproche au Premier ministre désigné de ne pas avoir rompu le dialogue avec le parti pro-iranien, que l’Arabie perçoit comme une menace. Les derniers développements indiquent-ils un changement d’approche à cet égard ? Rien n’est moins sûr.
Sans modérer sa position, Riyad semble toutefois vouloir évaluer ses options pour, éventuellement, recalibrer sa politique en cas d’avancée qu’il jugerait favorable à ses intérêts. Autrement dit, l’Arabie saoudite s’active pour le moment pour appuyer la formation d’un gouvernement conforme aux attentes de la communauté internationale. Ensuite, à la lumière de la composition de ce cabinet, des équilibres politiques en son sein, de sa déclaration ministérielle, de son programme et de sa capacité à adopter des politiques réellement efficaces, le royaume décidera s’il coopère ou non avec cette équipe.
Tous les ambassadeurs reçus par Walid Boukhari ont souligné l’importance d’appuyer l’initiative française, qui implique d’importantes réformes structurelles pour que le Liban puisse bénéficier d’aides internationales. Si Riyad est attaché à ces aspects techniques, il pose aussi ses propres conditions, plus politiques, concernant le rôle du Hezbollah dans le gouvernement et le respect des résolutions des Nations unies. Selon un diplomate arabe qui a souhaité garder l’anonymat, les chancelleries soupçonnent le Hezbollah d’être à l’origine du blocage gouvernemental, en attendant le résultat des pourparlers entre les États-Unis et l’Iran. « Il pourrait y avoir une politique de sanctions communes entre les Européens et les pays arabes du Golfe contre les dirigeants libanais », indique le diplomate arabe.
La discrétion de Boukhari face au déballage de Aoun
Si l’activité de l’ambassadeur saoudien génère beaucoup de fantasmes dans un pays où l’on a tendance à toujours exagérer le rôle des acteurs externes, c’est surtout sa rencontre avec le président de la République Michel Aoun à Baabda, le 23 mars, qui a fait couler de l’encre. Les aounistes ont présenté cette visite comme un appui de Riyad à Michel Aoun dans son bras de fer contre Saad Hariri, que Walid Boukhari boycotte pour le moment, d’autant plus que la rencontre a eu lieu après un entretien orageux entre le chef de l’État et le Premier ministre désigné sur la formation du gouvernement. Mais du côté saoudien, on avance une tout autre version, note le diplomate arabe. « Cette visite a eu lieu en réponse à une invitation de la présidence de la République », précise le diplomate arabe. Du point de vue de l’Arabie, cette visite revêtait un caractère protocolaire compte tenu du fait que le palais présidentiel a envoyé trois invitations successives à l’ambassadeur d’Arabie, et que la dernière – celle qui a abouti à cette réunion – lui a été adressée par le chef du protocole, d’où son caractère officiel. Conformément à la convention de Vienne qui régit les relations diplomatiques, l’ambassadeur n’aurait donc pas pu l’ignorer, sous peine que ce ne soit interprété comme un affront au chef de l’État. « L’Arabie saoudite ne peut se comporter comme l’ambassadeur d’Iran », persifle le diplomate arabe, en référence au refus de l’ambassadeur d’Iran de répondre à une convocation du ministre des Affaires étrangères suite à des critiques irrespectueuses à l’encontre du patriarche maronite Béchara Raï dans un média iranien.
Durant la réunion, Michel Aoun a assuré à l’ambassadeur saoudien que « Saad Hariri n’a pas la capacité de former un gouvernement », estimant que ses récents voyages dans différentes capitales se sont révélés infructueux, d’après des sources diplomatiques concordantes. Il a aussi démenti vouloir bénéficier du tiers de blocage et estimé que ce sont les Français qui ont dicté les noms des ministres à Saad Hariri. Il a également exprimé sa volonté de faire pression sur ce dernier en vue de le pousser à se récuser, estimant que le principal obstacle à cela est le président du Parlement Nabih Berry. Quant à M. Boukhari, il a refusé, au cours de l’entretien, d’entrer dans les détails, se contentant d’une position classique sur la nécessité de former un gouvernement respectueux des équilibres et des exigences internationales, avec un programme qu’il s’engagerait à appliquer. Le diplomate arabe tient à préciser que Riyad ne s’oppose pas au fait que Saad Hariri soit à la tête du gouvernement et qu’une rencontre avec lui n’est pas exclue en fonction de la formation du cabinet. De son point de vue, c’est le Hezbollah qui encourage Michel Aoun à être aussi intransigeant, mettant ainsi en péril l’initiative française. Une vision démentie par une source proche du parti chiite.
La guerre au Yémen
L’interprétation que le courant aouniste a faite de la visite a été très mal perçue par l’ambassade d’Arabie saoudite à Beyrouth, qui considère que le fait de faire fuiter de fausses informations est contraire aux règles les plus élémentaires de la diplomatie. « En faisant circuler des rumeurs infondées, la présidence de la République a nui en premier lieu au plus haut poste chrétien du pays. Un tel comportement traduit l’impuissance et l’échec de l’équipe de la présidence et du Courant patriotique libre (CPL) à apporter une solution à l’impasse gouvernementale, faisant preuve d’un manque total de volonté de résoudre cette affaire, et de soumission à des injonctions étrangères visant à exacerber la crise interne pour des calculs passagers », estime le diplomate arabe. L’ambassadeur saoudien y a vu, selon ses visiteurs, une tentative de décrédibiliser certaines parties nationales, dans le seul but de faire échouer l’initiative française.
D’un point de vue tactique, l’ambassadeur Boukhari a toutefois marqué un point au cours de la rencontre de Baabda, ayant réussi à obtenir de Michel Aoun une prise de position favorable à l’initiative saoudienne visant à mettre un terme à la guerre au Yémen, ce qu’il a pris soin de déclarer haut et fort à sa sortie de l’entretien. Une position d’autant plus remarquée qu’elle a provoqué une réponse de la part de Mohammad Ali Houthi, un haut responsable rebelle au Yémen. « Les déclarations de l’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban sont positives si tant est qu’elles débouchent sur des actes », a-t-il affirmé, recommandant cependant aux parties libanaises de ne pas approuver la solution proposée à n’importe quel prix. Preuve de la portée de cette déclaration, Hassan Nasrallah a aussitôt appelé Michel Aoun et son gendre Gebran Bassil pour limiter les dégâts.
commentaires (7)
J'ai aime que HN a appelé Aoun et son gendre pour limiter les dégâts . On voit bien qui gouverne ???
Eleni Caridopoulou
18 h 17, le 29 mars 2021