La présidence de la République a révélé mardi la teneur d’un message adressé par le pape François au chef de l’État, dans lequel il réaffirme, en particulier, que le Liban « ne peut pas perdre son identité ». Il apparaît toutefois que ce message, que l’on a spontanément mis en rapport avec l’audience accordée par le pape au Premier ministre désigné, Saad Hariri, le 22 avril, a en fait été adressé par le pape au chef de l’État le 29 mars dernier.
« Le Liban ne peut pas perdre son identité ni l’expérience de la coexistence fraternelle qui a fait de lui un message pour le monde entier », dit en particulier ce texte. Ce dernier renvoie à d’autres appels précédents dans lesquels le pape François et le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avaient diagnostiqué la situation actuelle comme étant une « une crise existentielle » susceptible de faire « perdre son identité » au Liban.
Mais quels sont ces « dangers » qui risquent de faire perdre au pays du Cèdre son identité, et laissent imperturbables les protagonistes de la crise actuelle ? C’est, comme on ne cesse de le dire, d’abord et avant tout la prolongation du vide gouvernemental et l’aggravation des crises économique et sociale qui s’ensuivent, ainsi que la dislocation des institutions que provoque la multiplicité des centres de décision et de pouvoir. Cette crise trahit aussi une rupture totale des liens de confiance entre deux hauts dirigeants, et celle-ci tranche par rapport aux liens débonnaires qui ont toujours marqué le vivre-ensemble libanais des temps de paix. C’est aussi, comme on l’affirme à basse ou haute voix, le projet de société du Hezbollah, ses armes, ennemis jurés d’un Liban pacifique de la tolérance, du non-alignement et du pluralisme, tel que décrit par le pape Jean-Paul II.
« Mais il ne faut pas que les dangers évidents fassent oublier les autres facteurs de dissolution, souligne le P. Fadi Daou, fondateur de l’ONG Adyan. À court terme, c’est la mauvaise gouvernance qui risque d’être fatale au Liban. » Le P. Daou est rejoint dans son analyse par l’évêque maronite de Batroun, Mgr Mounir Khairallah, qui s’inquiète de l’impact de cette mauvaise gouvernance sur le mouvement d’émigration qui frappe les élites diplômées, surtout chrétiennes. Comme beaucoup, sans trop se l’avouer ou dramatiser, l’évêque redoute de voir le Liban se vider de ses chrétiens comme cela s’est déjà produit en Irak, en Syrie et en Palestine.
Otages des tensions régionales
Parmi les dangers qui menacent l’identité du Liban figure aussi le fait qu’il est l’otage des tensions régionales. Dans le communiqué final de la récente session extraordinaire de l’Assemblée des patriarches et évêques catholiques du Liban (APECL, le 21 avril), le patriarche Raï a résumé les dangers en des termes tranchants : « (…) Étant donné que le Liban a perdu sa souveraineté intérieure et extérieure, son unité militaire et ses forces propres pour se défendre contre toute agression, et par conséquent la possibilité de jouer son rôle de lieu de rencontre et de dialogue entre les religions et les civilisations, nous avons réclamé la proclamation de sa neutralité active et positive. Étant donné aussi que les forces politiques libanaises sont incapables de se mettre ensemble pour appliquer toutes les clauses de l’accord de l’entente nationale de Taëf de 1990, nous avons réclamé la tenue d’une conférence internationale sous les auspices des Nations unies pour sauver le Liban en voie d’effondrement. »
Dans son appel de Noël (24 décembre 2020) et son message annuel au corps diplomatique (janvier 2021), le pape François a d’ailleurs demandé à la communauté internationale d’aider le Liban « à rester en dehors des conflits et des tensions régionales ».
Causes internes
Toutefois, selon l’évêque Mounir Khairallah, rapporteur des travaux de la session de l’APECL, si les causes exogènes de la crise libanaise sont évidentes, comme on le voit en ce moment avec la crise avec l’Arabie saoudite, elles n’excluent pas les causes proprement endogènes. Selon l’évêque, l’une des premières causes endogènes de la crise actuelle est l’absence de dialogue, et elle remonte à loin. Les divisions entre chrétiens sont classées comme facteur de dissolution certain, affirme en substance Mgr Khairallah, qui établit un rapport étroit entre ces divisions et les allégeances aveugles de certaines couches de la population à des chefs politiques.
L’évêque reprend à son compte les remarques de certains de ses pairs, et relève que quelques cercles de la thaoura du 17 octobre 2019 ont critiqué le siège patriarcal et le patriarche, et qu’il est nécessaire que l’Église engage le dialogue avec ces élites, pour les écouter et éventuellement combler le fossé qui la sépare d’eux.
La session de l’APECL, précise son rapporteur, qui en cite le communiqué final, a appelé les Libanais « à promouvoir le dialogue entre eux, le dialogue (…) du pardon et de la réconciliation, une dynamique qui suppose un processus de purification de la mémoire de la part de toutes les parties libanaises. Il faut que (…) chaque groupe ou communauté fasse un examen de conscience (…) ouvrant ainsi le chemin à une réconciliation nationale. Grâce à ce dialogue (…), les Libanais pourront se retrouver et, le cœur purifié, collaborer à édifier l’État de droit, un État moderne, un État de citoyenneté où tous les citoyens seront égaux et vivront ensemble dans le respect de leurs appartenances confessionnelles ».
Selon l’évêque de Batroun, la session s’est achevée sur la décision de nommer « un comité restreint qui sera chargé de communiquer avec les forces vives de la société civile ainsi que les autres communautés chrétiennes et musulmanes, pour arriver à former une cellule de réflexion qui préparerait le dialogue entre toutes les parties ». L’évêque espère que cette structure verra le jour, mais il reste prudent sur la date.
commentaires (5)
Tout gouvernement légitime qui est en charge, en pleine fonction ou dans les affaires courantes, ne pourra rien entreprendre pour servir l'intérêt général de la nation, si une autre force, plus puissante que les forces légitimes de l'État, qui est au service d'une faction dogmatique financée par des intérêts étrangers impose sa loi. Donc c’est logique que l’élite politique, consciente de l'absence d’avenir souverain, d'utiliser la richesse du pays pour elle-même tant que ça dure. Le Liban est-il sur la voie du non-retour, le régime politique libanais actuel disparaîtra-t-il pour devenir un territoire colonisé, cette colonisation informelle sera-t-elle entreprise avec la bénédiction des puissances dominantes, contre la pacification des pays de la Golfe et l’annulation du programme militaire nucléaire iranien? La reprise éventuelle de la souveraineté du Liban causera une guerre civile sans fin, avec une scission de l'armée et des forces de sécurité intérieure. Ce que personne n’en veut. D’où l'effondrement définitif de l’actuelle nation libanaise et son régime. Sauf un miracle que la population attend, qui est dans la culture des levantins.
DAMMOUS Hanna
12 h 39, le 01 mai 2021