Rechercher
Rechercher

Politique - En toute liberté

L’amour préférentiel du Vatican pour le Liban

Au lendemain de la visite de Saad Hariri au Vatican, on est en droit de se demander d’abord ce que le Premier ministre désigné a pu en tirer comme appui, ensuite comment le Saint-Siège construit sa diplomatie moyen-orientale et si le Liban y occupe toujours une position pivotale. Une courte rétrospective n’est pas inutile pour répondre à ces questions. Lorsqu’en 1993, le pape Jean-Paul II prit l’initiative de convoquer un synode pour le Liban, il dérogeait aux règles sur deux points essentiels. La consécration d’un synode pour le Liban était une chose tout à fait inhabituelle. L’assemblée était généralement convoquée pour le bien d’un continent (l’Afrique par exemple) ou pour des questions pastorales brûlantes (exemple : la famille). Le synode pour le Liban était le premier de l’histoire à être organisé pour un pays particulier. Seconde innovation majeure, des invitations à y assister furent adressées à des autorités religieuses islamiques (sunnites, chiites et druzes). Qui plus est, cette invitation leur fut adressée en leur qualité de participants et non d’observateurs seulement.

Lire aussi

Hariri cherche à mobiliser le Vatican à ses côtés

Pour la petite histoire, révèle Mohammad Sammak, délégué de Dar el-Fatwa au Synode sur le Liban, il faut savoir que c’est Rafic Hariri qui persuada les chefs spirituels islamiques libanais de la nécessité de répondre à l’appel du pape. Ces derniers, après concertation, avaient d’abord décidé de s’excuser, tout en envoyant un message de remerciement au chef de l’Église catholique et en souhaitant au synode plein succès. Cependant, Rafic Hariri, qui mesurait l’importance de l’événement et y voyait comme « le pendant spirituel » de l’accord de Taëf (1989) et l’entente sur la parité islamo-chrétienne au Parlement, finit par convaincre les chefs religieux musulmans que le synode ne serait pas une simple réunion religieuse chrétienne, mais la promotion d’un projet de solution nationale à la guerre civile, projet donnant sur de nouveaux horizons. Les trois représentants musulmans délégués au synode furent le druze Abbas Halabi, le chiite Saoud Maoula et M. Sammak.

Invité au Vatican au lendemain du synode pour son rôle majeur dans le succès de cet événement, Rafic Hariri entendit de la part du pape Jean-Paul II des paroles de profonde gratitude, révèle M. Sammak. « Je vous confie les chrétiens du Liban », était allé jusqu’à lui affirmer, ce jour-là, le saint-père. À quoi Rafic Hariri répondit : « Ce sont ma famille et mes frères. Nous formons tous un seul peuple. »

Le précédent du Synode sur le Liban se répéta lors du Synode sur le Moyen-Orient (2010), rendu nécessaire par les guerres et bouleversements qui secouaient la région. S’y manifestait un déplacement de l’attention du Saint-Siège d’un petit pays comme le Liban à l’ensemble de la région du Moyen-Orient. Mais Benoît XVI, qui le convoqua, invita quand même un Libanais, Mohammad Sammak, à y intervenir, au même titre que les évêques et patriarches qui y assistaient, et choisit ensuite d’en diffuser l’Exhortation apostolique (résumé des interventions du synode) à partir du Liban. Tacitement, précise M. Sammak, le pape répétait la démarche du pape Paul VI qui, en route pour Jérusalem (4-6 janvier 1964, donc avant la guerre dite des Six-Jours), fit escale à Beyrouth avant d’atterrir à Amman, désignant ainsi le Liban comme la porte d’entrée du Vatican au Moyen-Orient.

Lire aussi

Le « déballage » de Hariri au Vatican confirme le blocage gouvernemental


Mais quel est le secret de cet amour préférentiel du Vatican pour le Liban, que les déclarations actuelles du pape François semblent prolonger ? Dans l’Exhortation apostolique « Une espérance pour le Liban », Jean-Paul II appelle les chrétiens du Liban « à continuer et à renforcer leur rôle culturel dans le monde arabe dont ils font partie ». Il importe en effet au Vatican que la culture de la rencontre prévale dans le monde arabo-islamique, perçu comme un laboratoire des relations islamo-chrétiennes dans un monde où le brassage religieux se généralise, une orientation confirmée ces dernières années par les voyages du pape François au Caire (2017), à Abou Dhabi (2019) et en Irak (2021), comme par la récente encyclique Fratelli tutti. Consulté au sujet du voyage en Irak, M. Sammak avait insisté sur la nécessité que la rencontre entre le pape François et l’ayatollah Sistani, référence suprême du chiisme dans le monde arabe, se passe à Najaf même. Compte tenu de la position du Liban dans le monde arabe et de celle du monde arabe dans le monde islamique, on comprend aussi pourquoi le Saint-Siège tient encore si fort au Liban comme modèle et exemple. Quels que soient les autres pôles d’intérêt du Saint-Siège, Le Liban et son vivre-ensemble sont toujours, à ses yeux, rien moins qu’un « universel particulier », un modèle à suivre de pluralisme et d’ouverture à l’autre.

Et de fait, en cette époque trouble de réveils identitaires, le vivre-ensemble à la profondeur où le conçoit le Vatican est, sur les plans du monde arabe et islamique, le seul modèle de civilisation opposable à l’alliance des minorités dirigée contre le monde sunnite, ou aux messianismes d’inspiration religieuse, comme celui qui se déploie en Iran, ou ethnico-religieux, comme celui de la recherche mimétique et désastreuse des « droits des chrétiens » que l’on voit à l’œuvre au Liban. Ainsi, dans la fidélité à une doctrine lancée par Jean-Paul II, le Vatican est aujourd’hui plus que jamais préoccupé de voir le « Liban-messager » correspondre dignement au Liban-message. De voir les chrétiens du Liban se hisser courageusement au niveau du rôle historique qui leur est demandé au sein du monde arabe et ne pas céder aux tentations du repli sur leur « zone de confort » identitaire.

Au lendemain de la visite de Saad Hariri au Vatican, on est en droit de se demander d’abord ce que le Premier ministre désigné a pu en tirer comme appui, ensuite comment le Saint-Siège construit sa diplomatie moyen-orientale et si le Liban y occupe toujours une position pivotale. Une courte rétrospective n’est pas inutile pour répondre à ces questions. Lorsqu’en 1993, le pape...

commentaires (1)

Installer au Liban un centre de dialogue international, pour favoriser la culture de la paix dans le monde, est une garantie de stabilité dans une perspective de long terme. Notre président Michel Aoun en a toujours parlé d'ailleurs avec passion, mais aussi avec la précision du visionnaire. Il est curieux que Fady Noun ne l'ait pas évoqué dans cet article .

Chucri Abboud

14 h 05, le 26 avril 2021

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Installer au Liban un centre de dialogue international, pour favoriser la culture de la paix dans le monde, est une garantie de stabilité dans une perspective de long terme. Notre président Michel Aoun en a toujours parlé d'ailleurs avec passion, mais aussi avec la précision du visionnaire. Il est curieux que Fady Noun ne l'ait pas évoqué dans cet article .

    Chucri Abboud

    14 h 05, le 26 avril 2021

Retour en haut