Comme si les malheurs qui frappent actuellement les Libanais ne suffisaient pas, voilà que l’Arabie saoudite a décidé samedi de suspendre toutes les importations de légumes et de fruits en provenance du Liban. Selon les estimations du ministère de l’Agriculture, les exportations de fruits et légumes vers le royaume wahhabite rapportent au Liban près de 120 millions de dollars par an. Ce qui constitue une grosse perte, surtout à un moment où le pays traverse une grave crise économique, sociale et financière, et où il enregistre un manque dramatique de devises, et en particulier de dollars américains.
Pour compléter ce sombre tableau, deux États du Golfe, le royaume de Bahreïn et le Koweït, ont appuyé la décision saoudienne, même s’ils n’ont pas encore suivi son exemple.
Officiellement, la raison saoudienne invoquée pour justifier cette décision est la confiscation d’une cargaison de grenades (le fruit) dans laquelle étaient dissimulées des pilules de captagon. Ce n’est pas la première opération du genre découverte par les autorités saoudiennes en provenance du Liban. On se souvient du feuilleton de l’émir saoudien qui avait été arrêté par les autorités libanaises à l’aéroport en octobre 2015, alors qu’il s’apprêtait à transporter une quantité importante de drogue (2 tonnes) dans son avion privé. Il avait été même surnommé, à l’époque, « l’émir du Captagon ». Mais cette fois, les dirigeants du royaume ont décidé de réagir fermement et d’interdire carrément toute importation de fruits et de légumes à partir du Liban, dans un vaste plan de lutte contre la consommation de drogue dans le pays, qui constitue un fléau important pour la société saoudienne, et en particulier pour les jeunes.
Toujours est-il que la décision saoudienne est tombée comme un couperet pour les Libanais. Le ministre sortant de l’Intérieur Mohammad Fahmi a immédiatement réagi, d’autant que des informations ont commencé à lui parvenir sur le fait que 40 camions libanais transportant une cargaison de près d’une tonne de fruits et de légumes vers l’Arabie se sont retrouvés coincés près de la frontière saoudienne en attendant de nouvelles instructions.
Le ministère de l’Intérieur a aussitôt entrepris des contacts, ainsi que le ministère des Affaires étrangères, pour tenter de changer la décision saoudienne. Une réunion élargie s’est aussi tenue au palais présidentiel de Baabda pour étudier le dossier et coordonner les efforts en vue de pousser les autorités saoudiennes à changer leur décision.
Dans ce contexte, les parties libanaises reconnaissent qu’il y a de grandes lacunes dans le système de contrôle libanais et comprennent par conséquent les mesures prises par le royaume saoudien.
Mais elles estiment que, dans ce cas précis, la décision saoudienne est très dure. En réalité, la cargaison de grenades, avec son lot de pilules de captagon, est venue de Syrie, contrairement à ce que dit le manifeste parvenu aux autorités saoudiennes, qui affirme qu’il s’agit d’une cargaison libanaise. La saison de grenades ne commence qu’en septembre au Liban et, de toute façon, elle n’est pas assez importante pour être exportée vers les pays arabes. Il a ensuite été dit que les pilules de captagon ont été dissimulées dans les fruits au Liban. Ce qui, selon les autorités libanaises, est faux, car d’après les registres officiels, la cargaison n’a pas été touchée lors de son passage par le territoire libanais. Le Liban a donc été une voie de transit et les camions sont passés par la frontière nord du Liban, non par la Békaa. Ce qui écarte une quelconque implication du Hezbollah dans cette opération.
Par contre, les autorités libanaises reconnaissent que le contrôle des marchandises aux frontières, surtout terrestres, n’est pas efficace. D’abord, les équipements de contrôle sophistiqués, comme les scanners, n’existent pas, en dépit d’une décision prise en ce sens par le gouvernement en juillet 2020. De plus, le système en place favorise les manifestes truqués pour éviter le paiement des taxes douanières, et il arrive fréquemment que les fonctionnaires en charge aux points de passage ne vérifient pas vraiment le contenu des cargaisons. Il semble en effet que le trucage des manifestes explicatifs de la nature des cargaisons soit monnaie courante, à tel point que rares sont les fonctionnaires qui prennent la peine de les vérifier.
Pour toutes ces raisons, les autorités libanaises reconnaissent leur responsabilité dans le passage de cargaisons douteuses ou suspectes. Mais en même temps, elles estiment que la décision saoudienne est disproportionnée. D’autant que la suspension de l’importation de fruits et de légumes vers le royaume ne signifiera pas nécessairement l’arrêt du trafic de drogue vers l’Arabie, les trafiquants trouvant toujours de nouvelles idées pour transporter leurs marchandises. En tout cas, le ministre sortant de l’Intérieur affirme que le Liban est prêt à faire participer les autorités saoudiennes à l’enquête sur la cargaison de grenades suspectes, et il souhaite coopérer de près avec ces mêmes autorités dans la lutte contre le trafic de drogue qui constitue une menace pour toutes les sociétés.
Le Liban joue donc l’apaisement avec les autorités saoudiennes et espère pouvoir régler ce problème à travers des entretiens bilatéraux. Le ministre sortant de l’Intérieur affirme ainsi que tout sera fait pour pousser les autorités saoudiennes à revenir sur la décision de suspendre les importations de fruits et légumes en provenance du Liban. Les contacts ont d’ailleurs déjà commencé dans ce but, et Mohammad Fahmi assure que la décision saoudienne n’est pas dictée par des considérations politiques. Il dément ainsi les analyses qui se sont multipliées depuis samedi sur le fait que la décision saoudienne s’inscrit dans le cadre du blocus indirect imposé au Liban pour le pousser à neutraliser l’influence du Hezbollah sur l’État et ses institutions. Selon ces analyses, elle viserait aussi à freiner l’élan du Qatar en direction du Liban. Pour d’autres, la décision saoudienne serait plutôt une tentative d’engager un dialogue indirect pour aboutir à un compromis au Yémen, où les forces saoudiennes, qui appuient le président Abd Rabbo Mansour Hadi, sont en difficulté face aux houthis appuyés par l’Iran et par le Hezbollah.
Le Liban officiel, lui, ne veut pas se lancer dans ce genre de spéculations...
commentaires (10)
Ça vaut sa carte "Sajjad Gold", encore quelques degrés de mauvaise foi et quelques coups d'encensoir et elle aura gagné sa "Sajjad Platinium", Wow!
Christine KHALIL
17 h 40, le 28 avril 2021