(Le 26 février 2024, une attaque israélienne dans la Békaa a visé des entrepôts destinés à l'emballage de marchandises avant leur distribution à al-Sajjad, une chaîne de supermarchés du Hezbollah. Nous vous proposons ainsi à (re)lecture cet article écrit en date du 19 avril 2021.)
Le Hezbollah a récemment déployé sa dernière arme sur le territoire libanais. Il ne s’agit ni d'un missile ni d'un drone, mais d’une carte magnétique qui permet à ses détenteurs d’avoir accès aux magasins du parti et de bénéficier de réductions importantes sur les produits de première nécessité. Dans un pays où plus de la moitié de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté, et dans lequel le prix des denrées alimentaires a connu un taux d’inflation de 400 % en un an, le parti chiite tente de se positionner comme un substitut à l’État dans une démarche fondamentalement clientéliste. Anticipant la probable prochaine levée des subventions, il propose à son public des produits à des prix défiant toute concurrence.
Alors que les routes de la banlieue sud et celles autour de l’aéroport de Beyrouth sont désormais parsemées d’affiches publicitaires faisant l’éloge de produits iraniens, le parti pro-iranien a commencé à distribuer ses cartes « al-Sajjad », en référence à l’imam chiite Ali ben al-Hussein, alias « Zein el-Abidine » ou « al-Sajjad » qui venait en aide aux personnes dans le besoin. Cette carte magnétique peut être utilisée dans les coopératives al-Nour appartenant au parti et dont l’accès est sinon interdit. Le Hezbollah compte ouvrir des dizaines de magasins de ce type, qui ressemblent à de grands dépôts, sur tout le territoire.
Le détenteur de la carte al-Sajjad profite d’une réduction sur les produits alimentaires disponibles dans la coopérative, qui peut aller jusqu’à 70 %, et ce jusqu’à une somme de 300 000 livres libanaises. Le parti chiite refuse de donner des détails sur le nombre de cartes déjà distribuées, mais il se situerait autour de 8 000 selon des informations concordantes, et 12 000 autres seraient en préparation. « Il y a beaucoup de monde dans ces magasins. Les gens achètent surtout du riz, du sucre et de l’huile », témoigne Ali, un mécanicien de 35 ans, qui a reçu sa carte. Les produits proposés sont d’origine libanaise, syrienne, irakienne ou iranienne.
Un pas supplémentaire vers le mini-État
Les bénéficiaires, dont le salaire doit être inférieur à 1,5 million de livres par mois dans un pays dont la monnaie nationale a perdu plus de 85 % de sa valeur depuis le début de la crise économique, font l’objet d’une enquête par la section sociale du parti, avec notamment une visite au domicile familial.
« Avec ce projet, le Hezbollah fait un pas supplémentaire vers le mini-État », fustige Mohammad Aouad, un activiste opposé au parti chiite. « On ne sait pas d’où viennent les produits, comment ils sont entrés au Liban, s’ils sont passés par les douanes, s’ils ont été homologués au ministère du Commerce, s’ils sont conformes aux traités signés par le Liban », ajoute M. Aouad. Le Hezbollah est accusé de participer à la contrebande des produits subventionnés entre le Liban et la Syrie.
En juin 2020, le secrétaire général du parti Hassan Nasrallah avait promis que son parti ne laisserait pas le public de la Résistance « mourir de faim ». Le Hezbollah « fournit une aide directe à 50 000 familles défavorisées », a affirmé le 7 avril le député de la formation chiite Hassan Fadlallah, précisant que leur nombre passerait à 100 000 pendant le ramadan. Alors que le parti reçoit une enveloppe de plusieurs centaines de millions de dollars par an de la part de l’Iran, il continue de verser des salaires en dollars à ses plus proches partisans. Son institution de microfinance al-Qard al-Hassan permet en outre à son public de contourner les nombreuses restrictions qui pèsent actuellement sur le système bancaire.
Le Hezbollah reste assez discret sur cette nouvelle initiative. « Il y a une volonté explicite de ne pas en parler pour ne pas créer une polémique autour du projet, surtout que sur le terrain, celui-ci a dépassé l’objectif initial », dit un proche du parti. Alors que le plan était de distribuer les cartes uniquement à ses partisans dans le besoin, le parti a finalement élargi la distribution à tous ceux qui le désirent. « On ne peut pas dire non à une personne qui vient demander de l’aide. Du coup, beaucoup d’autres régions en profitent actuellement, sachant que certains partis politiques ont expressément demandé à leurs partisans dans les régions sous leur influence de ne pas en profiter. C’est d’ailleurs une des raisons de notre discrétion », ajoute la même source. Selon ce proche du parti, « les aides vont évoluer dans un second temps, pour proposer aussi des réductions dans les services de santé, mais aussi sur des appareils électroménagers essentiels. Le projet pourra également se développer dans toutes les régions libanaises désireuses de profiter de ces aides ».
« Al-Sajjad est un instrument électoral qui cherche à envoyer le message suivant : c’est le Hezbollah qui vous nourrit. C’est aussi un signe que l’État agonise alors que le mini-État du Hezb prend de l’ampleur », confie Mazen Azzam, originaire de la Békaa-Ouest.
Nourrir les affamés n'est pas une action condamnable, bien au contraire. Les autres groupes politiques pourraient en faire autant pour nourrir leurs adeptes, parce que de l'argent volé, il y en a chez tous les dirigeants, toutes religions et obédiences confondues. Qu'ils en fassent autant plutôt que de critiquer!
18 h 52, le 22 avril 2021