Le patriarche maronite Béchara Raï a affirmé samedi, dans une lettre adressée aux fidèles à l'occasion de la fête de Pâques, qu'il y a désormais un "plan clair qui vise à changer l'identité du Liban", alors que le pays empêtré dans de graves crises est sans gouvernement depuis bientôt huit mois. À ce sujet, le dignitaire maronite s'est demandé pourquoi les dirigeants politiques, qui se disent d'accord sur une série de critères pour le nouveau cabinet, notamment l'absence de tiers de blocage, ne parviennent toujours pas à former ce gouvernement. Ces remarques sonnent comme une critique à l'encontre du président de la République Michel Aoun et son gendre, le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, tous deux accusés par leurs détracteurs de vouloir s'assurer un tiers de blocage au sein de la prochaine équipe ministérielle dans un contexte de bras de fer politique avec le Premier ministre désigné Saad Hariri.
"Comme il nous est douloureux de voir la classe au pouvoir et ceux qui l'entourent manipuler le sort de la patrie, de son peuple, de sa terre, de sa dignité ! (...) Il est encore plus douloureux de voir que certains d'entre eux s'accrochent à une loyauté envers un autre pays que le Liban, aux dépens de la nation et des Libanais !", a regretté le prélat, dans une allusion à peine voilée au Hezbollah, proche allié de l'Iran. Jeudi, des propos du patriarche tenus il y a plusieurs jours par visioconférence avaient été rendus publics. Mgr Raï y avait durement critiqué le parti chiite qui confisque, selon lui, "la décision de guerre et de paix".
Une charge claire contre Michel Aoun
Béchara Raï s'est ensuite longuement attardé sur l'impasse politique qui se manifeste par l'absence d'un nouveau gouvernement depuis près de huit mois. "Que peut-on dire de ceux qui bloquent intentionnellement la formation du gouvernement et paralysent l'État, pour faire croire au peuple que le problème est dans la Constitution, alors que la Constitution est la solution ? Le problème vient de leurs comportements politiques et nationaux", a-t-il jugé, à l'heure où les acteurs de la scène libanaise se livrent une bataille rangée autour des prérogatives dévolues au chef de l'État et au Premier ministre désigné sur la formation du cabinet. Si le patriarche ne nomme pas les responsables politiques qu'il critique, ses propos au sujet de l'interprétation de la Constitution sonnent comme une charge claire contre Michel Aoun et son camp.
Le Liban est sans cabinet actif depuis depuis la démission de celui de Hassane Diab, il y a près de huit mois, dans la foulée des explosions meurtrières du 4 août au port de Beyrouth. Le chef de l'État Michel Aoun et le Premier ministre désigné Saad Hariri ne sont toujours pas parvenus à former une nouvelle équipe, alors que celle-ci est plus que jamais indispensable afin de réformer un pays et obtenir des aides substantielles de la communauté internationale.
Dans ce contexte, Béchara Raï a estimé qu'il est "désormais clair que nous sommes face à un plan qui vise à changer le Liban, son système, son identité, sa formule et ses traditions". Il y a des parties qui adoptent une méthode de démolition des institutions constitutionnelles, financières, de l'armée et de la justice. Il y a des parties qui choisissent de créer des problèmes et d'empêcher les solutions", a lancé le dignitaire religieux. "La vie de la nation n'est pas celle des quotas. C'est l'intégration de valeurs, la rencontre de volontés et un profit commun", a-t-il encore estimé, demandant que "les droits des confessions et leurs quotas s'évanouissent devant les droits des citoyens à la sécurité, à la nourriture, à l'éducation, à la santé, au travail, à la prospérité et à la paix". Encore une critique qui semble viser le président Aoun, qui avait dernièrement affirmé dans un entretien au quotidien al-Joumhouria que le Premier ministre désigné n'avait pas le droit de nommer les ministres chrétiens et que cette tâche revenait au chef de l'État.
! Halte aux abus
Pourquoi ce délai (pour former un gouvernement) alors que tous déclarent - s'ils disent vrai - vouloir un cabinet de spécialistes indépendants et compétents, au sein duquel aucun parti politique ou parlementaire ne détiendrait le tiers de blocage, un concept qui de toute façon ne figure ni dans la Constitution, ni dans le Pacte national ?", s'est encore demandé le prélat maronite.
"Je dis à tous ceux qui sont à l'origine de l'échec de la formation du gouvernement et de ses conséquences financières, économiques, monétaires et sociales : Arrêtez les abus ! Arrêtez les comportements égoïstes et autoritaires ! Arrêtez de sacrifier le Liban et les Libanais pour le bien d'autres peuples, d’autres causes et d’autres pays ! Arrêtez les interprétations personnelles de la Constitution et les hérésies dans l'interprétation du Pacte national (1943). Libérez la prise de décision et le peuple libanais !", a lancé le patriarche dans son message.
Evoquant en outre l'importance de la "compassion", il a regretté que ce concept soit de moins en moins présent dans "la conscience humaine", qui est "sous l'influence du matérialisme, des intérêts personnels, de la dégradation morale et de la corruption endémique sous toutes ses formes". Il a dans ce cadre estimé que la classe dirigeante libanaise est "très éloignée de la culture de la compassion".
Neutralité et conférence internationale
Le chef de l'Église maronite est enfin revenu en quelques mots sur ses deux chevaux de bataille : la neutralité du Liban et la tenue d'une conférence internationale pour sauver le pays. "Un Liban neutre est un Liban de stabilité et de paix. Quant au Liban partial, c'est le Liban de la tourmente et de la guerre. Nous voulons la paix, pas la guerre. La neutralité est dans l'intérêt de tous et peut sauver tout le monde", a-t-il affirmé, alors que cette proposition ne fait pas l'unanimité, notamment auprès du Hezbollah, encore armé et engagé notamment en Syrie aux côtés du régime du président Bachar el-Assad.
"Quant à la conférence internationale, elle donnera au Liban une nouvelle vie en stabilisant son entité, ses frontières internationales, en renouvelant le partenariat national, en renforçant sa souveraineté, son indépendance et son armée", a jugé Mgr Raï, ajoutant que "les Nations Unies et nos amis arabes et internationaux sont prêts à discuter de cette proposition car ils souhaitent aider le Liban à rester un pays libre et privilégié dans cet Orient".
Le 27 février, lors d'un grand rassemblement organisé au siège patriarcal maronite à Bkerké pour soutenir les appels du patriarche à la neutralité du Liban et à la tenue d'une conférence internationale, Béchara Raï avait appelé à la "libération de l'État", maintenant que "le territoire a été libéré". Après cette charge contre le Hezbollah et ses armes, le dialogue avait quand même repris entre les deux parties, via un comité bipartite.
commentaires (17)
seule question qui m'interresse : ce discours avait il ete fait avant ou apres la visite de aoun a bkerke? pour le reste, ce n'est qu'un cri dans un desert qui plus est desert pourri, purulent, infecte et desespere!
Gaby SIOUFI
11 h 15, le 04 avril 2021