Le président libanais Michel Aoun a lancé une nouvelle charge contre le Premier ministre désigné, Saad Hariri, dans une interview accordée au quotidien local al-Joumhouria, l'accusant de "saper toutes les règles dans la formation du gouvernement" et de chercher à "l'embarrasser". Mais "je ne me soumettrai pas", a prévenu le chef de l'État dans cet entretien publié lundi.
Le Liban est sans gouvernement depuis près de huit mois, suite à la démission du cabinet de Hassane Diab dans la foulée des explosions au port de Beyrouth, en août dernier. M. Hariri et M. Aoun, empêtrés dans des rivalités personnelles et un bras de fer politique sur la distribution des portefeuilles, ne parviennent pas à s'entendre sur la répartition et la nomination des ministres alors qu'un nouvel exécutif est crucial pour réformer le pays en crise.
Saad Hariri a aussitôt réagi, dans un tweet concis, à cet entretien. "Message bien reçu. Il n'est pas nécessaire d'y répondre. Que Dieu ait pitié des Libanais", a-t-il écrit, sans mentionner explicitement l'interview.
"Hariri était endormi puis il s'est réveillé et a présenté une mouture gouvernementale qui sape les règles que nous avions l'habitude d'observer pour former les cabinets. Il faut simplement qu'il respecte les règles. Il n'a pas le droit de profiter de mon empressement à former un gouvernement pour m'imposer un cabinet qui ne convient pas au pays", a estimé Michel Aoun. "Hariri essaie de m'embarrasser pour me faire sortir des règles habituelles mais je ne me soumettrai pas", a-t-il lancé. Il a par ailleurs réitéré qu'il ne "veut pas du tiers de blocage", contrairement à ce qu'affirme le Premier ministre désigné. "Je peux intervenir (dans les décisions, ndlr) depuis ma fonction, je n'ai pas besoin du tiers de blocage", a justifié M. Aoun.
Le nombre de ministres
Il est ensuite revenu sur la controverse persistante autour du nombre de ministres et a dénoncé l'"insistance de Hariri" à ce qu'il n'y ait que 18 portefeuilles, une insistance "suspecte", selon lui. "Pourquoi s'accroche-t-il à ce nombre magique ? Donnez-moi une seule bonne raison." Le président a proposé a contrario une équipe de 20, 22 ou 24 ministres, sans tiers de blocage, qui "respecte les équilibres", et affirmé être ouvert à toute initiative visant à l'augmentation du nombre de portefeuilles, qui permettrait également de "respecter les critères de compétence". Une initiative a vu le jour la semaine dernière, lancée par le président du Parlement Nabih Berry, pour la mise sur pied d'un cabinet de 24 ministres, qui devrait théoriquement contenter tous les protagonistes.
"M. Hariri n'a pas respecté la distribution de portefeuilles selon les confessions", a encore accusé Michel Aoun. "Il existe des portefeuilles régaliens, de service ou ordinaires qui ont toujours été répartis en tenant compte des confessions et je lui ai donc suggéré de suivre cette méthodologie", a-t-il affirmé. "Je lui ai conseillé de remplir un tableau, sans toutefois l'obliger à le faire", a ajouté le président, en allusion au document qu'il avait envoyé à Saad Hariri avant leur réunion orageuse de lundi dernier. Le Premier ministre désigné avait mal pris la démarche présidentielle, affirmant qu'il n'était pas supposé "remplir uniquement" un tableau et que la répartition proposée par Baabda consacrait le tiers de blocage au camp aouniste.
"C'est moi qui décide"
M. Aoun a en outre reproché à M. Hariri sa volonté de nommer les ministres chrétiens et a défendu sa position au nom des "droits" de cette communauté. "Les principales forces chrétiennes ne participent pas aux négociations. Je porte la responsabilité d'assurer leur représentation correcte (...) pour remplir ce vide". "Hariri n'a pas le droit de choisir les noms des ministres chrétiens. Ils relèvent de la part du président de la République. C'est moi qui décide lesquels il faut choisir".
Le chef de l'État a justifié son absence de concessions par le fait qu'"il ne peut pas céder à Hariri le sort de la patrie qui lui est confiée". "Les portes du palais de Baabda sont ouvertes au Premier ministre désigné, s'il décide de m'apporter une proposition réaliste, conformément aux exigences de la Constitution", a-t-il ajouté. Sans quoi, "il devra faire appel à sa conscience et se récuser".
Questionné enfin au sujet des relations entre Saad Hariri et le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, le président a regretté une "inimitié injustifiée qui est l'œuvre de M. Hariri". Il a également fait l'éloge de son gendre, tout en réfutant ses ambitions présidentielles. Samedi, le Courant patriotique libre et le courant du Futur se sont une fois de plus invectivés et accusés réciproquement de blocage à coups de communiqués.
commentaires (24)
ceci dit, il n'est plus un secret pour personne que c'est bien la mauvaise foi qui règne parmi les crasseux au pouvoir
Gaby SIOUFI
17 h 40, le 30 mars 2021