L’espoir entretenu par les informations relatives à un compromis sur lequel le président de la Chambre, Nabih Berry, planche depuis quelques jours pour débloquer le processus gouvernemental s’est rapidement estompé après une nouvelle charge du président Michel Aoun, hier, contre le Premier ministre désigné, Saad Hariri.
Une charge qui est tombée cependant à un moment inopportun, si l’on peut dire, puisqu’elle est intervenue quelques heures seulement avant que Paris ne rappelle de nouveau les dirigeants libanais à l’ordre et ne brandisse encore une fois la menace de « pressions » supplémentaires en vue d’un déblocage, dans une allusion à peine voilée aux sanctions dont la France discute depuis la semaine dernière avec ses partenaires européens.
Le Quai d’Orsay dont le chef, Jean-Yves Le Drian, a pris contact hier avec les locataires de Baabda, Aïn el-Tiné et la Maison du Centre, relève une responsabilité partagée dans l’impasse actuelle, il est vrai, mais il est évident qu’il considère le camp présidentiel comme étant le principal obstacle à la naissance d’un cabinet de mission. C’est ce qui transparaît clairement du communiqué publié en soirée par le ministère français des Affaires étrangères. « L’obstruction délibérée à toute perspective de sortie de crise, en particulier de la part de certains acteurs du système politique libanais, par des demandes inconsidérées et d’un autre temps, doit cesser immédiatement », enjoint le texte sans autre forme de procès, dans une allusion à l’insistance du président de la République et du parti qu’il a fondé, le CPL, à s’accrocher à la nomination des ministres chrétiens.
Une insistance que Michel Aoun a voulu justifier dans une interview accordée à notre confrère arabophone al-Joumhouriya, et parue hier, par sa volonté de défendre les « droits » de sa communauté. « Les principales forces chrétiennes ne participent pas aux négociations. Je porte la responsabilité d’assurer leur représentation correcte (...) pour remplir ce vide. » « Hariri n’a pas le droit de choisir les noms des ministres chrétiens. Ils relèvent de la part du président de la République. C’est moi qui décide lesquels il faut choisir », a-t-il martelé.
Les propos du chef de l’État à al-Joumhouriya suggèrent ainsi un retour à la case départ ou une tentative présidentielle de définir, dans la perspective du compromis concocté par Aïn el-Tiné, le cadre de toutes négociations à venir sur la composition du cabinet ce qui, pratiquement, revient au même. Même s’il a réaffirmé que les portes de Baabda restent ouvertes à M. Hariri, « pour peu que ce dernier se conforme aux règles d’usage pour la formation des gouvernements », il est évident que Michel Aoun n’est pas prêt à lâcher du lest, quelle que soit la formule gouvernementale qui lui sera proposée. À moins que « les leviers » de pression envisagés au niveau européen ne renflouent l’initiative berryste que des proches de Saad Hariri ont désignée comme étant mort-née compte tenu du durcissement aouniste.
Mais, là aussi, rien n’est moins sûr, à cause de la dimension internationale que prend aujourd’hui la crise libanaise et du bras de fer qui risque d’en découler entre d’une part l’Europe et son allié américain et d’autre part l’Iran qui n’a pas caché son mécontentement face à la dynamique diplomatique occidentalo-arabe locale de la semaine dernière.
Le communiqué du Quai d’Orsay représente l’aboutissement des contacts menés par Jean-Yves Le Drian tout au long de la semaine écoulée, afin de dégager un consensus européen sur des formes de pressions ciblées, notamment des sanctions suffisamment sévères pour amener les protagonistes libanais à mettre en place un gouvernement capable de s’atteler rapidement aux réformes souhaitées par la communauté internationale. Selon une source du Quai d’Orsay citée par le président d’honneur de l’Association de la presse étrangère à Paris, Élie Masboungi, M. Le Drian a intensifié à cet effet ses contacts avec les dirigeants américains, allemands et saoudiens. Selon notre chroniqueur politique Philippe Abi Akl, Paris a aussi discuté avec les dirigeants russes au sujet des instruments possibles pour une sortie de crise au Liban.
Contrariété iranienne
La mobilisation diplomatique beyrouthine est aussi intervenue dans le sillage des concertations parisiennes avec Washington, Londres, Moscou, Le Caire, Riyad et Koweït, dont les ambassadeurs ont tenu le même discours auprès des dirigeants libanais, rapporte Philippe Abi Akl.
Ces discours, largement relayés par la presse, et notamment celui que le chef de la mission diplomatique saoudienne, Walid Boukhari, a tenu après son entretien mardi dernier avec Michel Aoun, ont importuné Téhéran qui s’est empressé d’y réagir par la voix d’un adjoint du président du Parlement iranien pour les affaires internationales, Hussein Amir Abdel Lahyan. Sur son compte Twitter, ce dernier a accusé la France, l’Arabie saoudite et les États-Unis de « suivre une politique qui empêche la formation d’un gouvernement, favorise les divisions (au Liban) et tend à affaiblir la résistance ».
Téhéran a été plus particulièrement contrarié par la réaction favorable du président Aoun à l’initiative saoudienne de règlement au Yémen, que Walid Boukhari avait pris soin de rapporter dans son allocution à la presse à partir de Baabda. Pour l’Iran, l’offensive diplomatique occidentale et arabe au Liban représente un danger substantiel pour son projet hégémonique aussi bien dans ce pays qu’en Syrie, dans la mesure où elle risque, entre autres, de lui ôter une carte maîtresse qu’elle détient dans l’éventualité d’une reprise des négociations avec Washington autour du dossier du nucléaire.
Dans cette perspective, la nature du gouvernement amené à succéder à celui de Hassane Diab, pour remettre le pays sur les rails d’un redressement avec l’aide des deux communautés occidentale et arabe, revêt à ses yeux une importance vitale qui s’est reflétée dans le nouveau discours iranien. Le triptyque traditionnel de l’axe de la moumanaa auquel le camp présidentiel s’est allié, peuple-armée-résistance, est devenu dans le tweet de Hussein Amir Abdel Lahyan résistance-armée-gouvernement, un trinôme désormais garant de la pérennité du projet hégémonique iranien et, par ricochet, du maintien du camp présidentiel au pouvoir.
Cette convergence d’intérêts explique d’une part l’insistance haririenne à barrer la voie à un gouvernement que le tandem Aoun-CPL peut contrôler et celle des aounistes à chercher à se débarrasser de Hariri pour le remplacer par une personnalité au profil proche de celui de Hassane Diab. Dans son interview à al-Joumhouriya, Michel Aoun qui a accusé le Premier ministre désigné de « saper toutes les règles dans la formation du gouvernement », devait employer une terminologie à la limite de l’insulte pour Saad Hariri qu’il a qualifié de « bizarroïde ». « Hariri était endormi puis il s’est réveillé et a présenté une mouture gouvernementale qui sape les règles que nous avions l’habitude d’observer pour former les cabinets. (…) Il n’a pas le droit de profiter de ce que je désire à tout prix former un gouvernement pour m’en imposer un qui ne convient pas au pays. Il essaie de m’embarrasser (…) mais je ne me soumettrai pas », a-t-il lancé. Et d’ajouter : « J’ai constaté qu’il était devenu dernièrement bizarroïde (…). Lorsque je lui ai demandé ce qu’il lui était arrivé, il m’a répondu : j’ai changé », a-t-il dit. Quant à l’attachement de M. Hariri à une mouture de 18 ministres parmi des experts non partisans, il a été considéré par le chef de l’État « comme étant surprenant et suspect ». « Pourquoi s’accroche-t-il à ce nombre magique ? s’est-il interrogé, donnez-moi une seule bonne raison. »
Des propos auxquels Saad Hariri a aussitôt réagi, dans un tweet concis. « Message bien reçu. Il n’est pas nécessaire d’y répondre. Que Dieu ait pitié des Libanais », a-t-il écrit, sans mentionner explicitement l’interview dans laquelle Michel Aoun a redit qu’il ne voulait pas du tiers de blocage dans la mesure où il peut, en sa qualité de président, « intervenir à tout moment » dans les décisions du gouvernement.
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LE CHEVAL DE TROIE DES IRANIENS DANS LA FAMILLE LIBANAISE.
LA LIBRE EXPRESSION
21 h 16, le 30 mars 2021