À la demande de Michel Aoun, le chef du PSP, Walid Joumblatt, s’est rendu à Baabda le 20 mars dernier. Le leader druze a saisi l’occasion pour transformer cette rencontre en opportunité. Il en a profité pour glisser une proposition susceptible de défaire le nœud gordien autour de la formation du gouvernement : un cabinet de 24 ministres sans que personne ne puisse disposer du tiers de blocage. Une formule qu’il a par la suite examinée avec son partenaire, le chef du Parlement Nabih Berry, pour mieux l’affiner et la promouvoir. Dans un entretien express à L’Orient-Le Jour, Walid Joumblatt révèle la teneur de son entretien avec Michel Aoun, la manière dont est née la dernière proposition et ses chances de succès. Selon lui, le blocage actuel est lié à deux raisons : les mauvaises relations entre le Premier ministre désigné Saad Hariri et le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, et la volonté de l’Iran de ne pas desserrer l’étau autour du Liban.
Comment est née l’idée d’un gouvernement composé de 24 ministres ?
Le président m’a appelé et m’a fixé un rendez-vous. L’entretien a duré une demi-heure. Il était très affable. Je lui ai dit que je venais de mon propre chef et que personne ne m’envoyait. Durant l’entretien, je lui dis que je sais que Saad Hariri s’accroche à la formule d’un gouvernement composé de 18 ministres et lui rappelle aussitôt que Saad Hariri, est pour le moment, le représentant des sunnites. Le président me dit qu’il préfère un gouvernement composé de 20 ministres. Je lui propose alors une formule de 24, pour que chaque bloc ou coalition de bloc dispose de huit ministres de façon à ce que personne ne bénéficie d’une minorité de blocage. Il me répond qu’il n’y aura pas de minorité de blocage. Je lui ai redit que je n’étais pas l’envoyé de Saad Hariri mais que j’allais envoyer à ce dernier deux émissaires – Ghazi Aridi et Waël Bou Faour – pour lui transmettre sa réponse. C’est ce que j’ai fait. Au départ, Saad n’était pas content, croyant que j’avais entrepris cette mission de manière unilatérale. Puis il a souligné que cette idée, la formule de 24, était celle du Hezbollah. Je lui ai répondu que c’est plutôt une formule qui arrange tout le monde et qu’il n’y aura pas de minorité de blocage. Puis il s’est calmé et nous a demandés de ne pas dévoiler ce qui s’est passé. Ghazi et Waël lui ont dit que ce n’était pas possible et qu’il fallait mettre au courant notre ami Nabih Berry. C’est ce que nous avons toujours fait afin qu’il n’y ait pas de court-circuitage et que soit assurée la coordination entre les trois grands pôles (le tandem chiite/Hariri/Aoun). Moi, je n’étais qu’un émissaire dans ce contexte. Voilà ce qui s’est passé.
Quelles sont les chances de réussite de cette formule et où résident réellement les blocages ?
Il y a autour du président des gens qui ne veulent pas de Saad Hariri et qui cherchent par tous les moyens à trouver des formules constitutionnelles pour s’en débarrasser alors qu’une telle équation n’existe pas dans notre Constitution. Cela ne peut pas marcher. C’est non seulement anticonstitutionnel mais entraînerait de surcroît un blocage supplémentaire.
Vous qui accordez souvent un rôle important aux influences géopolitiques croyez-vous que les raisons du blocage sont à rechercher à l’extérieur ou plutôt sur la scène interne ?
Je pense qu’il y a les deux facteurs. Le blocage interne existe sans aucun doute. Il y a une antipathie certaine de Gebran Bassil à l’égard de Saad Hariri, alors que c’était de grands amis pendant trois ans, lorsqu’ils étaient ensemble au sein de l’avant-dernier gouvernement. Pourquoi les deux ténors se sont-ils disputés ? S’ils parviennent à s’entendre entre eux, nous aurons déjà franchi la moitié du chemin. C’était la conclusion tirée par Patrick Durel (l’émissaire français pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient) qui avait bien évoqué la nécessité de trouver ce terrain d’entente entre Hariri et Bassil. Le comble de l’ironie est que j’ai demandé au chef de l’État durant mon entrevue avec lui s’il pouvait faire quelque chose pour réconcilier les deux. Il m’a répondu : je ne sais pas pourquoi ils se sont disputés et sur quoi.
Et la raison externe ?
La question de savoir si le blocage est aussi dû à des facteurs externes, notamment à la lumière du dernier discours de Hassan Nasrallah (le 18 mars courant), se pose aussi. C’est en partie vrai, étant donné le fait que les Américains ont récemment lâché du lest et ont commencé à négocier à Oman avec les houthis (rebelles yéménites), qui par ailleurs sont toujours à l’offensive et poursuivent leurs attaques chaque jour contre des cibles en Arabie saoudite. Donc l’Iran est clairement à l’offensive aussi. Téhéran exige la levée des sanctions sans préconditions. Il faut tenir compte également de cette grande parade organisée il y a trois jours contre le Premier ministre Moustapha el-Kazimi à Bagdad. Je ne vois donc pas les Iraniens lâcher du lest au Liban.
C’est ce qui explique, selon vous, le revirement de Hassan Nasrallah qui ne veut plus d’un gouvernement de technocrates mais un cabinet techno-politique ?
Passons outre les détails de la forme du gouvernement, qu’il soit technocrate ou non. Ou bien il veut accorder son feu vert à la naissance d’un cabinet ou bien il ne le veut pas. Nous avons déjà fait l’expérience d’un gouvernement comprenant des ministres soi-disant technocrates et qui se sont avérés être des ratés finis. La question est simple : l’Iranien a-t-il ou non l’intention de desserrer l’étau sur le Liban ?
La valse diplomatique de ces derniers jours peut-elle favoriser le déblocage de la situation ?
Oui, je crois que cela peut aider mais il y a deux éléments : interne et externe. Les diplomates peuvent certes débloquer quelque chose. Mais je peux dire que la France est celle qui est le plus intéressée pour sauver ce qui reste de son initiative.
Le CPL continue de faire une fixation sur la partie qui va nommer les ministres. Est-ce une excuse selon vous ou un argument justifié ?
Écoutez, chacun doit quand même assumer ses responsabilités dans ce blocage. Au début et lorsque les deux parties étaient encore en pourparlers et que les négociations allaient bon train, c’est M. Hariri qui a proposé à M. Aoun de lui confier le portefeuille de la Justice. Par la suite, il s’est rétracté. Ils sont ensuite parvenus à une solution médiane, qui consistait à laisser l’Intérieur à M. Aoun qui devait le confier à Souheil Abboud (le président du Conseil supérieur de la magistrature) et la Justice à M. Hariri qui proposerait un nom que M. Aoun aurait également avalisé. Puis tout a été chamboulé.
Dans quelle mesure ce blocage relève selon vous d’une guerre d’ego entre Bassil et Hariri ?
Il y a une guerre d’ego et en même temps derrière cette rupture entre Gebran Bassil et Saad Hariri j’ai la vague impression qu’il y a certaines ambassades qui ont posé certaines conditions.
A la question : ""La valse diplomatique de ces derniers jours peut-elle favoriser le déblocage de la situation ?"" Sa réponse, est une façon pour le chef politico-militaire des druzes de se démarquer de la crise, sur le ton, tout n’est pas de notre faute, nous les chefs qui sont aux affaires depuis longtemps et que donc, il y a des interférences étrangères, et pour remédier à tout cela, rien que de se remettre dans le giron libano-libanais, comme c’est très simple de s’entendre entre Libanais. On oublie de dire que dans tous les cas de figure, ce sont les chefs libanais avec leur lamentable gestion de la crise, et point d’interférence. Quelle est alors la formule magique pour s’en sortir ? Il croit aux chances de "la valse diplomatique". Il faudrait interroger le "gendre" sur le nom d’un autre formateur sunnite qui représente les sunnites, et là on se heurte aux refus de qui ? Le fin fond de la crise se joue dans les coulisses libanaises, et le mandat va bientôt sur un échec total. Un mot sur la politique variable du chef druze, et là je ne peux que citer Aristide Briand à ce propos : ""son discours est clair comme l’eau de roche et prend la forme de toutes les carafes"". Bonne journée.
15 h 30, le 30 mars 2021