
Nabih Berry et Hassan Nasrallah durant une réunion en 2007. Photo Hassan Ibrahim/Pool/AFP
Ils ne sont pas du genre à régler leurs conflits sur la place publique. C’est le moins que l’on puisse dire. Entre le Hezbollah et Amal, la règle est claire depuis le scellement de leur alliance stratégique en 1992 : les différends sont fréquents, mais ne doivent jamais faire surface pour ne pas diviser à nouveau la rue chiite, traumatisée par la guerre que se sont livrées les deux formations à la fin des années 1980. C’est dire à quel point le communiqué publié par Amal lundi, dans lequel il prône la mise en place d’un gouvernement de spécialistes en opposition frontale avec ce qu’avait dit Hassan Nasrallah trois jours plus tôt, a quelque chose de presque inédit.
Le secrétaire général du Hezbollah avait préconisé jeudi soir la formation d’un cabinet « techno-politique » ou « politique », dans un discours qui semblait prendre le parti du chef de l’État Michel Aoun dans le bras de fer qui l’oppose au Premier ministre désigné Saad Hariri. Le président du Parlement a décidé de lui répondre quelques heures avant la rencontre lundi entre Saad Hariri et Michel Aoun dans une volonté évidente de manifester son soutien au premier.
Saad Hariri et Nabih Berry entretiennent des relations étroites depuis des années, renforcées ces derniers mois par leur hostilité commune au camp aouniste qu’ils souhaitent définitivement enterrer. Après avoir reçu samedi une mouture du président de la République à laquelle il lui a été ordonné de se conformer, le Premier ministre désigné a appelé son traditionnel partenaire pour évaluer ses options. La réponse de Nabih Berry était limpide, selon un proche du leader sunnite : « Ne prends aucune initiative, garde ton calme, je te soutiens et publierai demain une prise de position qui dissipera tout malentendu. » Le leader du courant du Futur a ensuite fait part de son inquiétude concernant la position du Hezbollah, avec qui il ne veut pas rompre le dialogue. « Ne t’en fais pas, je m’en occupe. Le plus important est que tu tiennes bon et ne fasses aucune concession, car, le cas échéant, tu ne pourras plus compter sur moi », a répondu le chef du législatif. La séquence a mis en exergue une nouvelle polarisation de la scène politique : d’un côté, Michel Aoun appuyé par le Hezbollah, et de l’autre, Saad Hariri soutenu par Nabih Berry. Le Hezbollah avait pourtant pris la peine de rassurer Nabih Berry et Saad Hariri sur la teneur du discours de Hassan Nasrallah.
Réunion de crise
L’attitude à adopter à l’égard du président de la République et de son gendre Gebran Bassil est le principal point de discorde au sein du tandem chiite depuis déjà quelques années. « Pour Berry, l’alliance entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL) est un signe de faiblesse politique », dit un proche du président du Parlement. Pour le Hezbollah, l’alliance avec le CPL lui permet d’assurer une couverture chrétienne à ses actions.
La querelle n’est pas nouvelle. Nabih Berry s’était opposé à l’élection de Michel Aoun en 2016, alors même que le leader chrétien était officiellement appuyé par le Hezbollah. Le président de la Chambre avait appuyé jusqu’au bout la candidature de Sleiman Frangié, chef du courant Marada, qu’il considère comme faisant partie intégrante du système né de Taëf, contrairement à Michel Aoun et Gebran Bassil qui n’ont jamais caché leur volonté de le détruire. « Grâce à son alliance avec le Hezbollah, Aoun a fait fi des coutumes en vigueur jusque-là », décrypte le proche de Nabih Berry. Il fait référence au fait que le partage du gâteau au sein de l’État était divisé auparavant en trois (sunnite-chiite-chrétien), alors que l’actuel président en revendique la moitié, ce qui, du point de vue de Nabih Berry, rend le système dysfonctionnel.
Le chef du mouvement Amal, roi du clientélisme à la libanaise, a vu d’un très mauvais œil l’arrivée de ces nouveaux venus remettant en question l’ingénieuse distribution des rôles dont il était le parrain. D’autant plus que Michel Aoun a construit une grande partie de son discours politique sur son combat contre la troïka – Hariri, Berry, Joumblatt – qu’il considère comme des « symboles de l’ancien système » et « des piliers de l’accord de Taëf ». « Nous avons un vrai différend avec Berry concernant Aoun et Bassil », admet une source proche du Hezbollah. « Berry a souvent fait comprendre à Nasrallah qu’il ne sera sous aucun prétexte un employé auprès de Gebran Bassil ou de Michel Aoun », dit une source bien informée de la relation entre les deux hommes.
La gravité de la situation a contraint le tandem à organiser une réunion lundi soir, en vue d’empêcher que le conflit ne s’envenime davantage. Les deux formations fonctionnent toujours de cette manière à chaque embryon de crise. Nabih Berry et Hassan Nasrallah avaient tenu une réunion cruciale durant le mois de ramadan de l’année dernière qui avait duré plus de quatre heures, selon des sources concordantes d’Amal et du Hezbollah. Les deux hommes avaient passé en revue la plupart des grands dossiers et s’étaient entendus sur le soutien du tandem à la candidature de Saad Hariri au poste de Premier ministre. Nabih Berry avait alors tenté de convaincre Hassan Nasrallah de la nécessité d’une entente avec les sunnites, en vue de protéger la rue chiite. En parallèle, le chef d’Amal avait œuvré à convaincre Saad Hariri d’éviter toute confrontation avec le Hezbollah, qui risquait d’entraîner une discorde sunnito-chiite.
Éviter de provoquer Berry
Entre Amal et le Hezbollah, les différends sont fréquents depuis 1992. Durant la guerre de 2006, Nabih Berry avait qualifié le gouvernement de (l’ancien Premier ministre) Fouad Siniora de gouvernement de « résistance politique et nationale », alors que le Hezbollah menait une attaque virulente contre celui-ci. Le 7 mai 2008, Amal a appuyé le coup de force du Hezbollah à Beyrouth (contre le courant du Futur principalement), prenant même les devants pour éviter que le parti pro-iranien ne soit accusé d’avoir utilisé ses armes sur la scène intérieure libanaise. Mais Nabih Berry a évité de s’impliquer dans l’attaque menée par le Hezbollah dans la Montagne (territoire du leader druze Walid Joumblatt) pour ne pas entrer en confrontation avec celui qu’il surnomme « son meilleur ennemi ». Les divergences entre les deux parties étaient à nouveau visibles au moment du déclenchement de la guerre syrienne dans laquelle le Hezbollah s’est massivement impliqué contrairement à son allié chiite, qui entretenait pourtant historiquement des liens beaucoup plus forts avec Damas. Jusqu’à l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République, les divergences se sont multipliées, sans jamais se muer en conflits ouverts.
Malgré la mini-crise entre les deux parties, le Hezbollah se veut aujourd’hui rassurant. « Il existe une décision stratégique de ne laisser aucun différend se développer ni impacter la communauté », résume la source proche du parti chiite. C’est pour éviter toute tension au sein de la rue chiite que le Hezbollah aspire à garder de bonnes relations avec Amal. « Le Hezb évite de provoquer Nabih Berry de peur du chaos », confie la source précitée.
Le parti pro-iranien ne désire pas absorber le public d’Amal, considérant que cela lui ferait beaucoup de tort, étant donné qu’aucune formation ne peut prétendre représenter l’intégralité de la communauté. Le Hezbollah a besoin, au moins pour l’instant, d’Amal, à tel point que s’il n’existait pas, il l’aurait inventé! Nabih Berry garde une influence tentaculaire dans l’administration, et ses relations avec les parties libanaises et étrangères en font une parfaite façade pour le Hezbollah. Si des tensions populaires agitent actuellement la rue chiite, elles revêtent davantage un caractère social, du fait que les partisans du Hezbollah sont payés en dollars, alors que les salaires des membres d’Amal sont en livres libanaises, ce qui creuse le fossé entre les deux formations.
Ils ne sont pas du genre à régler leurs conflits sur la place publique. C’est le moins que l’on puisse dire. Entre le Hezbollah et Amal, la règle est claire depuis le scellement de leur alliance stratégique en 1992 : les différends sont fréquents, mais ne doivent jamais faire surface pour ne pas diviser à nouveau la rue chiite, traumatisée par la guerre que se sont livrées les...
commentaires (16)
Trois épouvantails !
Wow
14 h 52, le 26 mars 2021