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La croix de tous

Un ukase présidentiel cavalièrement livré à domicile par une estafette à moto et adressé au Premier ministre désigné. Re-désigné, pourrait-on même dire, puisque le libellé de l’enveloppe ne décerne plus à Saad Hariri que le titre d’ancien chef de gouvernement : de has been, quoi. À l’injure répondait, comme on sait, un cinglant réquisitoire du leader sunnite, prononcé au sortir d’un bref et orageux entretien avec le chef de l’État.


Pour surréelles que soient les dernières péripéties du conflit opposant les deux pôles de l’exécutif, elles ne font, après tout, que s’ajouter à une longue collection d’incongruités, d’abominations et de violations flagrantes de la Constitution dont peut se vanter la démocratie à la libanaise. Sauf que cette fois, les bricoleurs installés au pouvoir ne peuvent plus invoquer les circonstances atténuantes que leur autorisait, par exemple, la guerre de quinze ans. Entre autres énormités, le Liban de la fin des années 80 se voyait ainsi affublé de deux gouvernements rivaux. Or comme il fallait bien verser leurs traitements et soldes aux fonctionnaires et militaires relevant de l’un ou l’autre bord, de braves coursiers se chargeaient de collecter, ça et là, les signatures de rigueur : le procédé avait même obtenu la jolie appellation de décrets ambulants.


Le temps n’est plus, toutefois, où l’on pouvait encore s’étonner, voire s’alarmer, de toutes ces violences faites aux formes : on ne s’embarrasse pas de souliers vernis pour parcourir un champ de ruines. Par contre, l’urgence du moment commande de mettre le holà à cette course insensée vers le fond de l’abîme qui sous-tend la rhétorique du pouvoir en place. Particulièrement désastreuse est ainsi la mission de récupération des droits des chrétiens dont se prévaut le parti présidentiel pour imposer ses conditions, et retarder d’autant la formation d’un nouveau gouvernement. Car, en attendant, le pays sombre chaque jour un peu plus dans le chaos ; il se vide de ses œuvres vives, de ses élites professionnelles : très précisément chrétiennes, en bonne partie. Cet atterrant phénomène, les adversaires du général Aoun ne manquent d’ailleurs pas de rappeler qu’il s’est invariablement produit à chaque tournant de sa tumultueuse carrière. Les droits des chrétiens, ce n’est pas avec un tiers de blocage au gouvernement (ah, la maudite invention!) que le président sera en mesure de les garantir. Il le sera encore moins si, dans sa quête, il se fie principalement au soutien d’une milice chiite répondant à des motivations et obédiences bien à elle, tant tactiques que stratégiques. Comment, dès lors, convaincre sérieusement les chrétiens que c’est pour eux qu’on se voue et se dévoue à la tâche d’obstruction ; oui, que c’est bien pour eux et non pour la survie et la fortune politiques du gendre et dauphin, déjà sévèrement sanctionné par la contestation populaire comme par l’administration américaine ?


La pauvreté et la faim ne menacent certes pas les seuls fidèles du Christ, c’est le Liban tout entier qui porte la lourde croix dont l’a accablé une somme incroyable de mal-gérance, d’incompétence, d’abus et de pillages en règle commis par des dirigeants indignes. Si le pape s’inquiète de voir le Liban perdre son identité, c’est pour l’ensemble de ses fils, toutes confessions confondues, qu’il redoute la dilution dans le bouillonnant magma des desseins régionaux. Ce n’est pas pour le salut de ses seules ouailles, mais de tous les Libanais, qu’à son tour, un patriarche maronite (plus chrétien, tu meurs !) appelle à l’aide la communauté internationale. Neutralité du pays par rapport aux axes étrangers, tenue d’une conférence onusienne saisie du cas libanais : tels étant les deux rails pouvant conduire à la délivrance.


C’est enfin pour un Liban pluriculturel, rareté tenant du prodige dans cette partie du monde, que se démène inlassablement la France républicaine et laïque, qui passait naguère pour la tendre mère des chrétiens. À Bruxelles, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, trouve encore moyen de plaider pour le Liban et son peuple, pressant ses partenaires de l’Union européenne d’actionner les leviers pour faire entendre raison aux dirigeants de Beyrouth.


Mais la raison existe-t-elle encore dans les brumeuses consciences qui font commerce de croix en tous genres ?


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Un ukase présidentiel cavalièrement livré à domicile par une estafette à moto et adressé au Premier ministre désigné. Re-désigné, pourrait-on même dire, puisque le libellé de l’enveloppe ne décerne plus à Saad Hariri que le titre d’ancien chef de gouvernement : de has been, quoi. À l’injure répondait, comme on sait, un cinglant réquisitoire du leader sunnite, prononcé...