Quel était l’enjeu de la rencontre lundi entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et la délégation du Hezbollah conduite par le député Mohammad Raad ? La formation du gouvernement libanais, alors que Moscou s’est montré récemment plus actif qu’à l’accoutumée sur ce dossier ? Ou la complexe équation syrienne dans laquelle les deux acteurs sont des partenaires, bon gré mal gré ? Les deux, mon général ! La nature des relations qu’ils ont développées ces dernières années rend les deux sujets inextricables.
Moscou regarde le Liban avec des lunettes syriennes. Pour la Russie, la stabilité du pays est essentielle à celle de la Syrie, alors que les deux voisins sont frappés par une sévère crise économique. L’effondrement du secteur bancaire libanais, où une grande partie des Syriens plaçaient leur argent, a été un facteur aggravant de la dégradation de la situation économique en Syrie. « Moscou pense que l’effondrement au Liban rend la situation en Syrie intenable », confie un diplomate russe. C’est pourquoi la Russie presse ses interlocuteurs libanais à accélérer la formation du gouvernement. Devant la délégation du Hezbollah, la Russie « a réitéré sa position favorable à un gouvernement sans tiers de blocage, qui inclurait toutes les composantes libanaises », avance un proche du parti pro-iranien. « Les Russes n’ont pas toutefois demandé au Hezbollah d’exercer des pressions sur leurs alliés, notamment sur Gebran Bassil (accusé par ses détracteurs de paralyser la formation du gouvernement) », poursuit cette source.
La formation du gouvernement avait déjà été au menu des discussions entre M. Lavrov et Saad Hariri aux Émirats arabes unis, le 9 mars : des sources proches de ce dernier indiquent que celui-ci s’était enquis de la position iranienne vis-à-vis de l’impasse gouvernementale. M. Lavrov s’était alors engagé à contacter Mohammad Javad Zarif, alors que le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, préparait la visite de la délégation du Hezbollah en Russie. Celle-ci avait été décidée il y a presque deux mois lors d’une rencontre à Moscou entre MM. Zarif et Lavrov concernant le nucléaire iranien et les dossiers régionaux, particulièrement la Syrie. La situation au Liban avait été alors abordée par les deux hommes. Moscou avait réitéré sa position concernant la nécessité de former un gouvernement présidé par (le Premier ministre désigné) Saad Hariri, sans qu’aucune partie ne puisse bénéficier du tiers de blocage. Selon une source diplomatique russe, Mohammad Javad Zarif avait alors demandé à M. Lavrov d’évoquer le sujet avec le Hezbollah, ainsi que la situation en Syrie.
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Mais le dossier libanais constituait, au mieux, un apéritif au menu des discussions de cette semaine. Du côté du Hezbollah, cette visite permet de conforter l’idée que le parti est une force régionale qui peut jouer dans la cour des grands. Signe de l’importance qu’elle lui accorde, la délégation qui s’est rendue en Russie est composée de plusieurs membres fondateurs du parti : outre Mohammad Raad, président du groupe parlementaire, Ammar Moussaoui, responsable des relations extérieures, et Ahmad Melli, professeur en relations internationales, spécialiste des questions stratégiques. « La Russie cherche à renforcer son rôle sur la scène régionale, et c’est pourquoi elle souhaite s’entretenir avec le Hezbollah », affirme une source proche du parti chiite. Ce dernier est présent en Syrie, en Irak et dans une moindre mesure au Yémen. Les relations entre Moscou et le Hezbollah ont pris un nouvel élan à partir de 2013, suite à une visite effectuée par le vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov à Beyrouth, au cours de laquelle il avait rencontré Hassan Nasrallah. Le Hezbollah était déjà impliqué dans la guerre en Syrie, et Moscou appuyait alors, au moins sur le plan diplomatique, Bachar el-Assad. Après l’intervention russe de 2015, les deux acteurs se sont retrouvés côte à côte sur le terrain syrien avec le même objectif dans un premier temps : stabiliser les zones dominées par le régime et reconquérir le reste du territoire. Plusieurs délégations représentant le Hezbollah se sont ainsi rendues à Moscou au cours des dernières années. Une façon de tourner définitivement la page des graves tensions qui avaient animé leurs rapports dans les années 1980. À l’époque, le parti chiite avait enlevé quatre diplomates soviétiques, ce à quoi Moscou avait répondu en kidnappant à son tour plusieurs cadres du Hezbollah à Beyrouth, notamment l’un des principaux assistants du responsable militaire de l’époque, Imad Moghniyé.
Réserves à l’encontre de Moscou
D’autres sources de tensions ont toutefois émergé depuis. Si la Russie continue d’entretenir ses relations avec l’Iran, parrain du Hezbollah, les choses se compliquent entre les deux alliés de Damas depuis qu’Israël bombarde régulièrement les positions iraniennes – et celles du Hezbollah – en Syrie avec le feu vert de Moscou. Selon des sources concordantes, le Kremlin a fait parvenir au Hezbollah un message israélien le mettant en garde contre toute opération militaire ou provocation à la frontière. Les Russes sont décidés à empêcher toute escalade entre les deux parties alors qu’ils tentent de pousser le parti chiite à cesser ses provocations contre les Israéliens et les Arabes. À ce niveau, le point le plus sensible reste la présence du Hezbollah dans le Golan et le sud de la Syrie, une ligne rouge pour Israël. Un autre point sensible est la question de l’introduction d’armes lourdes en Syrie et en Irak. Pour stabiliser la Syrie et la faire revenir dans le giron arabe et international, beaucoup d’observateurs estiment que la Russie doit tenter d’éloigner le plus possible Téhéran du régime de Damas. « Le Hezbollah a formulé dernièrement des réserves à l’encontre de Moscou, se plaignant de certaines décisions », admet le diplomate russe précité. Le Hezbollah craint particulièrement que Moscou renforce sa présence dans l’Est syrien, voie de passage essentielle pour Téhéran.
Deux courants existent actuellement à Moscou, d’après la source diplomatique russe. L’un est favorable au maintien du partenariat avec l’Iran, l’autre souhaite y mettre un terme. La ligne officielle tente, pour le moment, de faire la synthèse entre ces deux logiques. « La présence militaire du Hezbollah en Syrie reste stratégique pour la Russie », avance un autre proche du parti chiite, ce que confirme le diplomate russe. Sans forcément attribuer à ce mot le même sens. Pour la Russie, il s’agit d’utiliser cette carte dans ses négociations avec le monde arabe, les États-Unis ou la Turquie. Un éventuel retrait du Hezbollah de Syrie lui servirait ainsi de moyen de pression dans les négociations autour du retrait des Turcs ou en vue d’un accord avec Washington et les Arabes.
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LORSQUE L,OURS BLANC DAIGNE DISCUTER AVEC LA SOURIS.
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 17, le 17 mars 2021