
À Jal el-Dib, il y a deux jours, une manifestante déterminée. Photo Houssam Chbaro
C’est en queue de poisson qu’ont pris fin les mouvements de colère qui ont éclaté dans le pays la semaine dernière, lorsque le dollar a dépassé le taux symbolique de 10 000 LL sur le marché noir et que dans les supermarchés, la clientèle se disputait des sacs de lait en poudre. Hier matin, après plusieurs jours de fermeture de routes à l’aide de véhicules ou de pneus enflammés, la vie a repris son cours normal, quasiment sans l’intervention des forces de l’ordre. La preuve, pour certains milieux de la contestation populaire, que ces mouvements sporadiques n’avaient rien de spontané, mais étaient au contraire infiltrés, voire orchestrés par des parties politiques soucieuses d’adresser des messages politiques. Pour d’autres, également issus de la thaoura, les manifestations de revendication contre la classe dirigeante étaient bien menées par des révolutionnaires. Même limitées à quelques centaines de personnes, elles ont permis de donner une nouvelle dynamique au soulèvement.
Le pouls de la rue bat toujours
« On voulait nous faire croire que la contestation populaire est morte. Mais ce qui s’est déroulé ces derniers jours a montré que le pouls de la rue bat toujours très fort, que les contestataires ont la capacité de bloquer des routes et qu’ils sont désormais déterminés à inscrire leurs revendications dans un travail politique organisé. » Les propos de Ziad el-Sayegh, spécialiste en politiques publiques et membre du Front civique national qui regroupe plusieurs groupes issus de la révolution, viennent confirmer la thèse que les contestataires ont effectivement pris part aux mouvements de colère des derniers jours sur les routes du pays. Une réaction qui, estime-t-il, a tiré sa force des propos du patriarche maronite Béchara Raï réclamant la neutralité du pays et l’organisation d’une conférence internationale pour une sortie de crise. « Il existe désormais un équilibre des forces entre la rue et le pouvoir », estime M. Sayegh.
Cela n’empêche que nombre de partisans de partis politiques traditionnels ont bien été identifiés dans les récentes protestations sur le terrain. Et que certains les accusent de faire le jeu du pouvoir. « Nous avons effectivement observé la présence de partisans du mouvement Amal et des Forces libanaises, notamment, assure le fondateur du parti Sabaa, Jad Dagher. Et nous n’avons pas apprécié. » Si le parti né de la contestation populaire n’a pas officiellement participé aux récents mouvements de colère, « une poignée de ses activistes » s’est toutefois mobilisée, comme elle le fait toujours. L’économiste Jad Chaaban, activiste et membre fondateur du parti politique en devenir Taqaddom, dresse le même constat. « Les partisans du pouvoir aux pratiques miliciennes ont eu raison des mouvements de contestation », estime-t-il, évoquant « des querelles de pouvoir dans la rue » et « des mouvements plutôt bien organisés ». « Nous avons entendu à Dahié des slogans contre le chef de l’État, Michel Aoun. De sources complémentaires, nous avons appris que les FL sont revenues en force dans la partie nord du pays, de même que les proches du leader druze Joumblatt (dans la Montagne, NDLR) », révèle-t-il. Sans compter que les méthodes de la thaoura ont évolué. Couper les routes n’est pas populaire et donc rejeté. « Les contestataires présents n’ont pas bloqué les routes », certifie M. Chaaban. « Il est bien plus judicieux d’aller manifester devant les maisons des dirigeants », renchérit M. Dagher.
Toujours aucun objectif politique
Il reste à comprendre quel était l’objectif de ces manifestations qui interviennent dans un contexte politique, social et sanitaire particulièrement tendu, alors que le pays est sans gouvernement depuis le 10 août. Et si cet objectif a été atteint. « Tant que les demandes de base de la population ne seront pas respectées et qu’aucune avancée n’est constatée, des mouvements de contestation vont continuer d’éclater à travers le pays », affirme Jad Chaaban. Par revendications, l’économiste entend la formation d’un gouvernement indépendant de transition, l’organisation de législatives anticipées, la refonte du système judiciaire et une reddition de comptes après la double explosion du 4 août. Mais pour Tarek Ammar, membre du parti politique Beirut madinati, il est désormais essentiel « d’établir un lien entre les mouvements populaires et leurs résultats possibles ». Car, renchérit Charbel Nahas, fondateur du parti politique Citoyens et citoyennes dans un État, « une manifestation n’a de sens que si elle est liée à un objectif politique. Or, aucun projet politique n’émerge de cette expression momentanée qui a perdu la colère spontanée du 17 octobre 2019 ». D’où son constat. « Il n’y a plus de thaoura. Nous avons tenté de la transformer en une orientation politique. Malheureusement, cette opportunité a été perdue. Et s’il y a eu un certain regain d’intérêt lors des pourparlers avec le FMI, la tragédie du 4 août et l’initiative du président français Emmanuel Macron ont vite fait de l’enterrer », affirme-t-il.
Certains mouvements et partis de la thaoura semblent toutefois vouloir tenter de reprendre la main. Des appels ont ainsi été lancés pour une nouvelle mobilisation dans le cadre d’une journée de colère vendredi. « Nous appelons à un mouvement de grande ampleur vendredi sur l’ensemble du territoire, confirme Ziad el-Sayegh. Il verra la participation de tous les regroupements de la contestation populaire », promet-il. Même engagement ferme de la part de Beirut madinati. « Notre unique mobilisation a eu lieu pour la Journée de la femme. Nous descendrons également dans la rue vendredi pour réclamer un gouvernement de transition avec des pouvoirs exceptionnels », souligne Tarek Ammar.
Mais à ces appels, Charbel Nahas oppose un niet catégorique. « Nous, en tant que parti politique, n’invitons à aucun rassemblement, sous quelque slogan que ce soit », lance-t-il. Moins catégorique, Jad Dagher se veut prudent. « Sabaa n’a pas appelé ses partisans à un rassemblement vendredi, affirme-t-il. Sauf que ces derniers sont de tous les rassemblements. Leur cause est de pousser au changement. » Il n’en reste pas moins que le parti politique veut s’assurer que la mobilisation prévue est bien en ligne avec sa feuille de route et ses priorités. « Une sortie de crise au présent et dans un proche avenir », précise M. Dagher. Car ses craintes sont fortes de voir réapparaître les divisions politiques, notamment entre les deux courants du 8 Mars et du 14 Mars.
commentaires (5)
en avant citoyens. sur les portes de bkerke pour obliger le patriarche rai a mette en execution son projet d,internationalisation de l,affaire libanaise seule solution viable pour se debarrasser de toutes les cliques mafieuses mercenaires et cpl compris.
LA LIBRE EXPRESSION. VERITES ! EQUITE !
20 h 18, le 11 mars 2021