L’appel en faveur d’une conférence internationale parrainée par l’ONU qui conférerait un statut de neutralité au Liban se précise peu à peu. Il a reçu hier sur le plan intérieur des appuis nuancés et distincts venus de trois directions : les Forces libanaises, le Parti socialiste progressiste et... le Courant patriotique libre. Ces appuis s’ajoutent à celui qu’il vient de recevoir de l’ONU même, par le biais de Najat Rochdi, l’assistante de l’ancien coordinateur des Nations unies pour le Liban, Jan Kubis. Déléguée par son organisation, Mme Rochdi avait affirmé, à l’issue d’une récente visite à Bkerké, que les Nations unies sont « à l’écoute » de l’appel du patriarche.
Le 7 février, ce dernier avait plaidé ouvertement, pour la première fois, en faveur d’une conférence internationale qui s’attellerait à une refondation de l’État libanais sur des bases institutionnelles, politiques et diplomatiques plus solides. Selon lui, cette conférence devrait discuter des lacunes constitutionnelles et des armes illégales, dans une critique claire à l’arsenal du Hezbollah. « La neutralité du Liban est un donné historique qui remonte à la proclamation de l’État du Grand Liban (1920) », a déclaré hier avant de quitter le siège patriarcal de Bkerké le député Antoine Habchi, porte-parole d’une délégation FL forte d’une dizaine de personnalités, venue apporter l’appui de son parti aux propositions du patriarche. « Cette neutralité à l’égard de l’Orient et de l’Occident figure dans la déclaration ministérielle du premier gouvernement de l’Indépendance. Tout renoncement à cette neutralité expose le Liban à des conflits et menace son unité », a-t-il ajouté. Et de rappeler que « ceux qui s’en prennent à la neutralité proposée par le patriarche sont ceux-là mêmes qui ont adhéré en son temps à la Déclaration de Baabda (15 juin 2012), qui oblige ses signataires, dont le Hezbollah, à tenir le Liban à distance des axes et des conflits régionaux, et donc à l’égard du conflit irano-US, et « à respecter les résolutions internationales relatives au Liban ».
« C’est de guerre lasse que le patriarche a lancé sa proposition et qu’il s’est tourné vers la communauté internationale pour sauver le Liban de l’enfer où nous ont plongés les conflits régionaux », a lancé le député, qui a rapidement passé en revue le rôle fondamental joué par le patriarcat maronite dans l’existence, la politique sociale et la souveraineté du Liban. Pour M. Habchi, l’implication des protagonistes dans la politique des axes a provoqué « la criminalisation du pouvoir politique, économique et financier » au Liban et fait perdre « sa légitimité » au pouvoir en place, après la révolution du 17 octobre 2019. Selon lui, « le pouvoir au Liban s’est transformé en un outil pour assassiner le peuple ». Antoine Habchi a enfin estimé que « la solution serait d’obéir à la volonté des Libanais en produisant un nouveau pouvoir issu d’élections législatives anticipées », le scrutin étant prévu l’année prochaine.
Aridi : « Qui a dit chapitre VII ? »
Pour l’ancien député et ministre Ghazi Aridi, délégué à Bkerké par Walid Joumblatt pour transmettre l’appui du PSP aux propositions patriarcales, le Hezbollah fait au chef de l’Église maronite « un procès d’intention ». « Est-ce que quelqu’un a entendu le patriarche évoquer le chapitre VII ? » s’est interrogé Ghazi Aridi, dans une réponse claire au secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui, dans un récent discours, a considéré l’appel à un tel recours comme « une déclaration de guerre ». Ce chapitre VII crée le cadre dans lequel le Conseil de sécurité des Nations unies peut prendre des mesures coercitives et recourir à des mesures militaires « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
« Le but d’une telle conférence internationale est de réunir des nations unies dans l’amitié pour notre pays et la volonté de lui porter secours afin de le dégager de ses multiples crises, comme cela s’est déjà fait par le passé, notamment à La Celle-Saint-Cloud ou à Taëf », a dit le député.
M. Aridi a par la suite critiqué avec virulence le président Aoun, l’accusant « de ne pas vouloir de Saad Hariri comme président du Conseil ». Et de rappeler que la veille des consultations parlementaires, M. Aoun avait adressé « un message clair d’avertissement et de responsabilisation » aux députés qui comptaient apporter leur suffrage à Saad Hariri. « Mais les blocs parlementaires ne travaillent pas pour le président. Celui qui a nommé M. Hariri a exercé son droit constitutionnel et tout le monde doit respecter la Constitution », a ajouté M. Aridi qui, citant Kamal Joumblatt, a conclu en s’adressant au chef de l’État : « L’amour de la vérité m’a appris la beauté du compromis. » Le député du Kesrouan Farid Haykal el-Khazen est allé dans le même sens que M. Aridi, en démentant toute référence du patriarche au chapitre VII de la Charte de l’ONU.
Appui du… CPL
Par une étonnante coïncidence, un appui aux positions patriarcales est venu hier du Courant patriotique libre (CPL), dont une délégation sera reçue aujourd’hui dans la matinée par Mgr Raï. Interrogé par l’agence al-Markaziya, l’ancien ministre Mansour Bteiche qui, la veille, s’était rendu à la nonciature apostolique, à Harissa, avec son collègue, l’ancien ministre César Abi Khalil (voir par ailleurs), a affirmé que son courant politique n’est pas contre les propositions du patriarche, mais que l’appel à une conférence internationale et à la neutralité du Liban doit faire l’objet d’un consensus interne et donc être précédé d’une conférence nationale. Le député a ainsi affirmé que son courant est favorable à un désengagement du Liban à l’égard des conflits, « sauf en ce qui concerne le conflit avec l’ennemi israélien », mais que tout désengagement « doit se faire dans le cadre d’une entente interne, ce qui exige de s’asseoir autour d’une table avec un ordre du jour en deux points : la neutralité positive et la tenue d’une conférence internationale sous parrainage onusien ».
Commentant lui aussi l’appel de Mgr Raï à la tenue d’une conférence internationale, l’ancien ministre du Travail, Sejaan Azzi, considéré comme proche de Bkerké, a précisé hier qu’il n’y a pas « une conférence internationale presse-bouton » et qu’il s’agit donc d’un « processus long ». « Il y a loin de l’idée au projet », a-t-il ajouté, tout en constatant que l’appui à l’initiative du patriarche s’élargit. Et de conclure : « Bkerké a en vue une conférence comparable à celle qui a conduit à la proclamation de la neutralité de l’Autriche et de la Suisse. Le siège patriarcal comprend que le Hezbollah ait des réserves à ce sujet. Mais désaccord ne signifie pas confrontation. C’est là le jeu démocratique et les règles du dialogue. »
tout le monde est avec tout le monde Des beaux mots mais personne ne fait rien que des paroles on se croit dans un film de Charlie Chaplin
20 h 09, le 25 février 2021