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Société - Explosions au port de Beyrouth

"Nous allons raviver la flamme de la révolution" : les proches de victimes à nouveau dans la rue

Plusieurs organisations anti-pouvoir dénoncent la tentative des autorités de bloquer l'enquête, d'occulter le crime et de "mépriser les droits et les blessures des gens", au lendemain du dessaisissement du juge Sawan du dossier.

Une manifestante, le 19 février 2021 devant des pneus brûlés sur l'avenue Sami Solh, tient le portrait d'un proche tué dans l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Photo REUTERS/Mohamed Azakir

Au lendemain de la décision prise par la chambre pénale de la cour de cassation d'écarter le juge Fadi Sawan de l'instruction sur la double explosion au port de Beyrouth, la colère continuait de gronder parmi les proches de victimes de ce drame, tandis que la justice entamait à petits pas les procédures pour remplacer le magistrat à la tête de la Cour de justice. 

Dès midi, des membres des familles de personnes décédées suite à la déflagration dévastatrice du 4 août se sont rassemblés, pour la seconde journée consécutive, devant le palais de Justice de Beyrouth. Bravant la pluie et brandissant des portraits de leurs proches décédés, ils ont dénoncé "les atermoiements dans l'enquête et la dilution de la vérité", réclamant que justice soit faite pour leurs enfants et proches. Plusieurs d'entre eux se sont déployés sur le boulevard Sami el-Solh, proche des lieux, où ils ont bloqué la circulation sur l'une des voies à l'aide de pneus brûlés. Les proches des victimes ont été rejoints vers 15h par davantage de manifestants, alors qu'un appel à un sit-in a été lancé par plusieurs organisations opposantes, notamment de la société civile, afin de protester contre "la tentative des dirigeants de bloquer l'enquête".

Une délégation de manifestants a en outre été reçue par le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Souhail Abboud, qui leur a assuré que le remplaçant du juge Sawan mènerait avec "sérieux et courage" sa mission. "Vous les juges, vous allez dorénavant travailler sous la pression de la rue. Nous allons raviver la flamme de la révolution", a promis l'un des porte-paroles des familles des victimes, en lisant un communiqué en leur nom, devant le palais de Justice.

"Nous étions choqués hier en apprenant le dessaisissement du juge Sawan", a raconté pour sa part Tharwat Noureddine, qui a perdu dans l'explosion son frère, Ayman Noureddine, un militaire qui travaillait au port. "On nous a promis la nomination d'un nouveau juge dès demain", a-t-elle dit à notre journaliste sur place Zeina Antonios. "Mais ce n'est pas à chaque fois qu'on convoque un responsable politique qu'on va tout reprendre à zéro", s'est-elle emportée.

La veille, lors d'une manifestation similaire peu après l'annonce du retrait du juge Sawan, les proches des victimes avaient annoncé une escalade dans leur mouvement de protestation.

"Faux prétextes"
Le Bloc national, Beirut Madinati, Menteshrine, la Coalition nationale, Li Haqqi, l'Observatoire populaire pour la lutte contre la corruption et l'organisation Mada, qui regroupe les étudiants des amicales laïques de diverses universités, ont dénoncé, dans un communiqué commun, une décision "politique par excellence" et estimé que les raisons invoquées par la justice pour démettre Fadi Sawan de l'enquête constituent de "faux prétextes" et sont "peu convaincantes". Ces organisations antipouvoir ont encore dénoncé "une preuve de la tentative des autorités de bloquer l'enquête, d'occulter le crime et de mépriser les droits et les blessures des gens", ajoutant que "le principe de la reddition des comptes est au cœur de la bataille politique contre les dirigeants, afin de protéger les droits des victimes mais également la dignité d'un peuple dont la capitale a été dévastée et les ressources pillées".

"La colère que nous ressentons nous donnera d'autant plus de détermination à renverser ce système qui empêche la reddition de compte et la sanction", a promis pour sa part le chef du parti Kataëb, Samy Gemayel, dans une interview à la radio Voix du Liban. "Nous n'avons plus confiance dans l'enquête libanaise", a-t-il ajouté, affirmant que celle-ci est "politisée". Il a enfin demandé "l'internationalisation du processus et la restauration de l'indépendance de la justice en se débarrassant du pouvoir en place.

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La chambre pénale de la Cour de cassation avait justifié sa décision de dessaisir le juge Sawan au motif d’une "suspicion légitime", estimant qu'il est lui-même une victime dans la mesure où son appartement situé à Achrafieh avait été sérieusement endommagé après l’explosion et qu’il avait été contraint de le réparer. Le second motif est justifié par des propos du juge Sawan sur une volonté présumée de ne pas se conformer aux lois en vigueur. Le recours contre le juge Sawan avait été présenté en décembre par Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, députés du mouvement Amal et anciens ministres des Transports et des Travaux publics, qui avaient été mis en accusation pour "négligence" par le juge Sawan. 

Réunion "ouverte" du CSM
Au niveau des procédures judiciaires, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s'est réuni dans la journée afin de se pencher sur la décision de la chambre pénale de la Cour de cassation. Le CSM devra approuver le nom du nouveau juge d'instruction près la Cour de justice qui doit être proposé par la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm. Ce magistrat devra reprendre l'enquête de zéro, plus de six mois après la déflagration qui a tué plus de 200 personnes et dévasté des quartiers entiers de Beyrouth. Le Conseil restera en réunion "ouverte" jusqu'à la désignation du nouveau juge chargé de cette instruction, rapporte l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle). Une source anonyme a confié à L'Orient-Le Jour que Mme Najm a proposé le nom du juge Samer Younes, qui avait déjà été écarté une première fois avant la désignation du juge Sawan. Selon la chaîne LBCI, le CSM aurait refusé une nouvelle fois la proposition de la ministre sortante de la Justice, lui demandant de fournir le nom d'un autre magistrat. En soirée, la ministre sortante a proposé au CSM, toujours selon la LBCI, le nom du juge Tarek Bitar.

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Plus tôt dans la journée, le juge Sawan avait été officiellement tenu au courant de la décision de la Cour de cassation, qui lui a été transmise lors de son arrivée à son bureau, dans la matinée, au palais de Justice de Beyrouth. La ministre Najm en avait, elle, été avertie officiellement jeudi soir.

Au lendemain de la décision prise par la chambre pénale de la cour de cassation d'écarter le juge Fadi Sawan de l'instruction sur la double explosion au port de Beyrouth, la colère continuait de gronder parmi les proches de victimes de ce drame, tandis que la justice entamait à petits pas les procédures pour remplacer le magistrat à la tête de la Cour de justice. Dès midi, des...

commentaires (1)

Et moi je suis choquée par l’inertie des libanais qui restent immobiles face à l’horreur et laissent ces familles se battre seuls contre ces criminels au lieu de se joindre à eux pour faire entendre leurs complaintes et  leur rendre justice. Dans une grande partie de ce monde, en Russie, Biélorussie, Hon Kong, Birmanie et les exemples ne manquent pas, des centaines de milliers de citoyens bravent le froid et les armes pour défendre leur liberté et leur dignité pendant que les libanais restent scotchés devant leur poste de télé en attendant un miracle en se disant que leur mobilisation ne servirait à rien. C’est peut être qu’en baissant les bras en abandonnant le sort de leur pays dans les mains des vendus barbares qu’on arrivera à quelque chose. Incompréhensible.

Sissi zayyat

10 h 17, le 20 février 2021

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Commentaires (1)

  • Et moi je suis choquée par l’inertie des libanais qui restent immobiles face à l’horreur et laissent ces familles se battre seuls contre ces criminels au lieu de se joindre à eux pour faire entendre leurs complaintes et  leur rendre justice. Dans une grande partie de ce monde, en Russie, Biélorussie, Hon Kong, Birmanie et les exemples ne manquent pas, des centaines de milliers de citoyens bravent le froid et les armes pour défendre leur liberté et leur dignité pendant que les libanais restent scotchés devant leur poste de télé en attendant un miracle en se disant que leur mobilisation ne servirait à rien. C’est peut être qu’en baissant les bras en abandonnant le sort de leur pays dans les mains des vendus barbares qu’on arrivera à quelque chose. Incompréhensible.

    Sissi zayyat

    10 h 17, le 20 février 2021

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