Dans le tir à la corde opposant les hôpitaux privés au ministère de la Santé en particulier, et aux autorités publiques en général, un nouveau degré a été franchi hier. Mises au défi par le ministre de la Santé Hamad Hassan, qui use de menaces envers le secteur hospitalier privé et cherche à le mettre au pas, les CHU, poids-lourds du système de santé libanais, ont contre-attaqué et accusé les autorités publiques de rien moins que de chercher à « détruire » leur secteur par des décisions malavisées.
Réunis à l’Hôtel-Dieu, les représentants des Centre hospitaliers universitaires (CHU) au Liban ont mis en demeure les autorités publiques de rajuster sans délai les barèmes en vigueur dans le secteur hospitalier, qui sont toujours calculés en fonction d’un dollar à 1 500 LL. Les CHU exigent que le barème soit au moins celui de la plateforme en ligne (3 900 LL pour un dollar), leur accordant un très court répit pour répondre à leurs demandes.
Ils ont par ailleurs réclamé d’urgence que la Banque du Liban mette fin aux délais anormalement longs de remboursement des fournisseurs, pour ne pas que ces derniers exigent d’être payés soit en liquide, soit au taux du marché libre, ce qui n’est pas dans leurs moyens de le faire. En général, ils voient dans les atermoiements de l’État une action hostile au système de santé privé au Liban, jadis « hôpital du Moyen-Orient ». Soucieux de l’exode des médecins et des infirmiers qu’ils souhaitent rétribuer comme ils le méritent, ils sont forcés de constater que la politique suivie par le gouvernement, dans son souci de dynamiser le secteur de santé publique, achève d’aligner le secteur de santé privé sur celui des pays arabes voisins en guerre.
Usage récurrent de la menace
« Il en va de l’avenir d’un secteur que l’on cherche à assujettir par la menace », a affirmé à L’Orient-Le Jour Joseph Otayek, directeur général de l’AUBMC, qui précise que ne voulant pas entendre raison, le ministre de la Santé Hamad Hassan a averti les fournisseurs d’équipements médicaux pour les soins cardiaques qu’il ne remboursera pas les articles importés, s’ils ne sont pas tarifés à
1 500 LL pour un dollar. « Résultat, les importateurs vont cesser d’en importer, avec toutes les conséquences que l’on imagine », s’indigne M. Otayek. « Consciemment ou non, on est en train de tuer le secteur », insiste-t-il, dénonçant une sorte d’usage récurrent de la menace.
Dans leur communiqué conjoint, les représentants des CHU insistent sur la politique corrosive des pouvoirs publics en matière de santé. « La politique budgétaire menée au Liban depuis plus d’un an frappe au cœur les quatre piliers du secteur de santé : un personnel médical et infirmier efficace, des médicaments modernes, un équipement médical et chirurgical de premier ordre et des appareils de diagnostic avancés », affirme le communiqué, signé par l’Hôtel-Dieu, l’AUBMC, l’hôpital Saint-Georges, l’hôpital Notre-Dame des secours, l’hôpital Rizk-LAU et l’hôpital Mont-Liban.
Rajustement des barèmes
Le communiqué donne quelques exemples des anomalies financières qu’un rajustement des barèmes doit sans tarder corriger. Les voici :
• Le coût d’une séance de dialyse a augmenté de 100 000 livres par séance, soit de 65 %, sachant que le prix de la séance est fixée à 154 000 livres.
• Le coût d’un cathétérisme et d’une expansion artérielle au moyen d’un ballonnet a augmenté d’au moins 3 millions de livres libanaises, selon la situation.
• Le coût de la chirurgie à cœur ouvert a augmenté de 4 à 5 millions de livres libanaises, selon la nature du cas et ses besoins.
• Le coût des opérations de chirurgie générale a augmenté de 3 à 5 millions de livres libanaises.
• Le tarif d’hébergement approuvé par les fonds publics par jour est toujours de 90 000 livres, y compris les trois repas, les soins infirmiers, le suivi, les fournitures médicales, la blanchisserie et autres.
• Le coût du traitement des déchets médicaux infectieux a augmenté de plus de 250 %.
La guerre au Covid
Il était évident que la pandémie, qui s’est ajoutée à la crise économique et bancaire, allait impacter gravement le système de santé et les hôpitaux privés sont soumis à forte pression. « On ne peut pas faire la guerre au Covid sans argent », s’exclame par ailleurs le directeur de l’AUBMC. « Nous tenons à souligner qu’à ce jour, aucune facture pour le traitement des patients corona n’a été collectée sur le prêt de la Banque mondiale, et nous n’avons reçu qu’une petite partie de nos cotisations pour l’année 2020 », précise le communiqué des CHU.
« Les autorités refusent de subventionner les désinfectants, l’une de nos principales armes contre la contagion, ainsi que les vêtements spéciaux de protection du personnel hospitalier (Personnal protection equipment-PPE), vous vous imaginez ! » poursuit M. Otayek.
« Le fait est que les soins de 75 % des Libanais sont à la charge de l’État, seuls 25 % d’entre eux étant couverts par les compagnies d’assurances, déplore-t-il. Mais un fait est un fait, et ce n’est pas en pleine crise de coronavirus qu’on peut le corriger, comme tente de le faire le ministère, en mettant tout le poids des aides accordées au service des hôpitaux gouvernementaux. Ainsi, toutes les augmentations de frais, faute d’être remboursées par l’État et les tiers-payants à des taux acceptables, sont à la charge des hôpitaux, et cela ne peut que se répercuter sur les patients et le niveau de nos services. » Le communiqué des CHU s’achève par une série de revendications et demande notamment le paiement direct des factures médicales des patients Covid, accumulées depuis un an, et la centralisation par le ministère des Finances de toutes les cotisations qui leur sont dues par les tiers-payants publics (CNSS, armée, coopérative des fonctionnaires, FSI). Ce nouvel avertissement sera-t-il entendu ?
commentaires (3)
"... À ce jour, aucune facture pour le traitement des patients Covid n’a été honorée à partir du prêt de la Banque mondiale ..." - C’est quoi ça comme question? Et comment voulez-vous sinon que nos chers (tellement chers) responsables vivent? Hein? Surtout en pleine crise où la plupart des projets générateurs de commissions ont été stoppés? Hein? Vous y avez pensé? Ils ne vont quand même pas se mettre à travailler comme ça tout d’un coup, non? C’est pas la Suisse ici, OK?
Gros Gnon
10 h 00, le 19 février 2021